Qui sommes-tu ?

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 – Qui es-tu ? Qu'est-ce que tu es ?

Ces questions s’expulsèrent d’elles-mêmes hors de ma bouche, coupant la créature dans son monologue. Je n'avais même pas eu le temps d'y penser. La créature s’interrompit. Je n’arrivais as à deviner ses émotions. Dans ses yeux, il restait une étincelle d’infinie gratitude, mais elle vacillait face au travail de l’intellect. Cet instant ne resta pas longtemps en suspens.

 – Je ne sais pas. J'ai toujours vécu dans cet entrepôt, me répondit-elle d'un ton très naturel,   comme si la réponse avait coulé de source.

 – Savais-tu que ce liquide noir allait te donner la parole ?

 – Et toi, qu’es-tu ?

 – Tu n’as pas répondu à ma question.

 – Toi non plus.

C’était un dialogue de sourds. Je peux présumer qu’il connaissait l’effet du liquide de cette flasque sur son organisme, sinon il ne l’aurait pas tant désiré. Aurait-il préféré l’ingurgiter ? Je me décidai à faire un pas vers lui.

 – Je suis un homme.

 – C’est ce que je vois.

 – Cette réponse semble ne pas te convenir.

 – En effet, « homme » est un terme bien vague. Es-tu ce qu’on appelle un « homme bien », un « grand homme », un « homme made », un « homme de Lettres », un « homme encule », un « homme in idées », « un « ohm primordial » ? Tu vois, il y a autant d’hommes, que d’hommes.

Sa tirade me laissa coi. Je ne compris pas où il voulait en venir. Je ne compris rien. Il semblait sourire.

 – Je ne sais quoi te répondre. Je te propose cette question : que faisons-nous dans cet entrepôt étrange ?

Il ne me répondit pas. Ses yeux semblaient aussi confus que les miens. Aucun son ne sortit de sa bouche dissimulée derrière ses appendices tentaculaires. Je ne pourrais l’expliquer, mais cette créature m’inspirait de la sympathie, une sympathie rare que je n’avais éprouvée pour personne, même pas pour ma compagne que je connais depuis une douzaine d’années. Cette créature, débout au milieu de cet improbable couloir d’entrepôt, me rappelait l’enfant perdu dans ma vie d’adulte.

 – Tu te sens perdu au milieu de ces vieilles caisses ? me questionna-t-il après un certain temps uniquement emplis de silence.

 – Je sais que je dois trouver quelque chose ici, mais je ne sais pas quoi, ni ne sais où.

 – Alors pourquoi la chercher ?

 – Parce que je sais qu'une fois que je l'aurais trouvée, je pourrais sortir d'ici en toute tranquillité.

 – Et si c'était moi que tu cherchais ?

 – Non, impossible, je ne sais même pas ce que tu es. Et on ne va pas dans un entrepôt pour trouver une créature, enfin, une personne, enfin, quoi que tu sois.

Il parut quelque peu s’offusquer, pris un air très sérieux et me tourna le dos. Je ne pouvais que deviner qu’il réfléchissait ardemment à une réponse à me donner. Ses tentacules gigotaient toutes dans la même direction, soumises aux vents brassés par ses réflexions intérieures. LE tableau me troubla et m’inquiéta. Un ange passa, je voudrais dire presque littéralement, caché dans la poussière qui se souleva. Un rire vint de nulle part. La créature se tourna, leva sa tête et me fit face ; avait-elle encore grandit ? Elle me fixa droit dans mes yeux et me dit : « Je suis ce que je veux bien être, toi, tu es ce que tu as décidé d’être, un chercheur. ». Il se tourna à nouveau, cette fois-ci, il semblait vouloir me montrer son dos. Vu de ce point-là, les tentacules prenaient des aspects de dreadlocks. L’odeur d’herbe imprégna presque aussitôt la poussière. Il me rappelait vaguement une sculpture exotique que j'avais vu en voyage, à moins que ce ne soit dans une brocante.

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