Chapitre 01.4

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Simultanément, ils songèrent qu’être fortunés devait être très agréable, mais ce labeur ne les rendrait pas immensément riches. Au moins, il ne leur demandait pas de gros efforts.

Ils convinrent de se séparer pour terminer le ramassage et, de se rejoindre devant la grille du domaine d’ici une trentaine de minutes.

La moitié de ce temps passée, Tom remarqua que le brouillard était devenu plus intense. Il balança son sac de toile plein à craquer par-dessus son épaule. Il ne pourrait contenir plus d’escargots sans se fendre.

Le garçon remonta lentement l’allée de graviers humides qui entourait la demeure.

Un crissement le stoppa net.

Devant lui, une ombre apparut. Elle se situait à cinq mètres environ.

Il mit un court moment à reconnaître la silhouette de Liam à travers la bruine.

Il soupira et se remit en marche vers lui.

À cet instant qu’il perçut les voix. Pas vraiment des voix… Plutôt des chuchotements.

Il rejoignit Liam.

Lui aussi avait les entendus.

— J’croyais que Peter était avec toi, s’étonna celui-ci.

— Bah, tu vois, il est pas là.

Un frisson parcourut le dos de Tom. Ses cheveux se dressèrent sur sa tête.

Il avait continuellement le sentiment d’être surveillé. Il essaya d’écouter ce que disaient les murmures…

Il parvint à saisir de vagues mots : joufflu… nuit… petit… Je les veux… Je veux ses dents… Petites dents…

Liam lui donna un coup de coude dans les côtes qui le sortit de sa léthargie.

— On dirait qu’une aut’équipe veut nous piquer not’business… La clique à Johnny Eccleston, j’te parie. Ils essaient d’nous faire peur et d’nous piquer not’butin… Va falloir qu’on leur fasse savoir : ici, c’est chasse gardée. Propriété privée. Va chercher Peter… Pendant c’temps, j’essaie de voir si y a moyen d’avoir l’dessus.

La frayeur de Tom descendit d’un cran.

La bande de Johnny Eccleston ne figurait au premier rang de sa liste de souhaits, mais aucun de ses membres ne ressemblait à un esprit frappeur.

Il avait aperçu Peter plus tôt, près de la fontaine.

Il marcha dans sa direction d’un pas léger et discret, quoique moins assuré qu’il l’aurait souhaité. Il entendait constamment les chuchotements et les rires grinçants.

Ils ressemblaient à des murmures étouffés.

Tom buta contre un obstacle. Pas un caillou, il en fut certain.

Il tomba le nez dans un mélange gravillons et de terre envahis d’herbe humide et froide.

Son sac de toile passa par-dessus son épaule.

Il se releva, jurant à voix basse, replaça sa casquette sur sa tête et tourna sur lui-même pour comprendre ce qui l’avait fait chuter.

Il vit le grand panier en osier de Peter, totalement renversé, vidé de son contenu.

Tom commença à ramasser les mollusques éparpillés dans les cailloux humides. Ils tentaient de se carapater, lentement, mais sûrement. Il tira son propre sac à côté du panier avant de secouer sa veste trempée et terreuse.

Un bruit sinistre, pareil à une mâchoire qui se referme sur le vide, à des godillots écrasant des coquilles d’escargot ou une tige de bois sec qui se casse, l’incita se redresser avec vivacité.

Le bruit provenait de la fontaine… Là où il avait vu Peter, la dernière fois.

— Peter ? souffla-t-il faiblement, effrayé.

Son appel se répéta tel un écho, anormalement déformé, car il n’y reconnut pas sa propre voix. Cela provenait de la fontaine…

Retenant son souffle, Tom avança, lentement, aussi silencieux qu’un écureuil.

L’eau sombre du baquet de la fontaine était gelée et la glace, opaque, gercée, légèrement sillonnée en creux par le sang encore chaud.

Tom en conclut que l’animal auquel il avait appartenu était mort récemment.

Il devait aussi être sacrément gros, car il y avait beaucoup de sang.

Des éclaboussures sur la surface de la glace et sur la pierre, accompagnaient une ligne sanglante montant le long la sculpture qui surplombait la fontaine.

Celui qui l’avait construite avait voulu représenter une sorte d’enchevêtrement de plantes exotiques. La sculpture et la fontaine étaient adossées au mur nord de l’habitation. Au sommet, surgissait la tête d’un lion rugissant, la gueule grande ouverte et réellement sanguinolente.

Un truc bizarre semblait enroulé autour de l’une des canines de pierre.

Dans la gueule du lion, se trouvait une cavité d’où la source aurait dû couler.

Une bestiole s’était sûrement installée au fond de la canalisation. Elle y cachait ses réserves et évacuait les surplus de ses repas d’une manière ingénieuse.

Quel genre de bête était-ce là ?

Tom eut beau se dire que sa peur était irraisonnée, il aurait quand même souhaité que Liam, ou Peter, soit à ses côtés.

Il grimpa, tant bien que mal, sur le rebord de la fontaine, attentif à ne pas mettre les mains dans le sang. Il s’assura qu’il pouvait marcher sur la glace sans la briser. Il se supposa léger. Néanmoins, il préféra en avoir la certitude et la testa en tapant du pied.

Son instinct lui hurla désespérément qu’il commettait une bêtise, et qu’il la payerait cher.

Ce fut plus fort que lui.

Il pensa à Liam qui les attendait. Pas question de le rejoindre sans Peter. S’ils devaient se battre face à Johnny Eccleston et son équipe, trois ce serait mieux que deux.

Liam ne se jetterait pas au sein d’une bagarre en étant certain de la perdre.

Dans l’immédiat, Tom avait une excuse, et une excellente raison de rester ici : Peter repasserait sûrement au moment de prendre son panier…

Il faisait maintenant face à la gueule béante du lion.

Si le fauve avait été vivant, il lui aurait trouvé une haleine de poney. Il n’empêchait… S’il n’était qu’en pierre, ça puait pire que dans un trou à rats.

Il tendit la main vers l’objet de sa curiosité, recroquevillé autour de l’unique canine encore entière du lion.

Ça semblait vivant, ou frais, épais, charnu et sanguinolent. Il ne parvenait pas à le définir autrement que comme un bout de viande crue.

Il devait le saisir afin de l’observer de près.

Sa main dévia légèrement.

Il venait de sentir quelque chose sous son soulier. Il baissa le regard et vit trois petits cailloux blancs maculés de sang.

Non… Pas des cailloux…

Dans son esprit, le mot “dent” se fraya un chemin.

Il se baissa et les ramassa. Oui… C’était des dents, pas les crocs d’un animal de chair et d’os, ni les ratiches que le lion de pierre avait perdues… Il les fit rouler au creux de sa main. Puis il observa avec circonspection la canine du fauve, là où s’enroulait ce qui avait attisé sa curiosité.

Il prit prudemment l’objet. Il était mou, moins qu’une grosse chenille cependant, et tiède. Il la porta à hauteur de vue.

Il faillit la lâcher lorsqu’il comprit ce dont il s’agissait. Il ne put amorcer son geste à cause des deux lueurs argentées qui s’illuminèrent à l’intérieur de la gueule béante du lion de pierre.

Il se sentit incapable de bouger, tétanisé par la peur.

Une face qu’il ne parvint pas à définir, sur le moment, que par ses grands globes oculaires remplis de mercure irisé, vides de pupille, sortit de l’obscurité.

Tom hurla de frayeur lorsque la tête grise, telle de la cendre, imberbe, s’extirpa de la cavité, un cou malingre, des épaules décharnées et de longs bras osseux, terminés par de petites mains aux doigts crochus suivirent.

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