CHAPITRE 5

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Dès que Gurvan posa le pied sur le pont, une voix éraillée l’arrêta. “Halte, on ne passe pas !”

Le jeune garçon chercha des yeux l’auteur de ces paroles, comme il l’avait fait avec l’arbre peu de temps auparavant. Encore une fois, seul le silence lui répondit.

Autour de lui ne se trouvaient que les arbres de la forêt, le petit pont couvert de lichens et le filet d’eau qui bruissait au-dessous entre les cailloux ronds.

  • Qui me parle ? demanda Gurvan en brandissant son épée devant lui.
  • Regarde à tes pieds, répondit la voix.

Gurvan contempla ses souliers et observa au travers des interstices entre les planches, l’eau cristalline qui coulait sous le pont.

  • Tu me vois, mais tu ne me regardes pas, ajouta la voix, sous lui.
  • Le pont ! C’est le pont qui parle ! réalisa Gurvan, frappé par l’évidence. Vous étiez un arbre autrefois, vous aussi, vous êtes capable de parler de coeur à coeur !
  • Eh oui, je suis le pont, mon cher Gurvan. Je suis le pont entre ton passé et ton avenir. Entre l’anonymat et la gloire, entre le diable et Dieu, entre le malheur et le bonheur, entre la misère et la richesse, entre le mensonge et la vérité, entre ce qui est et ce qui devrait être, entre ce qui est et ce qui sera…
  • Ca va, j’ai compris, le coupa Gurvan. Le Hêtre de Ponthus m’a dit de vous franchir pour rentrer chez moi, est-ce exact ?
  • Ah, cette vieille branche de Ponthus ! Toujours à se tourner les racines, celui-là ?
  • Euh…
  • Quel paresseux, tout de même, il n’a jamais rien fait d’autre que grandir et grossir, on ne peut pas dire qu’il se casse le tronc ! Moi, au moins, j’ai trouvé ma voie : je suis une voie. Vous voyez, Gurvan, je ne suis plus l’arbre inutile d’autrefois, dont la seule fonction est d’enfoncer ses racines plus profond. Je suis devenu un passage. Quand on vient sur moi, on ne peut y demeurer car il est impossible de vivre englué dans le présent. La vie, c’est le mouvement, la vie, ce sont les ponts.
  • Vous ne bougez pas beaucoup, pourtant, objecta gentiment Gurvan.
  • J’aide les hommes à bouger, c’est ma mission. Vous savez, Gurvan, j’ai beaucoup vécu. En tant qu’arbre d’abord, pendant très longtemps. Puis en tant que pont. Au début, je n’ai pas accepté ma métamorphose, j’ai tout fait pour dissuader les hommes de me couper, je me suis débattu comme j’ai pu, j’ai hurlé, mais ils ne m’ont pas entendu. Ensuite, j’ai accepté mon sort par dépit et je m’en suis accommodé. A présent j’en suis heureux et fier car j’ai compris le sens de ma transformation, le sens de mon existence. J’aide les hommes à bouger. Si je suis abîmé, on vient me réparer. Les arbres meurtris, eux, personne ne s’en occupe, ils meurent dans l’indifférence.

Gurvan serra son épée dans la main. Il hésita à préciser qu’il a soulagé la souffrance d’un arbre meurtri peu de temps avant. Il préféra remettre la discussion sur le bon chemin car les arbres, qu’ils aient un tronc ou forment un pont, sont d’incorrigibles bavards qui vous emmènent bien loin de votre point de départ. Lorsqu’ils vous offrent une réponse, vous en venez facilement à oublier la question que vous avez posée.

  • Vous me confirmez donc que je me trouve sur le chemin de ma maison ?
  • Oui, Gurvan.
  • Pourtant, je ne reconnais pas cette forêt et je n’ai pas l’impression de m’être tant éloigné de chez moi ? demanda Gurvan avant d’ajouter : j’éprouve l’étrange sentiment qu’on me conseille un long chemin alors que je pourrais emprunter un raccourci.
  • Le chemin le plus long n’est pas le moins rapide, mon ami. Le chemin le plus court…
  • N’est pas le plus rapide, j’ai compris, soupira Gurvan. Mais du coup, à quoi les ponts servent-ils ?
  • A éviter de se mouiller, mon ami. Ou de se blesser quand le ravin est profond. Le pont rassure, le pont protège...

Gurvan jugea que la conversation tournait en rond. Il observa le ciel qui s’obscurcissait lentement. Le soleil déclinait, il ne devait pas perdre plus de temps.

  • Je vous remercie de cette agréable discussion, mais je dois y aller à présent, on m’attend, fit-il.
  • Ce n’est pas si simple. Vous ne pouvez pas passer comme ça, répliqua le pont de sa voix grinçante.

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