A côté de la plaque (Lucas)
— Non, mais j’hallucine, vous êtes témoins les filles, ce mec est parti sans payer, non ?
Gaël, Nadia et Laure me regardaient méchamment.
Le revolver avait changé de camp. J’hésitais à lever les bras, en signe de reddition. Heureusement, je venais de débarrasser leur table et avais mon plateau encore dans les mains.
— Et toi, Lucas, tu ne lui dis rien. Il y a un truc qui m’échappe. Il faut porter des piercings pour avoir les faveurs du serveur, c’est ça ?
— Qu’est-ce que tu me racontes, Gaël ? dis-je, avec aplomb.
— Oh, punaise, t’es vraiment à côté de la plaque, ce matin. Le grand dadais à la perruque violette, à qui tu as servi un café, vient de sortir comme une furie. On l’a tous vu.
Je clignai des yeux, piètre diversion pour assimiler l’information. J’étais dégoûté de m'être fait avoir comme un bleu. Cela me fit l’effet d’une douche froide. Mais hors de question de le montrer.
— Ouais, j’ai vu.
— Et on peut savoir pourquoi ? annonça en chœur le trio.
— Non, mais c’est bon, laissez tomber. Je n'allais pas le courser dans la rue pour un simple café.
— En plus de la clope que tu lui as gentiment offerte, s’étouffa Gaël.
— Je ne savais pas que vous nous espionniez à ce point. C’est pas joli joli.
Gaël rougit légèrement.
— Non, mais c’est pas ça…
— Bah si, un peu quand même. On ne l’a jamais vu ici. Tu sais d’où il vient ? Il est trop beau ce mec, s’emporta Laure, toute excitée.
Aussi beau qu’il était con, aurais-je voulu ajouter.
— Pas aussi beau que Marc, mais je dois reconnaître que je serais curieuse de le connaître, renchérit Nadia, plus mesurée.
— Ne vous emballez pas les filles, après ce qu’il a fait, on n’est pas prêt de le revoir.
— Dommage !
— Ouais, vraiment dommage, renchérit l’étudiant dont la tête de déception prouvait que lui aussi avait dû ridiculement fantasmer. Je me doutais qu’il n'était pas net ce type.
J’avais envie de lui donner raison, mais coller des étiquettes aux gens n’était pas dans ma nature.
— On peut peut-être passer à autre chose, non ? Vous avez vu l’heure qu’il est ? Vous allez finir par être en retard à la fac.
— Oh, mais t’as raison, Lucas ! Allez les filles, on lève le camp, s’écria Nadia que je savais la plus sérieuse des trois.
Aussitôt, le trio obtempéra. Gaël sortit son portefeuille et déposa la monnaie sur la table.
— Je ne voudrais pas que notre serveur préféré pense que l’on peut tout se permettre ici, dit-il pour enfoncer le clou.
Je ne fis aucun commentaire, si ce n’est celui de leur souhaiter bon courage pour leurs études, et j’allai déposer mon plateau sur le comptoir.
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