Chapitre unique

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Là-bas, on ne l'écoutait pas quand elle parlait. Ses seules options étaient l'ignorance ou le silence et ce n’était pas elle qui choisissait. Pourtant, le matin, la petite fille était contente d’y aller, d’apprendre des choses, de s’installer en classe. Cela lui valait des regards en biais qu’elle savait juste lire comme sa sentence du jour. On la disait « chouchoue des profs » mais elle avait des notes moyennes, contrairement aux vrais bons élèves. Alors, elle ne savait pas bien où se mettre pour se faire accepter. Au fond, était-ce vraiment cela, son souhait ? Se mettre quelque part pour se fondre parmi les gens ?

Timide, elle était nulle en maths et tremblait à la moindre question sur le sujet ; le rouge lui montait aux joues, ses mains dégoulinaient de peur et elle répondait souvent faux, tétanisée à cette idée qu’on la jugerait encore. Toujours, elle appréhendait d’être au centre de l’attention. Oui, parce qu’elle n’avait pas l’habitude qu’on l’entende et qu’on évalue sa réponse pour lui en donner une en retour. La plupart du temps, on lui lançait : « On s'en fout de ton avis. » ou pire, on ne lui répondait pas. Elle en entendait des soupirs, elle en voyait des roulements d’yeux exaspérés de son intervention. Il lui était interdit d’être elle-même, mais elle ne pouvait pas non plus être quelqu’un d’autre car on ne lui laissait de place nulle part.

Là-bas, on ne l’écoutait pas quand elle parlait. Alors elle s’était cachée derrière une fille populaire, pour aborder ceux qu’elle voulait pour camarades. Celle-ci, elle était belle. Les garçons lui parlaient, ils ne la poussaient que pour attirer son regard. Celle-ci, elle ne gênait personne, au contraire. Elle était même bonne écolière et puis elle dessinait bien. Incapable d’en faire autant, à bout de force, la première a commencé à coucher sur papier des poèmes de souffrance. La feuille blanche, c’était la seule qui lui offrait un espace. Ici, avec sa véritable amie, elle allait mal mais bien mieux que là-bas. Ici, elle en a versé des larmes, dans les bras des mots, à chercher l’énergie d’afficher un sourire derrière lequel personne ne pourrait rien voir de tout cela.

La petite fille avait grandi aux côtés d’une voisine, si proche, si gentille, si courageuse et pourtant si caractérielle. Cette autre était son refuge, elles chantaient ensemble au rythme de musiques tantôt calmes, tantôt effrénées. Elles se confiaient des secrets par les yeux, par des jeux, par des moments de révisions. Grâce à celle-ci, la première pouvait mieux respirer. Mais au moment de devenir demoiselle, le chemin s’est scindé en deux routes parallèles. Aussi, elles ont continué à évoluer côte à côte, à se faire des signes, à s’aimer, mais sans fouler le même gravier. Alors dans les moments où on l’appelait « Pot de peinture » parce qu’elle essayait de faire comme toutes celles-là, la petite fille trop à l’étroit dans son corps de femme manquait à nouveau d’oxygène.

Là-bas non plus, on ne l’écoutait pas quand elle parlait. Elle ne savait plus vraiment dire son nom ou énumérer ce qu’elle aimait ; on ne lui demandait jamais. Elle ne savait plus apprécier d’être en classe. Protégée par sa mère martiale, ignorée par son père maladroit, elle s’était réfugiée derrière beaucoup d’identités, jusqu’à ce qu’on l’appelle « La Copie ». Elle se sentait bien dans la nuit, peut-être mieux qu’avec ses phrases trop courtes et, bientôt, elle pensa à y rester toujours.

C’est au moment où elle tendit la main pour saisir l’obscurité que la lumière fut. Si douce, si jolie. Et cette chaleur, incarnée dans toutes ses rencontres, lui permit de découvrir que, voir exister son prochain, peut être réconfortant. Aussi cruel avait-il été jusqu’à maintenant, le Rejet devint son ami pour créer, se renforcer, avancer et choisir ce qu’elle deviendrait. « Vivre pour les autres » fut son choix pendant un temps et il lui fallut des années encore pour rencontrer celle qu’elle avait toujours été. Ce fut le plus dur de ses labeurs, bien plus que les maths. Oser ainsi se dire « Je suis et j’ai le droit d’être. » reste néanmoins sa plus grande fierté aujourd’hui.

Elle se demande toujours si elle a pu vraiment guérir de ces marques laissées sur son coeur, à coup d'insultes et de moqueries, à coup de dévalorisation et de négligence. Certains se font frapper à l’école. « Ne vivent-ils pas pire ? ». Là n'est pas la question. Elle sait que, dans tous les cas, ce sont de bien vilaines blessures qui rendent la vie plus difficile à aborder. Des souvenirs qu’après des années elle hésite toujours à embrasser car ils sont devenus un mal de soi. Mais elle sait aussi que ces cicatrices de l’âme permettent de grandir, même si elles tirent. Elles nous ramènent vers le bas, souvent, mais vers le haut, parfois. C’est en cet espoir qu’elle a trouvé la force de câliner le soleil. Sa foi en elle ne lui a pas brûlé les ailes, mais lui a permis de s’envoler vers sa propre personnalité. Et là était son véritable souhait : se mettre quelque part pour partager avec les gens.

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