Elle observa Leo revenir sur ses pas, il passa devant elle sans lui accorder la moindre attention. Ses poings étaient tellement serrés que ses jointures en devenaient livides. Il se planta ensuite devant le misérable humain en train de gémir sur le sol, le dominant de toute sa taille.

Le jeune homme était parfaitement calme, mais tout son être brûlait d’une rage intense qui n’attendait qu’à exploser. La fureur émanait de lui telles des radiations mortelles. C’était juste… fascinant.

Il s’accroupit à côté de l’autre et lui agrippa violemment les cheveux pour soulever sa tête.

« Tu ne paies rien pour attendre. Je vais bien m’occuper de toi tout à l’heure », lui murmura-t-il au creux de l’oreille avant d’enfoncer son visage dans la neige d’un geste brutal.

Leo se releva ensuite pour se diriger vers le corps inerte de Kaleb. A mesure qu’il se rapprochait, elle vit ses épaules se tendre d’appréhension et ses mains trembler. Il s’agenouilla près de son frère et le tourna délicatement sur le dos. Ses lèvres se tordirent de colère à la vue du visage sanglant et tuméfié de l’adolescent. Il ne dit rien mais ses poings se serrèrent davantage. Elle entendit presque les os craquer.

« Leo ! Qu’est-ce qui se passe ? Les enfants ?! »

La voix paniquée d’Hana explosa dans la nuit. La jeune femme accourait vers eux le visage plein d’inquiétude. Elle se figea un instant à la vue de Kaleb, puis reprit sa course, mais Leo l’arrêta d’un geste, sans même la regarder.

« Non », ordonna-t-il d’une voix aussi glaciale que la température ambiante.

« Mais... »

Hana se tut lorsqu’il leva des yeux furieux vers elle. Les iris du jeune homme brillaient d’une lueur meurtrière et ses lèvres serrées n’auguraient rien de bon. Le crétin avait complètement disparu, ne restait plus que le tueur. Celui dont elle, la Mort, convoitait l’âme depuis tant d’années. C’était… étrange de le retrouver : à force de le côtoyer quotidiennement en mode enquiquineur, elle avait presque oublié qui il était vraiment.

Leo reporta son attention sur Kaleb et sortit un petit couteau de la poche intérieure de son blouson. Il retroussa ensuite sa manche gauche, puis s’entailla profondément le poignet d’un geste d’expert. Le sang jaillit sous le regard horrifié d’Hana. Le rouge offrait pourtant un beau contraste avec le blanc immaculé de la neige. Et puis Leo n’avait pas l’air de vouloir se suicider.

« Leo, qu’est-ce que tu fais… ? » demanda Hana d’une petite voix hésitante. « Et où est Kami ?! Dis quelque chose !! »

Le jeune homme ne lui répondit pas. C’est comme si elles étaient invisibles. Sans prononcer une seule parole, il utilisa son sang pour tracer un pentagramme sur le sol. Elle reconnut immédiatement un cercle d’invocation.

« Très mauvaise idée, Humain », intervint-elle sèchement en comprenant ce que cet idiot s’apprêtait à faire.

« Toi, ta gueule ! » cracha ce dernier en tournant brutalement la tête dans sa direction pour la fusiller du regard. « Ferme-ta-putain-de-gueule ! Sinon je te jure que Grande Faucheuse ou pas, je vais botter ton putain de petit cul !! »

Il se détourna ensuite avec colère et reprit sa tâche d’une main tremblante. Elle l’observa faire en serrant les poings. A cet instant précis, elle regrettait tellement que ce misérable ne soit pas une créature surnaturelle. Elle rêvait de lui faire ravaler son irrespect. Mais surtout de le tuer. A petit feu.

Un instant perdue dans ses pensées, elle reporta son attention sur Leo qui avait fini de tracer son ridicule cercle. Cet humain était vraiment stupide, elle n’approuvait pas du tout ce qu’il comptait faire. C’est avec les yeux pleins de mépris qu’elle l’observa murmurer sa litanie d'invocations.

Le cercle de sang s’illumina aussitôt d’un beau rouge carmin, les rayons lumineux s’élevèrent à la verticale. Puis un homme émergea lentement du centre du pentagramme : grand, mince, des lunettes noires et rondes sur le nez, il était vêtu d’un impeccable costume trois pièces. L'ensemble s'accordait étrangement bien avec sa peau écarlate et ses deux cornes sur le front.

Cet imbécile avait invoqué un démon. De classe inférieure certes, mais une immonde créature des enfers quand même.

Hana poussa un petit cri d’horreur, tandis que le nouveau venu regardait autour de lui avec surprise et mécontentement. Ses yeux jaunâtres se posèrent finalement sur Leo et il esquissa une moue ennuyée.

« Toi », fit-il d’une horripilante voix nasillarde. « Qu’est-ce que tu veux ? »

« Soigne-le », ordonna froidement l’interpellé en esquissant un geste vers Kaleb dont le pouls se faisait de plus en plus faible. « Maintenant. »

C’était donc ça son plan. Insensé, mais pas bête.

C’est à ce moment que le démon la vit. Il fit aussitôt un bond en arrière, tous crocs dehors, alors qu’elle le dévisageait avec froideur.

« Par les feux des enfers, Leo ! », cracha-t-il d’un ton à la fois furieux et inquiet sans la quitter des yeux. « Mais que fais-tu donc avec… avec cette abomination ? Sais-tu au moins... qui elle est ? »

« Une petite emmerdeuse de première, ouais je sais », répliqua sèchement le jeune homme en dégainant ses pistolets qu’il pointa sur le démon d’un geste tranquille. « Et maintenant, tu vas soigner le gamin tout de suite si tu veux pas que je t’explose la cervelle. »

L’autre leva aussitôt les mains en signe de reddition.

« D’accord, d’accord. Mais, je ne veux surtout pas qu’elle s’approche de moi ! »

Puis sans cesser de jeter des coups d'œil méfiants et apeurés vers elle, il s’accroupit près de Kaleb. Il fit ensuite glisser ses paumes au-dessus de son corps immobile qui se mit à luire faiblement d’une lumière bleutée.

« Il est salement amoché le petit », commenta la vile créature en esquissant un petit rictus. « Tu lui as fait quoi ? Enfin, peu importe, je m’en fiche ! Je tiens juste à prévenir que ça va me prendre un peu de temps de le réparer, alors on devrait peut-être… »

« Les premiers soins ici et maintenant », le coupa Leo d’une voix sifflante. « Et surtout pas d’entourloupe, sinon… »

Il se détourna ensuite sans terminer sa phrase lourde de menaces.

« Leo, où est Ka... », demanda Hana, au moment où il arrivait à sa hauteur, mais elle ne rencontra que du vent. Cette fois encore, l’autre idiot ne lui accorda aucune attention. C’était elle, la Mort, qu’il fixait avec rage.

Nullement impressionnée, elle l’observa dépasser la jeune femme comme une furie puis lui foncer droit dessus. Il irradiait d’une colère sourde qui n’attendait qu’à exploser.

« Mais c’est quoi ton problème ? » cracha-t-il en lui saisissant un bras sans la moindre délicatesse. « Pourquoi t’as rien foutu quand Kaleb se faisait tabasser ? Tu te rends compte que ces enfoirés allaient le tuer ?! »

« Je n’ai rien fait parce que je ne pouvais rien faire ! » répliqua-t-elle avec agacement en se dégageant d’un coup sec. Combien de fois devra-t-elle le répéter ? « Je n’ai pas le droit de tuer des hu… »

« Ouais ouais, je connais le refrain, merci », la coupa brutalement Leo. « Mais parfois je me demande si ce n’est pas qu’un prétexte ! Au fond, c’est peut-être parce que t’es juste bonne à rien ! La Grande Faucheuse qui s’écrase devant de misérables mortels, c’est vraiment trop pathétique ! »

Ses derniers mots furent la goutte d’eau qui fit déborder le vase.

Elle en avait plus qu’assez de Leo. Elle n’en pouvait plus de cet horrible humain qui lui faisait vivre un enfer depuis maintenant des jours ! Des semaines !

Dans un accès de fureur incontrôlé, elle l’envoya valser contre un arbre d’un simple revers de la main. Puis elle fondit sur lui à une vitesse fulgurante et le saisit à la gorge d’une main tremblante. Tout se passa en à peine quelques secondes. Hana et le démon n’eurent même pas le temps de réagir.

« Ne me parle plus jamais comme ça espèce de pauvre et pathétique insecte », gronda-t-elle d’une voix menaçante en rapprochant leurs visages. « Recommence encore et je te jure que tu vas amèrement le regretter ! »

Loin d’être impressionné, le jeune homme serra les dents avec colère en la défiant de ses prunelles vertes. Il n’essayait même pas de se défaire de sa prise.

« Quoi, tu vas me buter ? » siffla-t-il en la regardant droit dans les yeux. « Et bien vas-y, fais-toi plaisir… Depuis le temps que t’en rêves ! »

Sous l’oeil intéressé du démon et celui épouvanté d’Hana, elle raffermit sa prise autour du cou de Leo. Mais même en position de faiblesse, ce dernier continuait de la fixer avec défi et sans flancher. Elle le détestait tellement ! Elle n’avait juste qu’à serrer un peu pour lui briser la nuque…

Pendant une fraction de seconde, elle envisagea sérieusement de le faire.

« Kaleb a failli mourir et Kami a disparu », murmura alors le jeune homme, ses yeux toujours ancrés dans les siens. « T’en as vraiment rien à foutre ? »

Puis le regard vert se voila brièvement, faisant vaciller les flammes qui y dansaient. C’est à cet instant qu’elle reprit ses esprits et le relâcha. Tremblante de colère, elle se détourna brusquement et s’éloigna à grands pas.

Il fallait qu’elle s'en aille, sinon elle allait vraiment finir par le tuer.

« Pour info, c'est pas parce que t'as pas le droit de tuer des humains que tu peux pas leur foutre une branlée quand ils le méritent », cracha Leo dans son dos alors qu’elle s'enfonçait entre les arbres, les poings serrés et sans un regard en arrière.

Abruti.