Mulholland Highway, Los Angeles

Leonardo était de plus en plus en rage. Après Jack, c’est Lino qui s’était mis aux abonnés absents. Il tournait comme un lion en cage, sans réelle activité depuis que Marco avait pris le contrôle total des affaires. Une pensée venait régulièrement l’obséder, celle de ce musicien qui l’avait humilié à la table de poker. C’était lui la cause de sa déchéance et lui seul. Il fallait régler le problème une fois pour toute pour espérer que les choses reprennent leur cours normal. Puisqu’il ne pouvait compter sur personne, il prendrait lui-même les choses en main. Il lui fallait remettre la main sur le pianiste et puisque Wendy ne lui rapportait plus rien, il allait reprendre contact avec cette femme, qu’elle avait rencontrée, quelques jours plus tôt.

Leonardo n’était rentré au ranch qu’en début de matinée, après une nuit passée chez une conquète éphémère. Il était déjà plus de dix heures quand il se sentit suffisamment d’aplomb pour appeler Wendy. Il préférait le faire depuis la maison, plutôt que de prendre le risque de croiser Marco ou ses sbires sur les docks. La secrétaire ne montra pas un grand enthousiasme lorsqu’elle comprit l’objet de l’appel.

« Vous ne croyez pas qu’il serait plus sage d’oublier cette affaire ? demanda Wendy.

— Si j’ai besoin de ton avis, je te le demanderai, répondit Giordano d’un ton sec. Pour le moment, contente-toi de me donner le numéro de cette gonzesse !

— Ce n’est pas la peine de me parler comme ça ! Je vais vous le trouver. Vous avez de quoi noter ou vous voulez un texto ?

— C’est bon, je note. »

Wendy donna le nom et le numéro de Lucy Iron.

« Tu as des nouvelles de Lino ou de Jack ? demanda Leonardo.

— Non, ni l’un ni l’autre, mentit la secrétaire. Je n’ai pas vu ni parlé à Lino depuis plusieurs jours, et Jack est toujours injoignable. »

Il était un peu tôt, mais Giordano passa derrière le bar pour se servir un verre de vodka. En vérité, il ne savait vraiment comment aborder le sujet. Il décida de pratiquer la seule méthode qu’il connaisse, l’intimidation et la menace. Le premier appel fut infructueux. Il raccrocha sans laisser de message. Il se servit un autre verre avant de tenter sa chance une nouvelle fois.

« Lucy Iron, que puis-je faire pour vous ?

— On ne se connait pas toi et moi, mais je sais que tu es très proche de ce pianiste, celui qui s’est moqué de moi dans un cercle de jeu. »

Lucy avait l’habitude d’enregistrer certains appels professionnels, ce qui lui évitait de prendre des notes, en voiture par exemple. Elle appuya immédiatement sur le bouton enregistrement avant de reprendre la conversation.

« Excusez-moi, mais je ne vois pas de quoi vous voulez parler. Qui êtes-vous ?

— Ecoute-moi bien, pouffiasse ! Et transmet bien ce que je vais te dire. J’ai mis le négro à l’amende, avec les intérêts, c’est cinquante mille dollars qu’il me doit. Et s’il ne réagit pas très vite, je m’occuperai personnellement de son cas, mais auparavant, c’est toi qui morfleras, tu comprends ?

— Comment voulez-vous que nous vous donnions ce que vous nous demandez si nous ne savons à qui nous avons affaire ? répondit Lucy sans se démonter.

— Lui sait très bien qui je suis et de toute façon, c’est moi qui te recontacterai demain soir. Je te donnerai les instructions. Tout ce que tu dois faire, c’est transmettre mon message au plus vite ! »

Leonardo coupa la conversation sur ces derniers mots. Il se sentit requinqué d’avoir repris la main, mais malgré tout un peu déçu de n’avoir pas senti le trouble dans la voix de cette femme. Il l’avait menacée et elle n’avait pas exprimé de peur. Elle ne perdait rien pour attendre.