Le noir était le quotidien de Jade depuis bientôt dix ans. Mais les dix années dans le noir ne l'avaient pas empêché de se souvenir avec précision des détails de ce monde. Elle avait perdu la vue à l'âge de quinze ans, suite à une maladie. Le noir l'avait envahi, et ne l'avait plus jamais quitté.

Elle avait beau ne pas pouvoir se regarder dans un miroir, elle attachait beaucoup d'importance à son apparence. Avec le temps et l'habitude, elle avait appris à tresser ses cheveux, à faire ses lacets et même à se maquiller. Mais ce qu'elle préférait c'était les vêtements. Elle aimait énormément caresser du bout de ses doigts les tissus fluides et le jean râpeux. C'est ainsi qu'elle choisissait avec amour ce qu'elle allait porter le lendemain.

Mais cette fois-ci, elle ne pouvait pas choisir. Il lui semblait qu'elle avait porté ses habits des centaines de fois, et ne trouvait rien de frais et de nouveau à se mettre. Agacée, elle sélectionna sa tenue en conséquence : un jean élastique confortable, un débardeur souple et une veste en velour côtelée doublée de mouton. Un ensemble confortable et classique pour apaiser sa colère. Elle enfila une paire de chaussure en cuir doux et quitta la maison direction le magasin.

Ce chemin, elle le faisait très souvent, si bien qu'elle connaissait chaque lampadaire et chaque obstacle qu'elle pouvait rencontrer. Sa canne blanche lui était presque inutile. Elle arriva sans encombre dans sa boutique préférée. Mais au moment de se diriger vers le rayon femme, elle repensa à son père qui lui avait demandé de se calmer sur les dépenses. De nouveau énervée elle partit bille en tête à droite de la boutique.

Sans faire attention, elle percuta un portique qui se trouvait là. C'est étrange, elle était certaine qu'il n'y en avait pas d'ordinaire. Surprise, elle recula et des mains inconnues la retinrent par les épaules. Elle se retourna et passa ses mains sur le corps de l'inconnu, pour savoir à qui elle avait à faire. Elle sentit sous ses doigts l'aspect écailleux du cuir, et elle reconnaissait l'odeur entre mille. Ses doigts rencontrèrent des sequins, petites paillettes de plastique qu'elle ne pouvait pas confondre, qui étaient cousu sur un col semblant appartenir à une chemise. Ses doigts remontèrent et rencontrèrent la peau de l'inconnu qui frissona. Elle ne fut pas déstabilisée et suivit le contour de la machoir dessinée du jeune monsieur. Elle passa sur la joue de l'homme, puis sur son front, et glissa sa main dans les cheveux. Elle sentit une résistance, sans doute causée par l'utilisation d'un puissant gel.

Peu importe, sous ses doigts, il lui semblait que l'homme était intensément beau. Dans son esprit se dessinait les traits d'une rockstar, au visage divin et au style vestimentaire atypique qu'elle aimait tant. L'inconnu était resté immobile. Il la laissait l'analyser, sans esquissez un seul mouvement. Il ignorait ce qu'elle pouvait penser, mais elle avait l'air fascinée par l'expérience. Lorsqu'elle s'arrêta, il ne bougea pas. Elle leva la tête, tentant de tourner son visage vers l'homme, et lui dit :

- J'aime beaucoup votre veste.

L'homme fit un mouvement. Il avait compris ce qu'elle trouvait de beau en sa vieille veste en cuir, et il l'avait choisie pour la même raison. Il la retira et la posa sur les épaules de la jeune fille.

- Gardez-la, elle est à vous.

Il replaca ses lunettes sur son nez, et quitta le magasin, laissant Jade seule au milieu du rayon pour homme. Elle enfila la veste, et huma l'odeur qui se dégageait du vêtement : un mélange de cuir, de parfum masculin, et d'un peu d'espoir.