Episode 63 : Un plat qui se mange froid

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« T’es sûr de toi, Nephtali ? » demanda Leo en fixant le démon avec méfiance.

« Mais puisque je te dis que oui », répondit l’interpellé en esquissant son habituelle moue ennuyée. « Voyons Leo, tu peux me faire confiance », ajouta-t-il d’une voix mielleuse, un grand sourire aux lèvres. Ses crocs brillèrent sous la lumière crue des ampoules du couloir. « Je ne t’ai jamais trahi, non ? »

« Ouais c’est ça », grommela le jeune homme en le fusillant des yeux. « Si je devais citer tous les coups foireux que tu nous a faits à Lars et moi, on y serait encore dans un an ! Alors si c’est encore une entourloupe… je vais te faire bouffer tes putains de cornes. Après, Lars sera plus que ravi de te sceller dans un bocal pour l’éternité ! Tu feras une super déco sur cet affreux buffet du XIXème siècle qu’il exhibe si fièrement dans le salon... »

Le sourire de Nephtali s’élargit davantage. Il abaissa ensuite légèrement ses ridicules binocles pour fixer Leo d’un air très intéressé.

« D’abord Lars Strøm et maintenant la Grande Faucheuse en personne… » commenta-t-il d’un ton nonchalant. Ses prunelles jaunâtres trahissaient cependant une vive curiosité. « Tu ne t’entoures décidément que des meilleurs... Excellent, Leo. Vraiment excellent. Mais as-tu seulement idée de ce dans quoi tu t’es embarqué ? »

Le regard du jeune homme s’assombrit immédiatement en repensant à Mo. Elle n’était pas réapparue depuis leur dispute, sûrement en train de bouder quelque part. Eh bien tant mieux, Leo n’avait surtout pas envie de la revoir. Il n’arrêtait pas de l’imaginer en train de mater le lynchage de Kaleb sans lever le petit doigt et ça le mettait en rage.

Ça et l’intervention d’Hana au sous-sol. Il n’avait pas du tout aimé son attitude, mais surtout la façon dont elle l’avait regardé… comme s’il était un monstre. Mais pourquoi elle refusait de comprendre ? Ils ne vivaient pas dans un monde de bisounours ! Surtout, maintenant : c’était tuer ou être tué.

Un monstre… c’était peut-être ce qu’il était après tout… Et Leo comptait bien le rester, au moins pour cette nuit. Il avait hâte de mettre la main sur cette bande d’enfoirés. Il se délectait d’avance en pensant à tout ce qu’il leur réservait. Surtout s’ils avaient osé toucher à un seul cheveu de Kami… Le jeune homme serra les poings. Ces connards allaient le supplier à genoux de les achever.

« Mmmm, ces yeux verts pleins de hargne… terriblement excitant ! »

L’horrible voix onctueuse de Nephtali le ramena sur terre. Ce dernier lui adressait des œillades lubriques, ne laissant aucun doute sur les pensées obscènes qui trottaient par millions dans sa tête. Leo réprima une grimace, il n’arriverait jamais à se faire aux avances de ce type. Le démon et ses manières fourbes le dégoûtaient. Et puis… en matière de mecs, sa relation ambiguë avec Lars lui suffisait amplement. Sans parler d’Hana…

Bref, sa vie sentimentale était un magnifique bordel.

« J’y vais », lança-t-il sèchement en se détournant. Il n’avait pas envie de penser à tout ça. Pas le temps. Il devait retrouver Kami. « Toi, reste-là », ordonna-t-il à Nephtali en s’engageant dans les escaliers. « Et si jamais d’autres chasseurs de prime se pointent, fais-toi plaisir : tue-les. »

« Je ne suis pas ton laquais, tu sais ! » lança nonchalamment l’autre dans son dos alors qu’il dévalait les marches.

« Ouais, mais tu me dois une tonne de services ! » rétorqua Leo depuis le rez-de-chaussée. « Donc, pas bouger le temps que je revienne, OK ? Et surtout, tu t’approches plus d’Hana, Nephtali, je te préviens ! » ajouta-t-il d’un ton menaçant avant de claquer la porte en sortant.

Leo courut jusqu’à la voiture et constata avec soulagement que les pneus étaient intacts. Il se glissa derrière le volant en saluant l’incompétence de ses futures victimes. Tout en fonçant sur la route, il se demanda qui était donc cette mystérieuse J qui lui avait envoyé des idiots pareils. Enfin… pas si idiots que ça, ils avaient quand même réussi à enlever Kami !

Penser à sa sœur lui tordit le ventre. Leo était mort d’inquiétude, il n’avait aucune idée du sort que lui réservaient ces types. Surtout après ce qu’ils avaient fait à Kaleb… L’anxiété se mua en angoisse et Leo appuya sur l’accélérateur. La culpabilité lui broyait les tripes. Il était censé les protéger et il avait lamentablement échoué.

Numéro 1, mon cul, songea rageusement le jeune homme en poussant le levier de vitesse à son maximum. Et tandis que le véhicule roulait à tombeau ouvert sur la route déserte, il se jura de ne plus jamais se laisser distraire. La sécurité des jumeaux devait passer avant toute chose. Il avait fait une promesse… mais plutôt que de la tenir, il s’était lâchement tiré il y a dix ans.

Aujourd’hui, tout n’était pas perdu : grâce à Nephtali, Leo savait exactement où se dirigeaient ces enfoirés. Il n’avait plus qu’à les rattraper, les buter, récupérer Kami, la mettre en sûreté… ensuite, plus rien ne devait arriver à son frère et sa sœur. Ils étaient tout ce qui lui restait de leur mère. Il devait les protéger.

Il conduisait à une vitesse qui frôlait la folie, heureusement que cette portion de route était perdue au milieu de nulle part. Donc pas de flics. Leo était dans un tel état de rage qu’il tuerait quiconque tenterait de stopper sa course-poursuite mortelle. Personne ne l’empêchera de retrouver Kami.

Au détour d’un virage, ses phares illuminèrent brusquement un 4x4 arrêté en plein milieu de la route. Leo eut juste le temps de freiner en catastrophe pour ne pas l’emboutir. Sa voiture dérapa dans un crissement de pneus assourdissant avant de s’arrêter brutalement à moins d’un mètre de l’autre véhicule. Il n’y avait qu’une seule personne. A l’arrière. Et Leo reconnut immédiatement la frêle silhouette aux longs cheveux ondulés. Kami.

Il bondit aussitôt à l’extérieur et se précipita vers elle. Son cœur battait la chamade, la peur lui enserrait la gorge. Et si jamais elle était…

« Kami ? » murmura-t-il avec angoisse en se penchant vers la jeune fille dont le teint pâle et les paupières closes ne présageaient rien de bon. Il poussa cependant un grand soupir de soulagement lorsque son souffle lui caressa le visage. « Hey, ma puce », dit-il d’une voix légèrement tremblante en effleurant sa joue.

Sa petite sœur revint lentement à elle.

« Leo ? » bredouilla-t-elle, le regard perdu. Ses grands yeux gris papillonnèrent un instant, avant de s'écarquiller d’effroi. « Kaleb ! » cria-t-elle brusquement en se redressant avec panique. « Il faut l’aider ! Ils l’ont… Est-ce qu’il… ? »

Les derniers mots restèrent bloqués dans sa gorge, puis elle fondit en larmes.

« Je ne ressens plus notre lien ! » sanglota-t-elle en se jetant dans les bras de son grand -frère dans un geste désespéré. « Il est mort, c’est ça ?! »

« Quoi ? Non ! Il est vivant, il va bien, t’inquiètes », répondit Leo avec un temps de retard en lui tapotant maladroitement le dos. C’était la première fois depuis dix ans qu’il tenait à nouveau Kami contre lui. La sensation était bizarre. Mais en même temps si réconfortante. Elle était vivante, c’était tout ce qui comptait.

Il s’écarta lentement d’elle pour pouvoir l’examiner. A première vue, la jeune fille n’avait aucune blessure, mais Leo voulait en être sûr.

« Ça va ? » lui demanda-t-il avec inquiétude, les mains délicatement posées sur ses épaules. « Ils t’ont fait du mal ? Est-ce qu’ils t’ont.... touchée ? » ajouta-t-il en serrant les dents, tandis que ses mains tremblaient de colère.

Si jamais, ces connards avaient osé...

« N-non, je ne crois pas », répondit sa soeur d’une petite voix en secouant la tête. Elle leva ensuite un regard brillant de larmes vers Leo. « Ramène-moi auprès de Kaleb, s’il te plait… J-j’ai besoin de le voir ! »

« Oui, d’accord », acquiesça le jeune homme. « Mais avant, enfile ça », ajouta-t-il en retirant son blouson qu’il déposa sur ses épaules.

Il la souleva ensuite dans ses bras et la porta jusqu’à sa voiture, non sans jeter des regards méfiants autour de lui. Mais où étaient passés les autres ? Ce silence oppressant ne lui disait absolument rien qui vaille. Surtout que tout portait à croire que la voiture des ravisseurs s’était arrêtée en catastrophe puis abandonnée à la hâte...

« Qu’est-ce qui s’est passé ? » demanda Leo en installant sa sœur sur la banquette arrière avec précaution. « T’as vu quelque chose ? »

« Non, rien du tout », murmura-t-elle en reniflant. « Je me suis évanouie… je ne sais même pas comment je suis arrivée dans cette voiture... »

« Ok... » Leo réfléchissait à toute vitesse. Il avait retrouvé Kami, mais aucune trace de ses kidnappeurs. Si ça ne tenait qu’à lui, il les aurait traqués sans relâche, mais il ne pouvait pas laisser sa sœur. Pas encore.

Au moment où il décidait de retourner au chalet avec Kami, des gémissements le firent se retourner brusquement. Il dégaina aussitôt ses Magnum et les pointa de l’autre côté du 4x4. Merde, c’était quoi ?

« Kami, reste dans la voiture, verrouille toutes les portes et ne bouge surtout pas, d’accord ? », ordonna-t-il, ses flingues toujours braqués devant lui.

« Mais… » protesta faiblement la jeune fille, la voix à nouveau pleine de larmes. Leo se tourna vers elle pour lui adresser un sourire rassurant.

« Ne t’inquiète pas, je te promets de revenir vite », lui dit-il gentiment. « Et toi, promets-moi de rester dans la voiture quoi qu’il arrive, OK ? »

Elle acquiesça à contre-coeur et Leo attendit qu’elle se soit bien barricadée avant de se diriger vers la source des gémissements. On aurait plutôt dit des râles, mais aussi le bruit de corps lentement traînés sur le sol…

C’était tellement sinistre que même Leo, pourtant habitué aux situations les plus glauques, sentit des frissons lui parcourir la colonne vertébrale.

« Les gars, votre petit numéro est juste à chier », lança-t-il d’un ton faussement enjoué. « Et si vous sortiez de votre trou plutôt ? Qu’on puisse enfin s’amuser. »

Aucune réponse, juste les gémissements. Et le bruit de corps que l’on traîne. Rictus aux lèvres, Leo actionna le chien de ses armes, mais ne tira pas. C’était bizarre, mais son instinct lui soufflait de ne pas le faire. Pas encore ? Ou pas du tout ? Comme toujours, il décida de l’écouter, mais n’abaissa pas ses flingues pour autant. Les yeux fixés droit devant lui, le jeune homme attendit.

Il n’eut pas à le faire longtemps, car deux éclats jaunes trouèrent brusquement la nuit. Une silhouette émergea ensuite lentement du noir, tirant trois masses derrière elle. Leo faillit lâcher son pistolet lorsqu’il reconnut… Mo.

Ses yeux mordorés brillaient d’une lueur surnaturelle qui ne fit qu’accentuer la froideur de son regard lorsqu’il se posa sur Leo. Elle n’avait pas du tout l’air surprise de le voir là. Son visage n’exprimait rien du tout. Il émanait de la jeune fille une aura malsaine que son air atone rendait encore plus glauque.

« Tu avais raison, Humain », murmura-t-elle en s’arrêtant à quelques mètres en face de lui, ses yeux toujours ancrés aux siens. Et Leo la trouva tout simplement flippante à cet instant précis. « Il existe bel et bien plein d’autres façons de vous neutraliser sans attenter à vos misérables vies de mortels… Regarde comment je me suis occupée de ces trois-là. »

Tout en parlant, elle jeta son triple chargement aux pieds de Leo, tels de vulgaires sacs. Il s’agissait de la bande envoyée par la mystérieuse J, ou plutôt ce qu’il en restait : le trio n’était plus qu’un tas de légumes gémissant. Les yeux exorbités, leurs corps étaient secoués de violents spasmes, tandis qu’une immonde bave verdâtre débordait de leurs bouches.

ll n’avait aucune idée de ce que Mo avait bien pu leur faire, mais les trois types semblaient vraiment souffrir le martyr. Tant mieux, Leo ne comptait pas arrêter leur supplice. Ses bras retombèrent le long de son corps, sans qu’il n’arrive à détourner la tête des trois loques à ses pieds. L'œuvre de Mo.

Cette dernière se matérialisa brusquement juste sous son nez, ses yeux dorés le fixaient toujours sans ciller. Et Leo recula malgré lui.

« Rappelle-toi bien de ces trois-là, Humain », dit-elle, toujours dans un murmure qui sonnait clairement comme une menace. « Dis-toi que tu pourrais être le prochain… si jamais tu oses encore dépasser les bornes avec moi. »

Elle resta encore plusieurs secondes, plantée devant lui à le sonder avec froideur. Leo n’arrivait pas à détacher son regard du sien. Puis elle se détourna brusquement, avant de s’évaporer dans la nuit tel un fantôme.

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