Journal de Clara

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16/08/2022

Je me suis perdue dans un brouillard. J’ai hâte de partir. Partir loin, partir seule. Hâte de septembre, qu’on me foute la paix. Hâte de quitter cet environnement qui, chaque jour, me rappelle Maman. Papy, Mamy, Papa, même Théo. Paradoxalement, je me rapproche d’eux, comme si j’étais incapable de m’en éloigner, alors que je ne désire rien d’autre. Je n’arrive toujours pas à laisser partir Maman. Ça va faire 4 ans, on est censé se remettre des morts un jour pourtant. Mais est-ce que c’est de sa mort dont je ne me remets pas ou de l’injustice de la vie ? Et pourtant, je suis la première à plaquer des « sélection naturelle » sur tout ce qui arrive aux gens dans la vie. Le paradoxe qu’est l’être humain m’insupporte.

Je m’insupporte d’avoir laissé Théo s’approcher, de le laisser m’aimer alors qu’il n’y a rien à aimer et qu’il va finir le cœur en morceaux. Je vais partir, il n’y a pas d’autre issue que le rendre triste. Et il ne mérite pas d’être triste.

Je le vois essayer. Ça aurait pu être une belle journée.

J’espère que Papa a profité du feu d’artifice de Lacanau, comme d’habitude. Et que Maman était mentalement avec lui, c’est ce jour-là qu’ils se sont rencontrés après tout. Dans l’idée, c’était romantique, dommage que la vie en ait décidé autrement. Je ne sais même pas s’ils ont continué de voir le feu d’artifice quand Maman était malade. Probablement pas.

Ça va faire 4 ans… 4 ans sans mère, sans crise d’ado. Est-ce qu’on peut regretter quand on est mort ? Regretter tout ce qu’on a raté, ce qu’on n’a pas vu. Maman ne m’a jamais dit comment elle allait, comment elle le vivait. Ils ont voulu me protéger mais maintenant je passe mon temps à me questionner. J’ai l’impression d’être encore cette fille de 14 ans qui a perdu sa mère, de ne pas avoir évolué depuis sa mort. 4 ans et dans un mois je pars enfin. Je pars vivre alors que je n’ai aucune envie de vivre.

Mamy s’acharne à me faire manger mais je n’ai pas faim. Théo s’acharne à me faire plaisir mais je ne suis pas heureuse plus de 4 heures d’affilée.

Un mec avec qui j’ai couché 1 ou 2 fois m’a renvoyé un message pour se voir. J’ai failli dire oui. Puis je me suis rappelée que j’étais en couple maintenant. Belle ironie. La catin du coin en couple, ils doivent rire les potes de Théo. A cause de moi, il va encore s’éloigner un peu plus d’eux mais il a besoin de voir ses potes. Et puis, il va finir par réaliser que c’est ma faute et m’en vouloir. Je n’ai pas la force de gérer si Théo m’en veut.

Je ne sais plus quoi trouver pour oublier. Oublier la douleur dans mon ventre qui ne me lâche pas, oublier que je me déteste. Sans toucher à l’alcool ni à la clope.

A force, je ne sais même plus ce que c’est, mon problème. Je ne sais plus ce que je cherche. Je sais juste que je suffoque ici. Paradoxalement, c’est ici que je respire le mieux pour l’instant. Sans Mamy, je ne serais que l’ombre de moi-même.

Il va falloir de la patience. Nantes, ce n’est pas se barrer, ce n’est pas loin. J’ai toutes ces convictions que je n’arrive même plus à porter. Quand on me demande pourquoi je veux faire de l’écologie, je sais quoi répondre. Mais une fois avec moi-même, devant l’idée d’avancer mes études et de mener tous mes projets, je me sens vide d’énergie.

Je ne me reconnais plus. C’est qui cette fille qui se lamente et parle de ses sentiments ? Qui se laisse aller et reconnait qu’elle ne vit plus ? Putain, je supporte pas ça. Je suis supposée n’en avoir rien à faire de la vie, mettre tout en off et me concentrer sur mon diplôme, sur la promesse de voyages qui m’attend après. Merde, pourquoi je suis autant fatiguée ? Pourquoi je me laisse amadouer comme ça par Théo alors que je vais le blesser et que ça nous blesse tous les deux ? Pourquoi je ne peux pas juste continuer ma survie comme avant ?

Est-ce que j’ai trop lutté ? Je n’en ai plus la force. A 18 ans, on n’est pas censés être plein d’énergie ?

Et je vois les autres vivre, Théo qui veut profiter de son été, ses potes qui s’éclatent en soirées et sorties, les mecs avec qui je couche couchais qui sont heureux de vivre. Pourquoi est-ce que j’ai l’impression d’être entourée de noir ? D’être comme derrière un voile qui m’empêche d’accéder aux mêmes choses ? De toute façon, je ne les veux pas ces choses, alors pourquoi est-ce que ça me pose problème ?

La vie, ça pue. Les autres me gonflent. Si je n’ai envie de voir personne en septembre, il n’y aura personne pour m’y forcer. J’ai hâte.

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