PROLOGUE

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Dimanche 28 janvier 2018, 8 h 25.

Le soleil ne brillait pas vraiment au-dessus de Paris, capitale de la grogne et de la râle. La Seine, sortie de son lit pendant la nuit, inondait les quais bien vides de cette fin de semaine. Des policiers et des riverains pataugeaient gaiement dans les rues, de l'eau jusqu'aux genoux, pour aider les habitants alentours à sauver les meubles et les enfants.

Bien au-delà des préoccupations grégaires de ses compatriotes, une jeune femme s'amusait de l'agitation parisienne depuis le balcon d'une maison en mauvais état. La véranda aux poutres de bois pourries n'avait pas résisté aux vents nocturnes et s'était effondrée sur elle-même. Les débris offraient une couverture idéale pour toute personne assez maligne capable de se glisser entre les débris de verre souillés et les meubles déjà abîmés par l'humidité.

Le visage masqué, un sac à dos abîmé sur le dos, la demoiselle patientait. Les habitants étaient sur le point de quitter le domicile. La matrone en larmes avait piqué une crise en découvrant l'étendue des dégâts et avait cédé à l'hystérie sous le regard hagard de son incompétent de mari, les bras ballants. Les pompiers la tenaient difficilement sous les bras. Elle refusait d'avancer et insultait sans discontinuité tous les dieux qu'elle connaissait. Les portes de véhicule des sauveteurs claquèrent sèchement : le moment idéal pour lancer les activités de leur observatrice silencieuse.

Dès que le camion s'éloigna, les époux à leur bord, Miranda sourit. La fête pouvait commencer. Elle posa son sac au sol et attrapa une serviette dans son sac. Elle l'enroula soigneusement autour de son poing. Elle s'avança vers la maison, testa la vitre de la porte-fenêtre censée mener aux restes de la véranda. Elle prit un peu d'élan et cogna le verre de toutes ses forces. Une large fissure traversa le carreau avant qu'il ne cède brutalement en petits morceaux au deuxième coup, plus franc, dans un bruit de vaisselle cassée.

L'adolescente ne perdit pas une seconde. Elle jeta la serviette, rassembla ses cheveux noirs en un chignon rapide pour éviter qu'ils ne la gênent et bondit agilement dans la maison. Elle n'avait que quelques minutes devant elle, les policiers faisaient une ronde tous les quarts d'heure et une fenêtre brisée ne passerait pas inaperçue. Elle vida les meubles de la chambre où elle rentra : quelques bijoux en toc, des dessins d'enfants, un téléphone portable cassé... Rien de très intéressant.

La fouille des autres pièces se révéla tout aussi désastreuse. À part une boîte qui contenait un collier en or, aucun objet ne valait vraiment le mal qu'elle s'était donné pour parvenir jusqu'ici. Coup dur pour la jeune femme qui se replia rapidement vers sa porte de sortie. Les propriétaires, ces personnes sans-cœur, avaient tout emporté. Elle rangea la boîte dans son sac qu'elle enfila ensuite sur son dos et enjamba la fenêtre fracturée. Elle se laissa glisser le long de la gouttière adjacente à la véranda. Arrivée en bas, elle s'éloigna à grands pas du bâtiment pour se mêler à la foule de plus en plus nombreuse.

Sa démarche se fit plus sèche et colérique. Elle découvrit son visage d'un geste rageur, y dévoilant une expression de grande contrariété. Son maigre butin ne suffirait pas à régler les dettes accumulées auprès des divers trafiquants du quartier. Dommage, pensa-t-elle amèrement. Elle commençait à se plaire ici. Déménager une nouvelle fois sans laisser de traces ne l'enchantait guère, mais elle n'avait pas vraiment le choix. Rester trop longtemps au même endroit augmentaient les risques que quelqu'un la reconnaisse et la dénonce aux flics, ou pire, qu'un gang n'envoie ses pions à sa suite. La cavale, synonyme de liberté, venait aussi avec son lot d'ennuis.

Elle se glissa silencieusement entre les badauds. La plupart d'entre eux insultait les policiers qui montaient la garde pour empêcher l'accès aux zones dangereuses. Dur métier. Miranda aurait presque eu pitié d'eux s'ils n'étaient pas sous les ordres de Macron et donc partisans de sa propre misère. Elle aimait se définir comme une réfugiée politique. Ses parents ne comprenaient pas ses idéaux... Donc elle s'était débarrassée d'eux, tout simplement. Pas littéralement cela dit. Elle avait fui une nuit sans rien dire avec les économies de la famille et une valise trop remplie. Sa première escapade remontait à bientôt deux ans.

La jeune femme patienta quelques minutes parmi les manifestants pour se rassurer. Cachée dans la foule, son identification était plus difficile, petite femme au milieu de l'assemblée agressive. Trop agressive. Une grenade lacrymogène fusa, comme toujours, pour disperser les plus insistants. Policiers et manifestants ne connaissaient que la violence comme moyen de se faire entendre. Le peuple se mit à courir en se couvrant le nez. Miranda suivit un groupe de jeunes qui se retirait vers le centre-ville, puis tourna discrètement à l'angle d'une rue miteuse une fois certaine que la confusion lui offrait une couverture idéale pour échapper à ses éventuels suiveurs.

Elle retira son sac de son dos et le plaqua contre son cœur, fermement maintenu par ses deux bras. L'endroit était dangereux, elle se méfiait. Elle trottina sur la centaine de mètres qui la séparait de la verdure et déboula dans le parc municipal qui bordait ses "appartements". Elle vivait dans l'arrière-boutique d'une vieille antiquaire qui avait eu pitié de son regard larmoyant. En échange du lit et de la nourriture, Miranda lui "dégotait" des objets rares à vendre. Bien sûr, Grand-Mère ne savait pas d'où ils provenaient exactement mais elle ne posait pas plus de questions que cela. A son âge et avec la faible retraite à laquelle elle avait droit, on n'était pas bien difficile tant que ça rapportait. Elle en profitait allègrement. Les temps étaient durs pour tout le monde, travailleurs comme retraités, et sa logeuse, malgré son âge avancé, ne jouissait pas encore d'une retraite qu'elle méritait pourtant depuis déjà plusieurs années.

La jeune femme poussa la porte en bois du magasin, salua brièvement la vieille dame aux courts cheveux blancs de la tête, puis se jeta dans son lit, de l'autre côté du rideau noir troué qui séparait la boutique et l'habitation des deux femmes. Elle souleva son matelas et se saisit d'un carnet abîmé. Autrefois journal intime, il servait aujourd'hui à recenser ses butins, jour après jour. Elle se saisit de son stylo et chercha la bonne page, concentrée.

Quand la pointe métallique toucha le papier, celle-ci se mit à trembler toute seule. D'abord surprise, Miranda se rendit compte bien vite qu'il ne s'agissait pas d'une simple illusion. La pièce toute entière vibrait. Elle crut dans un premier temps à un séisme, mais ça ne semblait pas provenir du sol.

Mais d'où alors ?

Paris avait souvent été la proie des attentats ces dernières années. Elle en avait vécu un en personne, mais la sensation ne lui était pas plu familière. Autre chose se produisait. Quelque chose de nouveau.

— Miranda ! cria Louise depuis la boutique. Viens voir ça !

L'adolescente sortit de sa chambre, nerveuse. La vieille dame se trouvait dehors, la tête levée vers les toits sales. Elle la rejoignit en courant. Tous les passants s'étaient figés, téléphones à la main, tous pointés vers le ciel. Elle finit à son tour par lever la tête.

Une tache rouge se détachait d'entre les nuages gris, de plus en plus massive au fur et à mesure que les secondes s'égrenaient. Sa forme insolite ferait le buzz sur les réseaux sociaux pendant plusieurs jours : il s'agissait d'une tomate, gigantesque et bien mûre. Une tomate-météorite fonçait sur Terre.

Personne ne se doutait alors que l'humanité vivait ses derniers jours.

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