6. Un jeu à double tranchant
Cette nuit, alors que chaque enfant dans le monde s’endort apaisé, des centaines d’entre eux se tordent dans leur lit, leur canapé, parfois leur bout de trottoir, et luttent contre le sommeil pour être certains de voir le prochain jour se lever. Et pourtant, avant minuit pile, tous les enfants du diable se plongent dans un profond sommeil. Et tous, quelques secondes plus tard à peine, se retrouvent de nouveau dans cet amphithéâtre nauséabond.
La première chose que les enfants remarquent, c’est la présence du diable face à eux. Il est paisiblement assis sur son bureau, les jambes croisées, la tête baissée vers le sol, l’air songeur. Il ne semble même pas avoir remarqué que ses enfants ont répondu à son appel malgré eux, et qu’ils attendent la suite avec excitation, ou horreur.
Finalement, il se lève d’une manière décontractée, et affiche un sourire satisfait avant de prendre la parole.
« Bonjour, mes enfants. Je vous ai manqués, depuis la nuit dernière ? »
Il semble attendre des réactions de la part de son auditoire, mais celui-ci garde le silence. Comme déçu par leur comportement, son sourire se transforme en grimace, avant d’afficher des dents blanches comme neige.
« Félicitations ! » hurle-t-il soudainement en levant les bras. « Vous voilà entrés dans la compétition. Bien que certains d’entre vous n’aient pas encore assimilé toutes les règles… » continue-t-il en faisant des allers-retours devant son bureau, les mains croisées dans le dos. « D’autres ont déjà une victime à leur tableau de chasse ! »
A cette nouvelle, des murmures s’élèvent, se transformant bien vite en un brouhaha incompréhensible de langues et dialectes incompatibles. Quelques-uns des enfants se lèvent de leur siège pour mieux regarder autour d’eux : certains sièges sont vides. L'amphithéâtre comporte exactement 510 sièges, prévus pour le début de la compétition. Cette nuit, seuls 500 enfants du diable répondent à l’appel. Sur les fauteuils restants trône maintenant une étiquette.
Kamil, comme beaucoup d’autres, scrute les alentours. A sa droite, il a l’horreur de constater qu’une chaise est vide. Sur celle-ci, une feuille semble avoir été scotchée il y a peine quelques secondes. Il se penche pour y lire les mots inscrits : “Julien Ottel - éventré par Kamil”. Un frisson lui parcourt tout le corps. Il aurait voulu oublier les événements de la veille, mais le voilà étiqueté comme tueur à présent, et son nom est désormais visible aux yeux de tous.
Judith, de l’autre côté lance un coup d’œil par dessus l’épaule du jeune tueur et parvient à voir les quelques mots inscrits sur la grossière feuille en papier qu’il tient en main. Qui que soit ce Kamil, il est dangereux, pense-t-elle. Mais un sourire que personne ne peut voir se trace sur ses lèvres, un sourire diabolique car il reflète une pensée bien trop malsaine pour une enfant de quinze ans. Malgré toute la volonté du monde, elle ne peut s’empêcher de réaliser que la mort de déjà dix candidats est un pas de plus jusqu’à la victoire.
« Comme vous le voyez, mes enfants » tonne le diable de sa voix grave, dispersant instantanément les protestations, « éliminer un des vos frères et sœurs vous donne un avantage, mais votre nom est à découvert. Aussi, celui ou celle qui trouvera une méthode plus sophistiquée que la précédente sera récompensé comme il se doit. Alors, creusez-vous les méninges, et bonne compétition ! »
Dans un nuage de poussière, le diable tourbillonne sur lui-même avant de disparaître sous les yeux ébahis des enfants.
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