Dans la boîte dont elle déchira à la hâte le papier, une petite feuille couverte d'une écriture penchée, serrée, minuscule, comme honteuse :

Ma Chère enfant,

Tu ne seras sans doute pas peu surprise que je t'envoie ce colis après vingt ans de mutisme, mais il est temps que tombent les masques.

Sache donc que pendant tout ce temps passé à jouer l'indifférence, j'ai pensé à toi chaque minute. Nous ne nous reverrons probablement pas. Alors, avant que la maladie qui me ronge ne finisse de dévorer mon corps et que ne s'effacent les derniers échos de mon passage sur cette terre, je renonce à ma vaine fierté et mets fin à mon silence : je voudrais tant que tu comprennes !

Le cahier qui accompagne cette lettre a recueilli jour après jour mes quelques joies et mon insondable peine ; il a été mon seul confident dans le grand vide que m'a causé ton absence : lis-le, et tu sauras qui j'ai été.

Alors, peut-être, ne reproduiras-tu pas mes erreurs...

Je t'embrasse,

Ton faible père

Anne relut le texte trois fois, sans prêter attention à la petite qui s'accrochait à elle :

- Maman, y a papa !

Elle dut s'asseoir, comme fiévreuse, envahie d'un sentiment qui tenait de la surprise, de l'incrédulité, de la fureur aussi.

- Maman, ya papa !

Charles arrivait, en effet. Il monta en sifflotant les marches du perron et frappa. Anne secoua sa stupeur et alla lui ouvrir :

- Emmie est prête.

Il prit sa fille dans ses bras, l'embrassa dans le cou en la chatouillant, ce qui la fit éclater de rire. Puis, regardant Anne :

- Ca va ?

- Et toi ?

- On dit 18 heures, pour dimanche ?

- Ok.