Cathédrale de l’Ange Gardien, Las Vegas

Marco admirait l’architecture très particulière de la cathédrale de l’Ange Gardien. Il avait assez voyagé en Europe, et particulièrement en Italie pour juger de la différence criante entre le style baroque des Duomi de Milan ou de Florence et cette construction moderne. Ici, pas d’ogives ni de piliers de marbre, mais des volumes géométriques, à dominante triangulaire et des vitraux éclatant de couleur dans le soleil du Nevada. Comme tout italo-américain, né à New-York dans les années 70, Marco avait été élevé dans la religion catholique. Il avait fréquenté un paroisse italienne et avait même un temps servi la messe, pour la plus grande fierté de sa mamma. Il avait encore accompagné sa famille à l’office du dimanche jusqu’au jour il avait pris son indépendance. Aujourd’hui, il lui arrivait d’accompagner Angelo Giordano à la messe dominicale, quand ce dernier requérait sa présence. Les discussions qui suivaient la célébration n’étaient jamais anodines. Sans le comprendre totalement, Marco était convaincu que son patron avait besoin de faire valider certaines de ses décisions par une autorité divine avant de les lui annoncer. À la fin de la messe, Angelo l’invita à prendre un apéritif au lounge de l’Encore Resort, de l’autre côté de Desert Inn Road. Malgré l’heure matinale, l’endroit était déjà assez fréquenté. Les deux hommes s’installèrent à une table un peu isolée. Angelo commanda d’autorité deux Dry Martini. Marco attendit que son patron rompe le silence. Ce n’est qu’après avoir goûté son cocktail qu’Angelo prit la parole.

« Ce n’est pas facile pour un père de le reconnaître, mais je crois que Leonardo n’a pas les épaules assez solides pour diriger Chance. Il est imprudent, impulsif, et de plus, il est joueur et même un mauvais joueur. Ça met nos affaires en danger.

— En effet, je ne peux pas vous donner tort. Que voulez-vous que je fasse ?

— Tu vas retourner à Long Beach. Tu seras mon « underboss[1] » à Los Angeles. Officiellement, Leonardo reste le patron, mais je veux que tu supervises toutes les opérations. Tu me rendras compte personnellement toutes les semaines et tu me consulteras pour toutes les décisions majeures.

— Bien entendu, Monsieur. Puis-je me permettre une remarque ?

— Je t’écoute !

— Votre fils s’est entouré de certains hommes, qui ne me semblent pas avoir l’esprit que vous voulez réintroduire là-bas.

— Je vois ce que tu veux dire. Forcer un homme à avaler ces cachets, ce n’est pas une méthode que j’approuve. Tu vas devoir les remplacer rapidement. Si tu veux, tu peux prendre un ou deux hommes d’ici, au moins le temps de trouver des ressources sur place. »

Marco prit le temps de boire une gorgée avant de poser la question suivante.

« Les remplacer ? Je présume que vous ne voulez pas que je leur envoie une simple lettre de licenciement, demanda Marco.

— Non, en effet. Prends le temps d’y réfléchir, discute avec eux, nous sommes des managers responsables du capital humain. Si tu penses que leur savoir-faire peut nous être utile, alors tu les envoies à Vegas. On leur trouvera un nouveau job. Sinon, eh bien ! l’Organisation n’aura plus besoin d’eux et ils devront disparaître, mais sans vague.

— C’est bien compris, répondit Marco. Quand voulez-vous que je parte ?

— D’ici un jour ou deux, le plus tôt sera le mieux, je te laisse le temps de t’organiser et de choisir tes adjoints. Je vais prévenir Leonardo de ma décision dès aujourd’hui. Je sais que ça ne va pas lui plaire, mais il n’aura pas le choix. »

[1] Underboss : le numéro deux dans une organisation mafieuse