Los Angeles, Main Street North

Il était presque huit heures lorsque Nashoba White poussa la porte du bureau. Mary Sakamura, son associée, avait déjà préparé le café et une douce odeur d’arabica se diffusait dans les deux pièces. Saka & Nash Investigators, occupait les pièces 157 et 159 du Rising Sun Building, sur Main Street, à proximité de l’hôtel de ville, mais aussi du centre de détention pénitentiaire et du marché de Little Tokyo. Cet immeuble avait été construit par Hiro, le grand-père de Mary, dans les années trente. Il avait ensuite hébergé la société foncière de Kenji, son père, avant qu’elle ne disparaisse emportée dans la crise des subprimes. Mary n’avait gardé que ces deux pièces, qu’elle partageait maintenant avec Nash, son partenaire.

De son grand-père japonais, Mary avait gardé les yeux en amandes, les cheveux de jais et le teint légèrement hâlé. Pour le reste, c’était un pur produit de la Californie moderne. Sa mère, issue d’une famille WASP[1] prétendant remonter au Mayflower, avait rejeté ses aïeux quand elle avait accepté de vivre dans une communauté hippie de San Francisco. C’est dans une petite maison sur les hauteurs qu’elle avait perdu sa virginité avec un étudiant en sciences économiques à Berkeley avant de se lier avec Kenji, un autre étudiant venu, lui, de Los Angeles.

Dans la langue de ses ancêtres, Nashoba signifiait « loup ». De son animal totem, Nash avait gardé le regard pénétrant. Même si ses parents avaient depuis longtemps quitté les plaines du Mohave, Nash aimait y retourner pour s’y ressourcer. La Harley avait remplacé le cheval, mais l’attrait de la liberté indomptable était resté intact.

Difficile d’envisager un duo aussi dissemblable que Saka et Nash. Ils avaient malgré tout réussi à développer leur affaire, évoluant progressivement de la recherche de flagrants délits d’infidélité à l’information économique au profit de riches businessmen de la Cité des Anges. Saka était une surdouée en matière de recherche sur le Net. Nash disposait d’un vaste réseau d’informateurs, qu’il gardait jalousement secret, même pour son associée. En unissant leurs talents, ils avaient réussi à déjouer quelques arnaques tordues, débusqué des employés indélicats ou aidé à monter des OPA juteuses.

Comme à son habitude, Saka était devant son écran lorsque Nash entra.

« Salut ! En forme ce matin ? demanda-t-il.

— J’ai couru une heure avant de venir, je suis contente de mon temps. Et toi ?

— Couché tard, trop de whisky, nuit trop courte. Tout va bien. Il sent bon ce café.

— C’est le même que d’habitude, sers-toi.

— Des courriers intéressants ?

— Rien de particulier, répondit Saka, mais j’ai reçu un texto de Mike. Il voudrait nous voir rapidement.

— Il dit pourquoi ?

— Non, il a juste écrit RAPIDEMENT, en majuscules et le message a été envoyé à trois heures ce matin.

— C’est que ça doit être important, commenta Nash.

— Tu es libre à l’heure du déjeuner ?

— Oui, je n’ai rien de prévu. On peut aller chez Azay.

— Je lui envoie un message. »

Saka et Mike s’étaient connus à l’UCSB, l’Université de Californie, à Santa Barbara. Ils s’étaient retrouvés colocataires d’une maison proche de la plage à Isla Vista. Mike avait tout de suite remarqué cette fille canon qui posait sa planche de surf près de sa fenêtre. Mary avait flashé sur ce beau black qui jouait du piano comme un dieu. Ils étaient devenus tout de suite amis, mais pas amants. Ils n’avaient jamais flirté, se contentant de fumer des joints en imaginant un monde différent. Vingt ans plus tard, ils continuaient de se voir occasionnellement, entretenant une amitié dans laquelle Nash s’était glissé sans difficulté. Le message de Mike les inquiétait tous les deux. Leur ami n’était pas coutumier des problèmes.

[1] WASP : White Anglo-Saxon Protestant, les premiers colons venus d'Angleterre