Une vie d'esclave
Andei avait perdu ses bébés. Même si cette triste aventure l’avait laissé en sale état, Sorj s’en réjouissait. En outre, une fois sorti de l’emprise de l’ældien, Andei semblait avoir repris son comportement normal.
— Je suis désolé pour la dernière fois, s’excusa-t-il, penaud. Je ne sais pas ce qui m’a pris.
Sorj chassa ses excuses d’un revers de la main.
— Ce n’était pas de ta faute.
Andei osa relever les yeux et échanger un regard avec Sorj. Cette communion silencieuse se passait de mots.
Sorj avait obtenu le droit de revoir Andei, ce qui lui avait permis de reprendre contact avec lui et leur avait redonné espoir à tous deux. Mais il pouvait obtenir encore plus. L’ældien continuant à le convoquer, Sorj se dépassait pour le satisfaire. Le Maître ne cherchait même plus à savoir s’il était dans son état normal ou non. Et quand Brüder tenta de lui faire prendre ses pilules, Sorj put lui annoncer que cette précaution s’avérait désormais inutile.
— Je le satisfais pleinement. Il vous le dira lui-même.
Brüder le regarda en penchant la tête sur le côté, la mine incrédule.
— Bien… Je vois que vous avez fait bon usage de vos leçons ! claqua-t-il, sarcastique. Je vous avais dit que vous finiriez par aimer ça.
— C’est grâce à votre entrainement, répliqua Sorj sur le même ton.
Brüder le fixa en silence, puis partit d’un air pincé.
Mais bientôt, Sorj sentit que satisfaire l’ældien au lit ne suffirait plus. Il fallait réussir à le divertir, ou, mieux, à se rendre indispensable, comme Brüder l’était. De plus en plus, entre deux séances d’accouplement intense, Sorj se laissait aller à parler. Il parlait de sa vie sur le front, des batailles spatiales auxquelles il avait participé, des colonies éparses qu’il avait observées. Et l’ældien l’écoutait. Une nuit, à moitié assoupi, il lui demanda même son nom.
— Je m’appelle Sorj, répondit le susnommé, stupéfait.
L’ældien roula sur le dos. Il était nu, repu de sexe, son corps sculptural brillant sous l’étrange lumière de la cabine. Il tirait sur une longue canule, reliée à un tube, d’où sortait une fumée sucrée.
— Sorj, répéta-t-il de son accent guttural. Mon nom à moi, c’est Nimrod.
Sorj n’en croyait pas ses oreilles. Brüder avait lâché le nom de son maître un jour, mais il aurait pu être puni pour ça : les ældiens ne donnaient jamais facilement leur nom. Il avait vraiment dû gagner sa confiance pour l’obtenir. Ou alors, c’était ce qu’il fumait, qui abaissait ses défenses.
Un jour, il le trouva debout dans ses quartiers, entièrement vêtu, les cheveux tressés en une longue natte blanche qui descendait sur son épaule. Il baissa la tête, soumis, et se dirigea vers le lit, prêt à présenter sa croupe au Maître pour qu’il dispose de lui. Mais celui-ci lui désigna l’espace salon au milieu de la pièce.
Sorj s’y installa prudemment. En règle générale, la nouveauté ne valait rien de bon. Sa stupéfaction atteignit des sommets lorsque l’ældien lui-même s’empara d’un flacon de son alcool extraterrestre et en poussa une coupe pleine vers lui, du bout de ses impressionnantes griffes.
— Mon clan se réunit pour coordonner une opération d’envergure, annonça-t-il d’une vois spectrale. Je dois m’y rendre, et tu m’accompagneras. Tu ne parleras que si on te sollicite, et que je t’y autorise. Est-ce clair ?
Sorj hocha la tête.
— Oui, Maître.
— Bien. Maintenant, finis ton verre et retourne au lit.
S’il avait su ce qu’il l’attendait, Sorj aurait sans doute perdu sa détermination à gagner la confiance de leur ravisseur. Il comprit qu’il s’était embarqué dans une aventure fâcheuse lorsque Brüder arriva pour le harnacher, un sourire éclatant sur le visage.
— Le Maître vous emmène à l’assemblée de son clan. C’est un grand honneur. Tâchez de ne pas lui faire honte avec vos manières mal dégrossies !
— Il me fait confiance, répliqua Sorj.
— Tant mieux ! Allez, pressez-vous contre la table. Je dois vous apprêter comme un esclave digne de ce nom.
Un esclave digne de ce nom… connaissant la perversité des ældiens, ça allait encore être quelque chose de désagréable et d’humiliant. Ses craintes furent confirmées quand Brüder posa un coffret noir sur la table, et en sortit un phallus d’iridium noir, de taille évidemment gigantesque, monté sur un savant jeu de chaînes et de sangles.
— J’imagine que vous êtes suffisamment entrainé pour pouvoir porter cette taille, triompha Brüder en enduisant la chose de lubrifiant. Allez, tendez vos belles fesses !
Sorj dut obéir. Il posa ses avant-bras sur la table d’examen et inspira profondément, se préparant pour recevoir la chose. Il savait d’expérience que plus vite il obtempérerait, plus vite ce serait fini.
— Combien de temps vais-je devoir le porter ? s’enquit-il en refrénant une grimace.
Brüder n’y allait pas de main morte.
— Aussi longtemps que vous paraîtrez en public. Ah oui, et je dois vous dire : il se peut que d’autres ældiens vous manifestent de l’intérêt, et que le Maître accepte de vous prêter pour les honorer, ou pour obtenir quelque chose. Dans ces cas-là, évidemment, on attendra de vous une coopération totale. Avec la meilleure volonté du monde, comme vous savez si bien faire !
Sorj garda le silence. Brüder boucla les sangles qui maintenaient le phallus en place, enfilant la dernière attache – qui ressemblait à une petite cage – sur ses parties génitales, épilées de près.
— Voilà qui vous encouragera à le garder bien enfoncé en vous. Dès que vous tenterez de l’expulser, la pression grandira sur vos testicules. De quoi calmer un zubron atteint de prions !
Brüder lui lia ensuite les poignets dans le dos, et boucla une chaîne à son collier. Pour finir, il lui enfonça un mors entre les dents. L’androïde poussa le vice jusqu’à lui présenter son image dans un miroir.
— Voilà, vous êtes tout beau ! Un esclave de plaisir aussi viril et musclé, ça plaira aux amis du Maître. Il sera sûrement obligé de vous prêter ! Vous allez regretter l’indulgence de la verge artificielle…
Sorj réalisa qu’il allait exhiber comme un trophée, une prise de guerre, comme ces femmes dans les histoires antiques. Pendant un bref instant, il avait cru que le Maître sollicitait son avis sur la stratégie et voulait en faire profiter son clan. En réalité, il ne le prenait que parce qu’il l’estimait assez soumis.
Et moi qui y ai cru pouvoir parvenir, à défaut de respect mutuel, à un terrain d’entente, regretta Sorj.
Mais le Maître l’emmenait pour le faire tourner à ses amis. Comme une vulgaire putain.
— Andei est encore trop fragile, expliqua Brüder. Il ne survivrait pas à une telle rencontre. Le Maître a encore bon espoir de pouvoir l’inséminer, alors il restera ici.
Sorj s’était résigné à l’intense nuit de viols qu’il allait subir. Au moins, Andei ne vivrait pas ce cauchemar.
— Maître, tenta Sorj en voyant arriver l’ældien, hiératique dans son armure.
Mais Brüder verrouilla son mors immédiatement, lui ôtant la parole. Puis il tendit respectueusement la chaîne au Maître, qui la fixa à un crochet de son armure, sur son bras. Sorj dut trottiner derrière la haute silhouette bardée d’épines d’iridium dans les couloirs du cair. Nimrod ne lui accorda même pas un regard.
Du vaisseau de son Maître – l’un de ces bâtiments de guerre fuselés que l’on appelait « cair » – Sorj n’avait pas vu grand-chose. Il connaissait le quartier des esclaves, où Andei et lui étaient détenus, la salle d’examen et, bien sûr, cette étrange cabine amirale dans laquelle Nimrod les recevait pour ses petites parties fines. Il découvrit que le vaisseau était bien plus spacieux que ce qu’il avait cru de prime abord, et qu’il recelait son lot de surprises. C’était une véritable cathédrale noire, qui s’élevait vers des hauteurs infinies. Une sorte de dispositif virtuel – Sorj ne pouvait croire qu’un concepteur, même extraterrestre, eut affaibli la structure en plaçant une baie à cet endroit-là – donnait l’illusion de voir l’espace et les étoiles.
Nimrod ne laissa pas à son esclave le temps d’admirer toutes ces merveilles. Il lui fit parcourir la travée centrale à pas de course, jusqu’à une immense boule iridescente, qui tournait lentement sur elle-même en émettant d’étranges pulsations. Sorj recula, instinctivement.
Nimrod se tourna vers lui. La lumière se reflétait sur son masque, accentuant les angles aigus et lui donnant une expression cruelle.
— C’est un portail. Et nous allons le traverser.
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