Chapitre 1
Vendredi 20 juillet 2018, début d’après-midi.
C’est sous le soleil estival de Montpellier que j’attends mon TGV pour rentrer chez moi, à Besançon. Je suis mêlé aux nombreux vacanciers, qui pour la majorité, attendent une correspondance pour finir leur trajet vers le Sud.
Encore une semaine, pensai-je. En effet, je ne suis pas en vacances. J’ai passé deux jours dans le Sud pour un déplacement professionnel. J’ai à peine le temps de penser à mes congés imminents que le TGV Perpignan – Strasbourg arrive à quai. Une fois arrêté, il déverse un grand nombre de voyageurs de tout genre, tous pressés de rejoindre leur destination. L’attente n’est pas longue pour monter à bord de la rame rafraichie par la climatisation. Je grimpe à l’étage de ce TGV Duplex, place ma valise dans l’emplacement prévu à cet effet et m’installe sur mon siège réservé côté fenêtre. Je profite de l’absence du voyageur à côté de moi pour poser mon sac sur le siège.
Le temps s’écoule rapidement avant que le TGV reprenne sa marche. Très vite, un jeune homme vient s’installer juste en face de moi. Physiquement il doit avoir la trentaine, blond aux cheveux un peu en vrac, malgré ses lunettes, je devine de magnifiques yeux bleus.
J’éprouve une sensation particulière en le regardant. Il a un visage qui m’est familier, j’ai comme le sentiment de le connaître. Ça nous arrive à tous au moins une fois dans notre vie de croiser quelqu’un, que l’on pense connaître, alors qu'en fait, il s’agit d’un parfait inconnu. Sans doute le sosie d’une vieille connaissance du lycée.
— Bonjour, au cas où je pique un somme, si vous ne descendez pas avant, pouvez-vous me réveiller à l’approche de Besançon ? Me demande-t-il timidement.
— Bah, ça tombe bien, je m’arrête à cette gare en plus ! C’est là que j’habite.
Parmi toutes les gares que ce TGV dessert, mon voisin descend au même endroit, bel hasard. Puis je reprends.
— Vous vivez là-bas ?
— Non non, je suis d’Albi, je vais juste passer la semaine dans le Jura. J’ai profité de mes congés pour faire une escale à Montpellier voir des amis.
— Ah, Albi…, j’ai grandi là-bas, puis… j’ai quitté la région pour le Jura où je suis devenu horloger.
Je n’aime pas trop parler de mon passé, surtout de cette époque où je faisais mes études dans le Tarn.
— Vous avez fait vos études à Albi ?
Je n’ai pas envie d’approfondir ce sujet, alors je me contente d’hocher la tête.
— C’est la première fois que je vais à Besançon, je ne connais rien de cette ville ni de cette région. Je n’aime pas les paysages plats, il me faut du relief. Je pars souvent dans les Alpes et dans les Pyrénées. Mais cette année, j’ai eu envie de changer.
— Vous ne partez pas à la mer ?
— Non, je n’aime pas trop ça. Il y a trop de monde en plus.
— Il y a des coins moins fréquentés par les touristes tout de même.
Plus je parle avec lui, plus j’éprouve quelque chose à son égard. On discute de tout et de rien. Le paysage défile à toute allure et pour le moment, il n’a pas encore fermé l’œil contrairement à ce qu'il m'avait annoncé au départ. Cet homme me paraît mystérieux et attirant à la fois. Je sais que j’ai déjà éprouvé des sentiments pour des personnes du même sexe que moi, mais cette fois-ci, c’est différent. Il me met mal à l’aise. Il a l’air joyeux tout en étant sur la retenue. Il y a un truc qui doit le gêner. Est-ce moi ou quelque chose dans sa vie qui le chagrine ? Peut-être a-t-il la même sensation que moi ? Je ne comprends pas. J’ai envie d’en savoir plus. Puisque que c’est un Albigeois, peut-être était-il un ancien camarade de classe ? Un voisin de quartier ? Peut-être étions-nous dans la même école sans s'être jamais adressé la parole ? Tant de questions qui pouvaient trouver une réponse si…
* Mon téléphone vibre.*
— Allo Juju, t’es où ? Tu m’as dit que tu me passerais un coup de fil quand tu serais dans ton train…
Alors là, je me sens très con, ça fait un moment qu’on a quitté Montpellier, on a même dépassé Lyon à l’instant et je n’ai pas appelé Pauline une seule fois. Je suis tellement pris dans la conversation avec… je ne connais même pas son nom en plus ! Que j’ai oublié de la prévenir.
— Désolé, j’étais fatigué, avec cette chaleur à Montpellier, je suis complètement achevé, j’ai la tête ailleurs…
— Bon d’accord repose-toi bien alors, je termine plus tôt ce soir, j’aurais le temps de venir te chercher à la gare, envoie-moi un SMS quand tu arrives, ok ?
— Pas de soucis, bisous, je t’aime.
— Moi aussi.
— Désolé, c’était ma compagne, j’ai oublié de lui dire que j’étais dans le TGV.
Il change subitement de regard. Pourquoi fait-il les gros yeux ? Puis il reprend la discussion avec un ton différent.
— J’y pense depuis tout à l’heure, puisque vous dites être originaire d’Albi, n’étiez-vous pas au lycée Louis Rascol ?
Je sens soudainement un malaise, mes questionnements peuvent trouver une réponse maintenant. Mais pourquoi est-ce que j'ai un mauvais pressentiment ? Et si c’était un ex-camarade, en quoi ça doit me gêner ?
— Oui j’ai été à Rascol il y a… douze, treize ans à peu près. J’ai passé mon BAC en 2005.
— 2005 !? J’en étais sûr, que c’était toi…
Son visage change brutalement, il se décompose instantanément, sa voix change de ton, je sens le malaise monter en lui.
— Julien…
— Vous me connaissez !?
Le trouble s’élève d’un cran, qu'y a-t-il de plus frustrant que de parler à quelqu’un qu’on a visiblement oublié ?
— Tu m’as laissé tomber Julien… Tu ne te rends pas compte du vide que tu as laissé derrière toi… Sa voix semble si désespérée. Jamais je n’aurais cru que tu nous abandonnerais tous, après ce qu’il t’est arrivé, tu n’as même pas cherché à rassurer les personnes qui t’ont aidé et qui tenaient à toi. Même pas un petit SMS, non, rien du tout !
— Vous devez vous tromper de Julien ce n’est pas possible. Et qu’est-ce que c’est que cette histoire de laisser tomber ? Vous êtes qui ?
— Comment je connais ton nom ? Je n'étais pas assez important à tes yeux ? Tu m'as vraiment oublié ? Je suis Mathys GANNEAU, né le 22 novembre 1987 à Rouen, j’ai emménagé à Albi quand j’avais dixt-sept ans. Je suis allé au lycée Rascol où on a été dans la même classe durant l’année de Terminale. La terminale 2 en 2005, tu t’en souviens ?
— Vous devez faire erreur ce n’est pas possible, vous vous trompez d’année ou vous devez me confondre avec un autre camarade ! Et puis, si vous dites vrai, on s’est fréquentés qu’un an, c’est tout de même court et donc facile à oublier.
— Oh non, je suis certain que c’est toi, ça crève les yeux, c’est toi, Julien LEYRIEUX. Tu ne te souviens vraiment pas ? Moi qui croyais que cette année allait rester inoubliable pour toi, visiblement, tu remplaces facilement tes amis. Avec tout le soutien que je t’ai apporté après ce qu’il s’est passé, tu as réussi à m’oublier, c’est vraiment décevant…
Je le regarde, les yeux grand ouvert et remplis de terreur. Ma respiration s'accélère, j’ai la tête qui tourne, j’ai des bouffées de chaleur et je commence à avoir du mal à respirer. Me voilà en pleine crise d’angoisse ! Ce Mathys me terrifie encore plus, on est allés dans le même lycée, mais en plus il a fréquenté la même classe que moi ! Pourquoi je ne m’en souviens pas ? Et pourquoi est-ce qu’il m’effraie autant ?
Je quitte brutalement ma place pour aller m’isoler un moment.
J’ai obligatoirement connu ce type, mais je n’ai aucun souvenirs de lui. Pour moi, ce n’est qu’un parfait inconnu.
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