On sort de l’ombre
Thousand Oaks, Californie
Nous sommes enfin réunis pour débuter les enregistrements. Stanley a réservé un studio pour la journée. C’est à Thousand Oaks, un peu à l’écart de la métropole, en direction de l’ouest. Lucy, comme à son habitude, a tenu à être présente pour cette première séance et nous sommes arrivés tous les deux dans sa Mustang. Jeff et Martin sont pour leur part venus ensemble, dans un mini-van bourré de leurs instruments. Le temps qu’ils s’installent, je me familiarise avec le piano. C’est un Yamaha demi-queue, on voit qu’il a déjà vécu, mais il sonne bien. L’ingénieur du son dispose ses micros et repasse derrière la vitre. Nous enchainons quelques passages pour ajuster les niveaux. Après une petite heure, nous sommes enfin prêts. Nous retrouvons les autres pour un café et un dernier briefing. Je suis un peu nerveux. Lucy le perçoit et me rassure. Nous y retournons.
Le premier morceau est un peu laborieux. Nous n’avons pas joué en situation réelle depuis longtemps, le spontanéité s’en ressent. Lors de nos précédents albums, nous avions joué les titres pendant des mois sur scène avant de passer en studio. Ici, c’est l’inverse qui se produit. Nous enregistrons avant de jouer en public. Après chaque prise, je regarde Lucy, de l’autre côté. Je vois à son attitude que ça va de mieux en mieux. À la fin de la journée, nous avons passé l’ensemble de nos morceaux au moins deux ou trois fois. C’est loin d’être au niveau espéré, mais ça commence à ressembler à quelque chose. Stanley passe de notre côté, lui aussi a l’air satisfait.
« Par rapport à ce que vous m’aviez proposé la dernière fois, on a bien progressé.
— Ce qui nous manque, c’est le retour du public. On a l’habitude de jouer dans des petits clubs, c’est très gratifiant de sentir l’ambiance, répond Jeff. C’est ce qui nous manque pour être au top.
— Je vous comprends, certains musiciens préfèrent s’enfermer jusqu’à obtenir ce qu’ils estiment être leur meilleur, d’autres, comme vous, préférent la validation des amateurs. Si vous vous sentez prêts, on peut sans doute voir avec Lucy comment vous programmer rapidement. »
Je regarde Lucy. Elle sait ce que je pense. Nash et Mary souhaiteraient que je reste discret encore quelque temps.
« C’est un risque à prendre, on peut en parler avec Nash.
— Je ne comprends pas, intervient Stan.
— C’est normal, vous n’êtes pas au courant de tout. »
Lucy donne une rapide explication, l’agression, les menaces à la sortie du Club.
« D’accord, c’est effectivement délicat, mais on doit pouvoir trouver une solution pour que vous soyez protégés, et puis on ne va non plus faire une grande campagne de promotion.
— Laissez-nous faire le point, je vous dirai ce qu’il en est très vite, répond Lucy. »
Nous nous séparons après avoir planifié une nouvelle séance dans deux jours.
Sur le chemin du retour, je décide d’appeler Nash. Je passe l’appel en mains libres, pour partager la conversation avec Lucy. C’est peu de dire que mon ami n’est pas emballé par l’idée de me voir remonter sur scène. Lucy ne montre pas non plus un grand enthousiasme. Ce n’est pas du tout la même chose pour moi. J’en ai vraiment assez de vivre comme un reclus. Les clubs, c’est ma vie. J’en ai besoin, c’est nécessaire pour que je donne le meilleur et je ne veux pas en priver mes amis plus longtemps.
Petit à petit, je sens que mon ami commence à se laisser convaincre. Je sais que Lucy se rangera aussi à mon avis. Ce ne sera de toute façon pas pour demain. Lorsque je raccroche, Nash m’a dit qu’il allait réfléchir à une solution de protection. Cette décision me fait du bien. Je propose à Lucy d’aller diner chez Musso et Franck[1].
[1] Restaurant célèbre sur Hollywood Boulevard
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