Gerald : le rêve
Les plantes devaient diffuser un narcotique, car après ce qui lui sembla des heures et des heures de jouissances si intense que cela confinait à la douleur, Gerald finit par sombrer dans une sorte de torpeur.
Et il rêva.
De nouveau, il revivait un épisode vécu lors d’une « traite » effectuée par le Centre médical de la station. Avant d’être relâché dans la nature, on le gardait en observation. À chaque fois, c’était le même agent infirmier qui venait s’occuper de lui. Une fille. Elle lui changeait ses sondes, lui refaisait ses pansements... sur des plaies déjà refermées, la plupart du temps. Lui apportait ses repas. Pour Gerald qui ne côtoyait personne — et encore moins des femmes organiques, en âge et en capacité de procréer —, cette jeune personne presque pas modifiée était un ange des cieux. Au fil du temps, il en était venu à développer envers elle un sentiment d’attachement déraisonnable.
Mais il n’osait pas lui parler. Surtout, la plupart du temps, il était trop faible pour le faire. Jusqu’à ce jour-là.
Gerald était dans un meilleur état que d’habitude. Tout à fait conscient, il l’avait observée, les paupières mi-closes, la jeune infirmière lui retirer les cruels cathéters qui lui mordaient la chair. Et à un moment, leurs regards s’étaient croisés.
— Déjà réveillé ?
Sa voix était aussi rafraichissante que l’eau.
Gerald avait répondu par un sourire nonchalant. Celui dont ses clients, des ouvriers des usines à viande que le peu de revenus condamnait à la chair et ses besoins, disaient qu’il était le plus charmant. Malheureusement, il ne sembla faire aucun effet sur la jeune infirmière.
— Bien. Tu vas pouvoir sortir, alors, dit-elle froidement. Je vais prévenir un fonctionnaire médical.
— T’as quel âge ? avait demandé Gerald en ignorant sa dernière réplique.
Elle avait son âge, il en était sûr. Et elle n’avait jamais connu d’homme : il pouvait le sentir au parfum délicat qui se dégageait de son entrejambe. Maintenant que les fièvres étaient finies, cette odeur ne l’excitait pas. Mais elle lui évoquait le voyage, la tendresse d’une femme, et surtout, une autre vie.
— Je ne suis pas autorisée à révéler des informations personnelles aux patients, avait répondu la fille en replaçant le drap sur son ventre.
— Moi, j’ai dix-neuf ans. Tu sens bon.
L’infirmière n’avait pas répondu.
Au moment où elle allait partir, Gerald l’avait retenue en crochetant du doigt le revers de sa veste.
— Non attends... ne pars pas.
La fille s’était arrêtée. Elle avait baissé son regard vers lui, et soudain, Gerald avait réalisé qu’elle le regardait comme un insecte répugnant, du style de ces blattes grasses qui pullulaient dans les systèmes d’aération où il se terrait la nuit pour dormir.
— Qu’est-ce que tu veux ?
— Juste... juste te parler, avait-il réussi à articuler.
La fille avait plissé les yeux.
— Me parler ? Et pourquoi donc ?
— Je pensais que... qu’on aurait pu faire connaissance ?
Il s’était presque excusé. Personne ne lui parlait jamais, si ce n’était pour lui dire de dégager, ou d’ouvrir sa bouche et de prendre la bite.
— J’ai rien à te dire, avait confirmé la fille. Rien.
— Mais pourtant...
Elle était si gentille avec lui, chaque jour ! Elle le soulageait tellement !
— Pourtant quoi ?
— J’avais pensé qu’on pourrait être amis, avait-il lâché dans un souffle.
La fille s’était écartée brusquement.
— Amis ? Non mais qu’est-ce que tu t’imagines ? Tu crois que je veux coucher avec un mutant, dont je dois éponger tous les jours les humeurs dégoûtantes ? Y a pas plus écœurant que ce liquide répugnant que je dois tirer de ta queue matin et soir. Alors ferme-là, et laisse-moi faire mon travail !
*
Gerald ouvrit les yeux sur ce souvenir. Il n’était plus au dispensaire public, et il n’était plus sur la station orbitale où s’était déroulé ce triste épisode. Il était autre part, dans un endroit où régnait une chaleur étouffante, et où des plantes bruissaient dans le noir, œuvrant à de sombres desseins.
Il était sur un vaisseau extraterrestre. Attaché à une table, nu, impuissant. Violé par un robot... et par des plantes extraterrestres.
Une terrible douleur lui déchira les entrailles. Gerald voulut se tordre, mais ses liens l’en empêchaient. Alors, il hurla.
Le robot — Brüder — revint à ce moment-là.
— Ah, ça a commencé, à ce que je vois ! Parfait.
Avec un claquement de plastique, il enfila des gants opaques sur ses mains fines et élégantes.
— Tu en as bien profité, observa-t-il en épongeant la table maculée de semence blanche. Mais toute bonne chose à une fin, et maintenant, il faut payer !
— Enlevez-moi ces saletés ! aboya Gerald entre deux grimaces.
Brüder le contempla avec étonnement, un sourcil levé.
— Eh bien... quelle combativité ! Et moi qui te croyais maté... mais tu as encore de l’énergie à revendre ! Parfait : tu en auras bien besoin pour l’expulsion des graines. Comme tu le vois, les plantes qui t’ont inséminées sont toutes mortes. Il faut une nouvelle génération.
Gerald baissa les yeux sur son corps. Il était couvert de filaments rougis et séchés. D’énormes lianes bien grasses et veineuses qui lui avaient si impitoyablement ramoné le cul, il n’y avait plus trace.
De nouveau, il sentit ses entrailles se serrer. Il était secoué de spasmes.
— Les graines induisent une réaction physiologique pour sortir, expliqua Brüder en se penchant sur lui. Une réaction à laquelle tu es peu habitué... je vais t’aider.
Lorsque le robot enfonça un doigt dans son anus meurtri, Gerald gémit. Brüder l’enduisait copieusement de lubrifiant, un demi-sourire sur les lèvres.
— Voilà. Je sens qu’il y en a une qui vient...
La douleur saisit à nouveau Gerald. La chose pesait sur ses entrailles comme une boule de billard. Une graine, ça ? En la sentant descendre dans son rectum, Gerald se débattit. Il avait l’impression qu’il allait déféquer. Surtout pas devant le robot, jamais !
— Je la vois. Elle arrive ! La première est vraiment grosse.
Cette sensation... l’impuissance, l’humiliation. Gerald sentait son anus se distendre, jusqu’au point de rupture. Et bizarrement, dans ce sens, c’était presque pire que dans l’autre, lorsque ces lianes démoniaques l’avaient violé.
Mais — à l’instar de ce qui s’était passé avec les plantes — c’était aussi vicieusement bon. Lorsque la chose passa ses sphincters, Gerald eut la vision fugitive d’autres organes, plus noirs et plus sculptés, plus gros, aussi. Cela ne dura que quelques secondes, mais fut suffisant pour le faire jouir violemment, et expulser l’intrus de son rectum dans le même temps. Il pensait ne plus avoir une goutte de sperme en lui... Mais à en voir le filet blanc qu’il éjacula, c’était, de toute évidence, le contraire.
— Magnifique, le félicita Brüder de sa voix mielleuse. Tu vois, ce n’est pas si terrible. Ça fait un peu mal au début, bien sûr, mais à chaque fois qu’elle passe, la graine te provoque un orgasme !
Gerald laissa retomber sa tête en arrière. Sa nuque, ses tempes étaient trempées. Il ne savait pas s’il allait résister à la même agonie de jouissances que tout à l’heure.
Non. Je vais mourir, pensa-t-il.
Mais il n’avait plus la force de lutter. Les plantes lui avaient tout pris. Tout.
Brüder agita la graine devant Gerald, saisie entre les dents d’une grande pince. La chose avait la taille d’un gros noyau de simili-avocat.
— Voilà qui nous donnera un plant vigoureux. On n’a plus qu’à attendre l’autre...
— Combien y en aura ? réussit à articuler Gerald entre deux halètements.
Brüder sourit, dévoilant des dents d’une blancheur éclatante, parfaitement alignées.
— Oh, une petite centaine ? Pas grand-chose : il nous restait peu de plantes. Mais grâce à toi...
Gerald poussa un couinement de détresse. Il aurait voulu montrer autre chose au robot que ce constat de défaite, mais il n’avait plus aucune force.
Et les spasmes le reprirent, comme une vague grondant au loin.
— Non...
Au-dessus de lui, le sourire du robot s’était élargi.
— Celui-là est plus gros. Je te remets du lubrifiant ?
Gerald était déjà parti dans son monde de douleur et de plaisir. Le deuxième sur une centaine...
Son calvaire était loin d’être fini.
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