39. À bientôt

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Un bruit assourdissant me vrille les tympans alors qu’une lumière aveuglante, un mélange de rouge, orange et jaune, me brûle les yeux et m’oblige à les fermer. La chaleur me consume, je ne sens plus ni mon bras, ni mon épaule. Ankylosé, paralysé, je devrais être terrifié, mais j’éprouve seulement un malaise, comme si j’étais dans l’attente de quelque chose de plus grand, plus fort. J’ai l’impression de flotter, comme en apesanteur. Pourtant, un poids retient mon corps, l’empêche de dépasser le rideau de fumée pour rejoindre les nuages blancs qui jouent à cache-cache, derrière.

Quelque chose s’enroule autour de mon poignet et me tire vers le bas. Je baisse la tête et distingue tant bien que mal une masse, à travers l’épaisseur du gaz qui me pique la gorge.

Carly !

Impuissant, je la regarde s’enfoncer sous l’eau, les yeux écarquillés. Sa bouche remue sans que sa voix ne me parvienne et je ne comprends pas ce qu’elle essaie de me dire. Horrifié, je lui crie de parler plus fort alors que ses oreilles bouchées ne perçoivent que des sons sourds et lointains. Dépitée, elle utilise sa main libre pour essayer, en vain, de remonter à la surface. Ses mouvements désespérés l’éloignent encore dans les profondeurs tandis que ses phalanges glissent sur ma peau. J’essaie de plonger pour la sauver, pour l’empêcher de se noyer dans les canaux imaginés par mon père, dans ces eaux où des flammes lèchent toute sorte de débris. Mes bras sont tendus, je bas des jambes, tête en avant vers ma princesse, mais rien n’y fait, aucune amorce de descente.

L’index de Carly désigne mon pantalon puis dessine des cercles. Me demande-t-elle de me retourner ? Je m’exécute et parviens à lui présenter la poche de mon jean dans laquelle un objet m’indispose. Les doigts de ma beauté s’agrippent à ma peau, à mes vêtements et la hissent à hauteur de ce truc qui vibre et produit un son strident sur ma fesse. Elle tire avec tant de force qu’elle s’envole à son tour et me dépasse. Je la suis du regard en opérant un demi-tour sur moi-même et ne peut réagir. Elle atterrit sur mon ventre. Elle m’écrase !


J’ouvre les yeux, et m’habitue à la lumière aveuglante que nous n’avions pas éteinte, tandis que les palpitations de mon cœur dansent le twist et que je reconnais l’alarme de mon appareil. Je me suis assoupi après avoir réglé l’horloge, puis démarré une liste des surprises que je réserve à Carly.

C’est bien elle qui pèse de tout son poids sur moi, mon I Phone à la main. Elle rit aux larmes en laissant le hennissement sortir du haut parleur encore quelques minutes avant de me le tendre. Tel un idiot du village, je me renfrogne et me sens obligé de me défendre.

— J’avais un poney, il s’appelait Abélar, expliqué-je en montrant mon mécontentement grâce à une voix morne et mes sourcils froncés. On l’a vendu parce que je n’allais plus le voir après la tragédie.

Je me hâte d’éteindre la sonnerie en me demandant sur quelle page ouverte je me suis endormi. Pourvu qu’elle ne découvre rien de mes intentions.

— Lukas, il ne fait pas encore jour, râle-t-elle alors qu’elle se pelotonne contre moi.

Je souris face son visage angélique et dépose un baiser sur ses cheveux avant de rappeler, résigné :

— Nous devons repasser chez toi. Mon ordinateur est dans le gîte. Le reste, je m’en moque. Ensuite, il nous faudra aller jusqu’à l’aéroport et vu les bouchons… j’ai peur de rater mon heure de vol.

Je soupire.

— Je ne peux pas me le permettre.

Ma main caresse la peau fraîche de son dos quand je me décide à abandonner mon étreinte, dans un mou regain d’énergie. Je grince des dents alors que je me retourne, jusqu’au moment où mes pieds rencontrent le carrelage froid et que je me dresse. J’étire en baillant mes muscles épuisés, et c’est au moment où je cherche mon caleçon de bain que je reconnais les vêtements avec lesquels nous sommes arrivés la veille. Par quel miracle sont-ils arrivés là ? J’enfile jean et chemise à la hâte et apporte la robe au bord du lit, près de ma poupée. Elle s’est rendormie. Elle est si paisible que l’idée de la tirer de ses rêves me chagrine.

Et si je la laissais finir sa nuit ?

Non, tu as besoin d’elle pour récupérer ton ordinateur.

John me le ramènera quand il reviendra.

Je ramasse mon I phone laissé sur le drap et le cale à sa place, dans la poche arrière de mon pantalon avant d’ouvrir les lourds panneaux de la magnifique porte et de franchir les deux marches.

Dans la pièce voisine, la cuisine, je déniche un crayon et une petite feuille de papier, sur laquelle je prends soin d’écrire mon numéro de manière lisible. Je précise que j’attends son appel, et insiste en surlignant à plusieurs reprises. Nous devons mettre au point quelques détails dont nous n’avons pas eu le temps de parler puisqu’elle ne m’a donné sa réponse qu’il y a juste quelques heures.

Tu es sûr de ce que tu es en train de faire, mec ? Tu n’éprouves pas une sensation de déjà vécu ?

Si, c’est vrai. Mais le contexte n’est pas le même. Aujourd’hui, elle sait que je l’… elle connait mes sentiments.

Je ne veux pas qu’elle se lève à cause de moi, qu’elle se voit obligée de sortir ses enfants du lit, pour me conduire à l’aéroport alors que je peux appeler un taxi. Je refuse de lui causer plus de travail et de fatigue que de coutume.

Tu prends de très gros risques si tu pars encore une fois sans dire au revoir. Est-ce vraiment ce que tu veux ?

Le souvenir de ma lettre, pour tout adieu, me laisse un goût amer dans la bouche.

Je me dirige de quelques pas rapides vers l’évier où le robinet remplit le creux de mes mains d’une eau tiède dont je m’asperge le visage.

L’heure tourne, une décision s’impose. Mes doigts rabattent mes cheveux vers l’arrière, massent ma nuque, puis mes tempes. C’est trop tard, de toute façon, je ne dispose plus d’assez de temps pour revenir en arrière. J’attrape mon portable, pianote quelques secondes et ouvre la page de taxis de Guadeloupe.

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