Chapitre 4

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Il faisait noir dans l'appartement. Keira était couchée lorsqu'un bruit retentit. Elle saisit sa batte sous son oreiller et la garda en main. Elle entendit la porte s'ouvrir avec un léger grincement. Des pas feutrés se rapprochèrent de son lit, lentement. Ils s'arrêtèrent tout près d'elle. La respiration hachée, elle rassembla son courage, raffermit sa prise sur son arme, puis l'abattit de toutes ses forces. L'intrus attrapa ses bras prestement pour les attirer vers l'arrière. Elle se retrouva en un instant allongée sur le dos, vêtu d'un simple short et d'un débardeur large, Chris Finley au-dessus d'elle.

Son torse nu n'était qu'à quelques centimètres d'elle. Les mains de l'homme serraient durement celles de Keira l'obligeant à lâcher la batte qui tomba avec fracas. Il pesait de tout son poids sur elle. Ses poignets toujours emprisonnés, il l'embrassa. Le cœur de la jeune femme tambourinait dans sa poitrine, elle se débattait pour se libérer. Elle aurait voulu le repousser, mais quand elle fut enfin libre de ses mouvements, elle l'attira plus fort contre elle. Elle saisit ses cheveux afin de presser son visage contre le sien.

Terrifiée et excitée à la fois, elle sentait sa chaleur lui brûler la peau, son souffle chaud la caresser pendant qu'il parsemait son cou de baisers. Sans dire un mot, il se redressa, puis retira doucement le débardeur de Keira avant de faire de même avec son short. Elle se retrouva exposée au regard enfiévré du détective. Son visage s'empourpra de honte et d'envie.

Il prit le temps d'examiner en détail la jeune femme avant d'enlever son pantalon. Il l'embrassa à nouveau avec passion, puis glissa ses doigts experts sur son corps nu. Ce premier contact viril la fit frissonner de plaisir.

***

Keira se réveilla en sueur, les joues brûlantes, le bas-ventre en feu et les jambes tremblantes. Elle était horrifiée. Cela lui avait paru si réel. Ce n'était pas son premier rêve érotique, loin de là, mais c'était la première fois avec quelqu'un qu'elle avait rencontré. Il faut dire qu'elle côtoyait si peu de personnes. Il était le premier à dormir chez elle, le premier avec qui elle discutait, le premier à sembler « normal ». Elle avait toujours fui les gens, sombres ou lumineux. Seules Anis et sa petite Laurine s'étaient frayé un chemin dans son univers de solitude. Laurine, perdue quelque part, effrayée, peut-être malmenée... pendant qu'elle fantasmait à cause de la proximité physique d'un homme ainsi que de quelques insinuations. Honteuse, elle regarda l'heure sur son téléphone. Il était tôt, mais ce n'était plus le moment de dormir.

Alors qu'elle sortait pour prendre une douche rapide, elle se heurta à un problème : pour aller à la salle de bain, elle devait traverser le salon. Elle retourna dans sa chambre, s'empara d'un t-shirt noir et d'un jean. Il était hors de question qu'elle sillonne l'appartement en serviette avec cet homme chez elle.

Sur la pointe des pieds, elle pénétra dans le salon. Une douce lumière matinale filtrait par les volets entrouverts. Une chance, ainsi, elle verrait où elle mettait les pieds. Elle jeta un coup d'œil en direction du canapé. Il dormait sur le dos, le visage paisible. Elle devait bien le reconnaître, avec sa barbe de trois jours, ses cheveux bruns en bataille et ses lèvres fines, il était plutôt attirant. Contrairement à son rêve, il portait un t-shirt. Elle se secoua pour remettre de l'ordre dans ses pensées : la douche, manger, Laurine !

— Bonjour.

Elle s'arrêta net, sans oser se retourner, puis se força à le regarder. Il était toujours allongé, la tête appuyée sur son bras, mais bien réveillé.

— Bonjour, répondit-elle mal à l'aise.

— Vous avez bien dormi ?

Il était étonnamment avenant.

— Euh... Oui. Et vous ? demanda-t-elle par politesse en espérant s'esquiver au plus vite.

— Bien merci.

Il s'assit avant de s'étirer.

— Auriez-vous du café s'il vous plaît ?

Keira tenta de maitriser la boule de stress qui se formait dans sa gorge. Elle aurait tout donné pour qu'il soit du genre à éviter le petit déjeuner. Mais ce n'était pas le cas, lui, c'était le genre dans le brouillard au réveil tant qu'il n'a pas bu son café. Pourtant, ses idées se remirent bien vite en place quand il constata qu'elle ne bougeait pas, figée dans une position tout sauf naturelle. Il avait oublié chez qui il était : une voyante, une mystificatrice, bref, une perte de temps.

— Dites-moi où sont les tasses, je me débrouillerai, ajouta-t-il bougon.

— Non, non, je vous apporte ça.

À contrecœur, elle déposa ses vêtements à la salle de bain avant de sortir les dosettes de café.

Chris la regardait s'affairer, profitant de l'occasion pour l'observer un peu mieux. Elle venait de se lever, il en était certain, le moindre bruit le réveillait. Si elle avait un lien avec la disparition de l'enfant, elle n'avait pas eu le temps de dissimuler des preuves. En revanche, elle aurait pu téléphoner depuis son portable. Il devrait vérifier ça. Il remarqua ses longs cheveux noirs, emmêlés, qui lui donnaient un côté rebelle. Ils ondulaient au rythme de ses mouvements maladroits, soit elle n'avait vraiment pas l'habitude de recevoir de visites, soit elle jouait bien la comédie. Elle était belle, si l'on oubliait ses manières étranges, des manières de médium se rappela-t-il. Il s'attabla et engloutit ce qui tombait à sa portée.

Keira ne dit rien, elle ne savait ni discuter avec les autres ni lancer des sujets de conversation. Tendue, elle n'osait pas regarder Chris alors qu'elle aurait dû. Les bouchées minuscules qu'elle avalait ne suffiraient jamais à la caler pour la matinée, mais son estomac noué refusait davantage de nourriture.

Chris prit sa gêne pour une indication supplémentaire. Lui n'hésitait pas à l'examiner en détail. Les relations sociales semblaient, en effet, lui être inconnues. Au-delà de cela, il ne fit que peu attention au silence. Il en profita pour réfléchir à la disparition de Laurine et planifier sa journée. D'abord l'école, il l'avait déjà inspectée, interrogé les enseignants, les parents et les enfants auxquels on l'avait laissé parler. Il avait aussi posé des questions aux voisins. Mais pour l'instant, rien. Il restait des parents qu'il n'avait pas pu contacter, même s'il avait peu d'espoir dans cette direction. Croiser un habitué des lieux serait plus prometteur, peut-être un sans-abri trainait-il dans les environs. Les heures filaient et il n'avait aucune piste.

Il devait passer toutes les possibilités au peigne fin, il trouverait bien un témoin. Enfin, si miss médium ne mettait pas son grain de sel. Qu'elle essaie seulement de le détourner de ses projets et il la renverrait vers la police sans ménagement.

Après ces quelques instants gênants, Keira partit se laver et se changer. Le détective en profita pour terminer la fouille de la chambre. Il examina le téléphone toujours branché sur la table de nuit. Contrairement à son ordinateur, un code protégeait le portable. Il fit une tentative sans grand espoir. Pourtant, l'appareil se déverrouilla. Qui utilisait encore 1, 2, 3, 4, 5, 6 ? Une femme qui demeurait constamment chez elle, derrière sa porte blindée qui n'avait même pas de poignée à l'extérieur. Une femme qui se croyait à l'abri des indiscrétions et des vols.

Elle n'avait reçu ou émis ni message ni appel depuis qu'elle avait rejoint les Coudert. Les quelques minutes dont il disposait ne lui permirent pas de vérifier tous les textos, mais rien ne paraissait suspect. Il ne sut définir s'il était satisfait ou déçu qu'elle n'ait rien à cacher. Apparemment.

Quand Keira sortit de la salle de bain, Chris prit sa place. Il lui précisa qu'il faisait vite et de se tenir prête. Dès qu'il aurait fini, elle venait avec lui.

La boule au ventre, la jeune femme monta dans la voiture, pendant que Chris enfermait son sac dans le coffre. Ils roulèrent de longues minutes en silence. Quand ils arrivèrent devant une école, celle de Laurine, dévoila le détective, les familles commençaient à se presser près des grilles.

Malgré la douceur matinale, le malaise était palpable, les parents serraient leurs petites têtes blondes près d'eux. Les professeurs attentifs, scrutaient toutes les directions. Keira se força à observer les visages autour d'eux, elle repéra bien quelques yeux noirs ou trop lumineux, mais rien de dangereux à première vue.

Au lieu de l'emmener vers l'entrée, Chris l'attira vers l'arrière du bâtiment. Ils longèrent l'édifice pour arriver devant la cour de récréation, séparée de la rue par un large muret de pierre surmonté de grilles solides qui s'élevaient à plus de deux mètres. Keira avançait, son regard nerveux essayait de fixer toutes les directions à la fois, en quête d'une menace. Elle suivit le détective un peu plus loin, rongeant un ongle d'une main et son spray au poivre dans l'autre, jusqu'à un recoin dissimulé par des bosquets. Là, il écarta les branches afin de faire apparaître quelques pierres manquantes sous les épais barreaux. La brèche était minuscule, tout juste assez grande pour qu'un enfant de petite taille puisse s'y glisser. Laurine n'avait que quatre ans, elle en était capable. Masqué par les plantes, le passage était invisible de part et d'autre du muret, à moins de connaître son existence.

— Nous pensons qu'elle est sortie par ce trou.

— Vous voulez dire qu'elle a disparu DANS la cour de l'école ?

— Exact, Laurine a disparu pendant la récréation.

— Mais comment est-ce possible ? s'exclama-t-elle. Il y a les autres élèves, les professeurs sont censés les surveiller ! Comment peut-on perdre un enfant dans une cour d'école ?

— C'est toute la question, répondit le détective. Personne ne l'a vu s'éclipser, aucun enfant, aucun enseignant. Aucun intrus n'a été repéré. On n'est sûr de rien, même pas qu'elle soit sortie par là. Tout ce qu'on sait, c'est qu'elle n'est pas dans l'école, la police l'a fouillée de fond en comble. Alors maintenant au boulot. Faites donc vos trucs de voyante, moi je vais bosser.

— Vous n'allez pas me laisser ici !

Elle ne s'attendait pas à se retrouver seule. Son cœur battait la chamade tandis qu'elle commençait à entamer la peau de son doigt. Elle ignorait où elle était, comment rentrer chez elle, et il y avait des gens partout. Qu'allait-elle faire si l'un d'eux la touchait ? Si elle tombait sur quelqu'un de mal intentionné ?

Elle frisait l'hystérie quand le détective l'attrapa par les épaules. Une fois de plus, elle vit des images d'un enfant. Cette fois, elle le perçut plus distinctement. Ses cheveux étaient du même brun que ceux de Chris. Il jouait dans un jardin, puis il flottait dans de l'eau, son teint se fana. La douleur qui explosa dans la poitrine de Keira l'aurait fait hurler si elle avait pu.

— Tout va bien ?

Pris au dépourvu, Chris posa sur elle un regard inquiet. Elle avait blêmi. Les yeux dans le vide, ses muscles s'étaient tendus et, l'espace d'une seconde, c'était comme si elle était partie. Comédienne ou pas, il était troublé.

— Je... Je vais bien.

— Écoutez, je ne serais pas loin, je vais essayer de parler à certains parents. Je serai juste devant les grilles et...voilà mon numéro de téléphone, ajouta-t-il en sortant une carte professionnelle de son portefeuille. Ça ira ?

Étonnamment, il s'inquiétait réellement pour Keira. Il se rabroua lui-même et se traita d'idiot. Il se laissait berner par une voyante ! Il se faisait du souci pour elle ! Elle pouvait en tirer parti pour le détourner de la petite Laurine. Il ne devait rien lui dire. Mais il l'avait fait. Elle parvenait à le toucher. Elle paraissait tellement fragile, comme si elle risquait de se briser à tout instant. Il avait beau avoir des souvenirs vivaces des dégâts que pouvaient provoquer ces parasites, il n'arrivait pas à se sortir de l'idée qu'elle semblait sincère. Peut-être un peu folle, mais dépourvue de mauvaises intentions.

Keira hocha la tête avant de le regarder s'éloigner. Elle resta là, figée dans la rue, sans savoir quoi faire. Fallait-il vraiment qu'elle subisse ça pour aider Laurine ? La réponse fusa : oui. Personne n'avait rien vu. La police devait certainement interroger les suspects habituels. Dans les séries, ils disaient toujours que les proches étaient souvent impliqués quand il s'agissait d'enlèvements d'enfants. Dans ce cas, ils finiraient bien par découvrir quelque chose. Mais si ce n'était pas le cas ? S'ils ne trouvaient rien ? Elle repensa aux nombreuses, trop nombreuses, photos d'enfants disparus qui n'avaient jamais été retrouvés. Laurine allait peut-être s'ajouter à cette liste.

Sa main tremblante s'approcha du bosquet. Elle le sentit immédiatement. Un résidu. Quelque chose persistait. Un sentiment, mais trop faible pour provoquer une vision. Sans hésitation, elle empoigna les barreaux à l'endroit où Laurine était censée être sortie. Pour la première fois, elle ne se fit pas happer contre son gré. Elle chercha à tâtons cette émotion, essaya de la toucher, de s'en saisir, de la retenir. Confiance, joie, réticence, peur, néant. De multiples émotions avaient marqué ce lieu. Nombre d'entre elles avaient presque disparu, dessins sur le sable emportés par le vent. Mais il y avait autre chose. Dès qu'elle l'eut reconnu, elle s'y accrocha, à la recherche de plus de détails, forçant ses perceptions pour la première fois. Elle sentait que si elle lâchait prise, elle risquait de ne jamais les retrouver et allait peut-être laisser passer un indice capital.

Tout à coup, ses muscles se contractèrent. Son corps tout entier se tendit, il protestait contre ce qu'il était en train de subir. Elle était toujours au même endroit, mais il y avait des nuages. La journée paraissait plus avancée, il faisait plus chaud. Les enfants jouaient dans la cour. Un homme courbé se tenait tout près d'elle. Ses cheveux étaient châtains. Ses yeux, trop grands pour son visage, étaient complètement noirs. Il avait des pommettes saillantes, trop pointues, comme son menton fuyant. Tout en lui n'inspirait que de la peur à Keira. Elle le regarda, pétrifiée, attirer Laurine près des grilles.

— Salut Laurine.

— Qu'est-ce que tu fais là ? interrogea la fillette.

— Je passais par-là, et j'ai trouvé un petit chat blessé, mais je ne peux pas l'atteindre. Alors comme je savais que tu étais à l'école, je me suis dit que tu pourrais m'aider. Tu veux bien venir pour l'attraper ?

— Oui, je vais demander à Pascale.

— Non ! Il va se faire mal. Il faut se dépêcher. Regarde là, derrière l'arbre, il y a une sortie. On va le chercher et tu reviens avant la fin de la récréation.

Comment personne n'avait-il vu ça ? Keira examina la cour ainsi que l'homme. De l'intérieur, il était invisible, caché derrière les buissons. Les instituteurs discutaient. Ils surveillaient d'un œil distrait leurs élèves qu'ils croyaient en sécurité.

Laurine n'hésita pas, elle se faufila par le trou et se retrouva dans la rue.

— Il est là-bas.

L'homme posa délicatement ses longs doigts crochus sur la main de l'enfant. Un sentiment de satisfaction s'imposa à Keira alors qu'un horrible rictus déformait le visage du kidnappeur. Il mena sa victime vers une voiture noire. Une Chevrolet. La médium perçut une pointe de doute, le doute de Laurine. Elle réalisait que quelque chose clochait. Quand ils s'arrêtèrent devant le véhicule, elle demanda à retourner à l'école. Sans se préoccuper de ses protestations, l'homme plaqua sa main sur la bouche de la fillette et ouvrit la porte de la voiture.

Keira sentit une peur panique s'emparer d'elle, une boule dans l'estomac, elle aurait voulu crier, mais en était incapable. Son corps était secoué de violents tremblements. Puis l'homme poussa Laurine dans l'habitacle et tout s'arrêta brusquement. Plus de peur, plus de doute. Plus rien. Il referma la portière, se dirigea tranquillement vers la place du conducteur et démarra.

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