Rukkia avait toujours aimé tourmenter les humains. C’était tellement amusant !

Ces petits insectes si faibles et pathétiques le ravissaient ! Au début, Rukkia s’était juste contenté de les observer de loin, alors que Dieu les avait sagement parqués dans un beau jardin où ils vivaient d’amour et d’eau fraîche.

Puis il y eut la rébellion de Lucifer et la découverte du bien et du mal. Rukkia n’avait pas pu résister, il avait absolument tenu à rajouter son grain de sel : il s’était alors amusé à souffler des idées à Caïn. Le plonger dans une jalousie maladive fut d’une simplicité jouissive, jusqu’à cette fin en apothéose : le tout premier meurtre de l'Histoire !

Lucifer fut immédiatement porté pour responsable et si au début, ça l’avait beaucoup amusé, Rukkia regrettait finalement de n’avoir rien dit. Aujourd’hui encore, tout le monde n’avait que le nom de cet idiot à la bouche, alors qu’au final, c’était à Rukkia que revenait le mérite de quelques pires maux de l’humanité : l’enseignement des arts occultes, certains massacres de masse (il s’était particulièrement délecté de la Seconde Guerre Mondiale), l’idée de construire des armes de destruction massive…

A chaque fois, tel un sournois petit démon sur l’épaule de sa cible, Rukkia se contentait juste de souffler une seule et minuscule pensée empoisonnée. Le reste coulait ensuite de source, tant les humains étaient faciles à corrompre ! Ce n’était même plus drôle parfois et Rukkia commençait sérieusement à se lasser de ces pauvres et misérables larves.

Au final, il avait hâte de les voir bientôt éradiqués jusqu’au dernier. Vivement l’Apocalypse !

« Raaah cet accoutrement humain me serre et me gratte ! Sans parler de ces immondes chaussures ! Rukkia, pendant combien de temps encore vais-je devoir supporter tout ça ?! »

La voix courroucée de Vassago tira Rukkia de ses pensées. Poings et mâchoire serrés, l’imposant démon ne décolérait pas dans son beau costume qui lui allait pourtant si bien. Rukkia le trouvait tout simplement succulent… Il se passa une langue coquine sur les lèvres en imaginant tout ce qu’il aimerait bien lui faire là à l’instant. Son Vassy était une véritable tentation ambulante !

Il tranchait complètement dans cette pauvre supérette où Liam Arden et la Faucheuse avaient prétendument malmené une bande d’humains.

L’agent Marlo était en train d’en interroger quelques uns dans un coin, tandis que les autres attendaient leur tour en piaffant d’impatience.

Pendant ce temps, un policier se dirigea vers Rukkia et Vassago et leur tendit une feuille sur laquelle des traits avaient été délicatement dessinés au fusain.

« Le portrait robot demandé par l’agent Marlo. Je vous le donne parce qu’elle est encore occupée avec les témoins alors… »

Vassago s’empara brutalement du feuillet. L’autre détala sans demander son reste, tandis que le démon détaillait le portrait avec avidité.

« C’est elle », dit-il d’une voix encore plus rauque que d’ordinaire et Rukkia lui arracha la feuille des mains pour voir à quoi pouvait bien ressembler l’enveloppe humaine de ce maudit squelette encapuchonné.

De grands yeux au regard froid, une petite bouche pulpeuse… Des traits fins figés dans une moue boudeuse et encadrés par des cheveux raides comme la justice… Elle était tout simplement affreuse !

Mais qu’est-ce que Vassy pouvait bien lui trouver ?!

Les yeux plissés et un rictus de dégoût aux lèvres, Rukkia froissa rageusement le portrait d’une main, sous l’œil noir de Vassago. L’ange ne rata d’ailleurs pas le mouvement de colère de son compagnon et faillit à nouveau exploser de rage. Il se retint à grand peine pour ne pas lui jeter un sort en pleine figure. Non seulement, il ne voulait pas abîmer le si beau visage de son Vassy, mais ce n’était ni le lieu, ni le moment pour une scène de ménage.

Avec un sourire glacial, le regard ancré dans celui de Vassago, Rukkia transforma le feuillet en un petit tas de cendre… qu’il jeta ensuite négligemment sur les chaussures rutilantes du démon. Puis il tourna les talons et le planta royalement sur place, s’éloignant d’une démarche élégante.

Bouillonnant de colère, Rukkia se dirigea vers le groupe d’humains qui attendaient sagement leur tour pour se faire interroger. Il leur adressa un sourire éclatant et récolta les habituels regards fascinés.

Cette petite bande de larves était d’ores et déjà sous son charme. Rukkia pourrait leur demander de se trancher la gorge, tous le feraient immédiatement sans hésiter une seule seconde.

« Alors, alors, qui d’entre vous a vu toute la scène dans les moindres détails ? » demanda-t-il de sa voix de velours. Plusieurs mains se levèrent aussitôt. Toutes des femmes, ce qui lui arracha une grimace répugnée.

Dans un soupir de résignation, Rukkia porta son choix sur une femelle au visage peinturluré de maquillage et lui tendit une main qu’il se voulait galante.

« Veuillez me suivre s’il vous plait, très chère. Je dois prendre votre déposition à propos de Liam Arden. »

Il l’attira à l’écart, derrière des étagères, écœuré d’avance par ce qu’il allait devoir faire pour débusquer cette maudite Faucheuse. Mais plus vite ils l’auront trouvée, plus vite Vassago en aura fini avec ses fantasmes ridicules. La question des enfants sera également réglée.

Vassy et lui pourront alors retourner à leur petite vie tranquille.

Une fois à l’abri des regards, Rukkia saisit impérieusement le menton de la femme d’une main et rapprocha leurs visages. L’autre se laissa faire en frissonnant, les yeux écarquillés de terreur et de fascination mêlées.

« Et maintenant immonde petit insecte, tu vas me montrer tout ce que tu as vu », lui murmura-t-il d’un ton doucereux, tandis que les ténèbres transfiguraient lentement son visage. Sa victime esquissa un geste épouvanté, mais Rukkia ne lui laissa pas le temps de crier et l’embrassa à pleine bouche.

Il ne put retenir un frisson de dégoût quand ses lèvres se posèrent sur celle de l’humaine. Il dut ensuite faire un effort colossal pour ne pas vomir lorsque leurs langues entrèrent en contact. C’était plus fort que lui, les femelles lui inspiraient tout simplement de l’aversion.

Pressé d’en finir au plus vite, Rukkia s’insinua sans délicatesse dans l’esprit de sa victime, sans que cette dernière ne puisse y faire quoi que ce soit. Il navigua ensuite dans sa mémoire, se délectant un petit moment de sa vie pathétique, avant de trouver ce qu’il cherchait. Les souvenirs de ce soi-disant braquage.

Parfait. Rukkia approfondit davantage le baiser, ce qui lui permit de s’immerger complètement dans l’environnement où se trouvait la femme ce jour là. Il ressentit alors l’écrasante aura de la Faucheuse. Plantée dans un coin, cette petite idiote n’essayait même pas de la masquer.

Rukkia la trouva tout simplement ridicule dans sa robe fleurie. Non, mais quel mauvais goût ! Aucune élégance, c’en était navrant !

Il s’attarda un instant, le temps de s’imprégner complètement de l’aura de l’autre puis se retira des souvenirs de l’humaine... non sans y avoir déposé au passage quelques minuscules pensées parasites sur son mari, ses enfants... Et Rukkia se détacha de sa bouche avec un petit sourire perfide.

Il la repoussa ensuite sans délicatesse et elle s’affala contre l’étagère en poussant un pathétique cri d’animal blessé. Rukkia ne lui laissa pas le temps de souffler et lui effaça aussitôt les souvenirs de leur désagréable petit tête-à-tête d’une simple pichenette sur le front. Juste à temps, car l’agent Marlo leur tomba dessus, l’air furieux.

« Qu’est-ce que vous faites ici à l’écart avec ce témoin Rukkia ? Vous n’êtes quand même pas en train de flirter avec elle, n’est-ce pas ?!! »

L'interpellé esquissa un rictus dégouté en se détournant de sa victime d'un geste dédaigneux. L'autre resta plantée près de l'étagère, le regard dans le vague, tandis que Rukkia passait devant une Imogen Marlo mi-choquée, mi-furibonde. Il lui adressa un sourire éclatant.

« Ce que vous insinuez est tout simplement insultant, agent Marlo », lui susurra-t-il avec un petit rire. « Cette charmante créature me parlait juste du fabuleux repas qu'elle allait préparer à son adorable famille pour le dîner. Elle prévoit une soirée... mortelle, voyez-vous ? »

Il se dirigea ensuite vers la sortie de sa démarche nonchalante, attrapant le bras de Vassago au passage. Ce dernier se dégagea d’un geste brusque en grognant. Il lui gardait apparemment toujours rancune d’avoir brulé le portrait de sa « chère et tendre », mais il suivit quand même Rukkia dans le froid mordant, d'un pas boudeur.

« Vous allez où comme ça ? » lança l’agent Marlo dans leur dos. « On n’a pas encore fini d’interroger tous ces gens à propos de… »

« Inutile, j'ai déjà une piste à vérifier », la coupa Rukkia en agitant la main avec ennui. « Nous reviendrons vers vous plus tard agent Marlo. Amusez-vous bien avec ces pauvres insectes. »

Et ils quittèrent l’endroit, pressés de retrouver la chaleur des enfers, mais surtout d’être enfin seuls… pour mettre à nouveau les points sur les « i ».