CHAPITRE 11
Dans un souffle, le Hêtre de Ponthus chuchota, la voix tremblante : “File, Gurvan, file ! Morgane est furieuse !”
- Pourquoi, qu’ai-je fait ? demanda Gurvan.
- Je n’ai rien le droit de dire ! File ! ” exhorta le Hêtre.
- Et toi, que va-t-il t’arriver ? Je ne peux pas te laisser comme ça !
Le Hêtre ne répondit pas. Gurvan le supplia, en vain.
Un nouveau trait de lumière fendit l’air et s’abattit sur un gros chêne un peu plus loin, aussitôt suivi par un coup de tonnerre. Une odeur de brûlé parvint aux narines de Gurvan. Des flammes léchaient le tronc de l’arbre et commençaient à le dévorer tout entier.
Gurvan prit ses jambes à son cou et s’enfuit vers la roche brisée, aidé dans sa progression par la lumière de l’incendie naissant.
La seule issue, c’était le château. Il devait s’y rendre et vaincre le dragon pour sortir de ce cauchemar.
Faisant fi de toute prudence, Il dévala le sentier abrupt. Dans la précipitation, il glissa sur une pomme de pin traîtresse et finit sa descente sur les fesses, mais en un seul morceau.
Enfin, il parvint au pont de bois, essoufflé. Derrière lui, la colline rougeoyait et dispensait sa lueur infernale. Gurvan sentit sa gorge se serrer. “Pourvu que Ponthus ne soit pas…”pensa-t-il en n'osant prononcer mentalement le dernier mot de sa question.
- Halte, on ne passe pas ! ordonna le pont de sa voix éraillée.
- Ah, mon ami le pont ! Je dois passer, c’est urgent !
- Ce n’est pas si simple...
- Ah, oui, j’oubliais, la fameuse énigme… La réponse, c’est…
- Du calme, du calme, mon ami, le coupa le pont. Il me semble comprendre que vous me connaissez. Or, moi, je ne vous ai jamais vu par ici, même si je n’ignore pas votre nom, Gurvan.
Gurvan leva le sourcil. Pourquoi le pont avait-il oublié leur rencontre ? Souffrait-il de trous de mémoire ? “ Les vieux ponts sont certainement sujets à ce genre de souci. Ou alors, il se moque de moi ”, songea-t-il.
- Nous nous sommes parlé tout à l’heure, souvenez-vous ! protesta Gurvan. Nous avons longuement discuté !
- Si nous nous étions rencontrés plus tôt, je m’en serais rappelé. Ma mémoire est infaillible. Les arbres n’oublient pas. Chaque cicatrice dans notre chair est une marque indélébile qui ne se referme jamais.
- Bon, admettons, céda Gurvan qui n’avait pas de temps à perdre en palabres stériles. Je dois vite me rendre au château pour sauver la princesse, laissez-moi passer je vous en conjure !
- Tout doux, tout doux. Nous, les ponts, aimons prendre notre temps...
- Justement, je n’en ai pas, de temps !
- Nous, les ponts, avons tout le temps devant nous, alors que les hommes passent le leur à courir après…
- Justement ! Ponthus m’a dit de courir, et vite, car Morgane est en colère !
- Ah, cette vieille branche de Ponthus, comment va-t-il ? Quant à Morgane… Ses colères sont épouvantables, explosives, parfois meurtrières, mais elles sont également passagères. Elle se calme déjà. Regardez, là-haut, l’incendie prend fin et le jour revient.
Gurvan leva le nez vers la colline. En effet, les ténèbres se dissipaient et les flammes qui léchaient les arbres avaient disparu. Le calme était revenu, le ciel s’éclaircissait comme à l’aube du jour.
- Vous connaissez bien Morgane ? poursuivit le jeune garçon, intrigué.
- Bien sûr. Nous vivons tous sous son autorité et sa protection, mon ami. Elle est la reine de ces lieux depuis la nuit des temps.
- Savez-vous pourquoi elle s’est mise en colère ?
- Je ne puis le révéler. Certaines vérités sont semblables à des fleurs. Elles doivent attendre leur heure pour éclore. Donc, vous souhaitez passer, c’est bien cela ?
- Oui.
- Alors, vous devez répondre à une énigme.
- Je le sais, la traversée d’un pont se mérite.
- Ah, je vois que j’ai affaire à un esprit vif, j’aime cela. La voici : de mon grain naît le brin qui se révèle herbe, douce, furieuse, ou pure.
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