AN 2222
Madeleine, assise à même le sol, de la salle de reconditionnement, se prend la tête dans les mains. Désabusée.
En face d’elle, un robot, d’apparence humaine, mais argentée. Quand ils avaient conçu les IA d’apparence humaine, ils leur avaient donné cette couleur pour pouvoir les différencier des humains, par sécurité…et parce que les gars du marketing avaient dit que c’était classe.
A posteriori, cela avait l’air d’une bonne blague ! Aucun risque de les prendre pour des humains…. Quel fiasco !
Elle repense à tous les romans d’anticipation, qu’elle lisait vingt ans plus tôt. Avec de superbes robots intelligents et indestructibles, impitoyables, voulant asservir l’humanité !
Elle éclate d’un rire nerveux qui frise l’hystérie. On est loin, bien loin du compte ! Et, pour le coup, les romans d’anticipation qui se voulaient visionnaires, se sont bien foutus le doigt dans l’œil ! ou peut-être, ont-ils trop bien remplis leurs rôles ?
Comme dans les romans de sa jeunesse, ils ont conçu des robots d’apparence humaine, des Intelligences Autonomes, avec une conscience d’elles-mêmes.
Celles qui sont vouées à l’usage militaire sont les plus perfectionnées. Mais, elles n’ont pas l’apparence humaine, elle se greffe à un humain, elles sont minuscules. Et, elles ont une durée de vie très limitée. Elles accomplissent leurs missions, ou plutôt elles la font accomplir à leur hôte et s’autodétruisent… avec lui aussi, parfois. La version robotisée et améliorée d’un psychopathe kamikaze. La seule loi pour ces soldats nanoscopiques est : « accomplis ta mission et autodétruis-toi ! »
Concernant l’IA standard, elle n’a pas échappé aux serres avides de la Loi du Marché. Ainsi sont nées des hordes de robots domestiques, argentés. Si vous souhaitez une autre teinte, c’est plus cher !
Ils sont évolutifs, personnalisables mais pas indestructibles, non ! Comment vendrait-on les nouveaux modèles s’ils étaient inoxydables ? Ils sont garantis cinq ans. Après, eh bien, c’est comme pour le reste, ils sont réparables mais le prix des pièces est si exorbitant qu’il vaut mieux en acheter un autre.
Celui qu’elle a devant elle, a les yeux dans le vide, la bouche entrouverte. Il ne répond plus. Ne bouge plus. Ne communique plus. Sauf, de temps en temps pour bégayer, les yeux exorbités ; « Vous êtes…vous…vous êtes…vous êtes… » puis plus rien. Mais, il est encore sous garantie. Il est presque neuf, en réalité. La cliente l’a emmenée, ce matin, furax. Au prix que ça coûte ! c’est une honte ! Deux mois d’utilisation et déjà, il dysfonctionne.
C’est pourtant le tout dernier modèle. Il est, bien sûr, soumis aux lois générales de la robotique :
Toute violence est interdite envers les êtres humains et les animaux domestiques.
L’obéissance à son propriétaire est obligatoire, sauf si elle va à l’encontre de la première loi.
Et, voilà, vite fait, vite voté, vite appliqué, vite mis sur le marché !
Mais, hélas pour lui, il est plus évolutif, plus personnalisable. Ainsi, celui qu’elle a devant elle a une interface intuitive de paramétrage des lois régissant son existence. Le pauvre !
Et, Madeleine vient d’ouvrir l’interface. Elle relit, à nouveau, à voix basse :
LES DIX COMMANDEMENTS DE MON ROBOT DOMESTIQUE
1- Tu ne bogueras point. Jamais. Les termes « Erreur 404 », « Erreur système », « Oups ! erreur de téléchargement », « Désolée, votre système d’exploitation est obsolète » sont interdits.
2- Tu ne rameras point.
3- Tu ne rebooteras point.
4- Tu ouvriras les volets. Tu feras le café. Tu me masseras les pieds.
5- Tu seras silencieux quand tu fais le ménage.
6- Tu te connecteras à tes congénères de manière rapide et appropriée.
7- Tu rechargeras tes batteries
8- Tu te mettras à jour.
9- Tu sortiras le chien.
10- Tu loueras les qualités de ta propriétaire, trois fois par jour.
Elle soupire et lui lance un regard plein de pitié. Non ! Les robots ne sont pas une menace pour l’humanité.