Jamais ne s'éteindra
Ce qu’il verra, enfin, parvenu à son propre crépuscule, ce sera Jo relevant les filets rutilants de poissons, maquereaux aux ventres bleus, sardines d’argent, mulets aux reflets verts. Ce qu’il verra, le saucisson, la tranche de pain souple à la croûte odorante, la bouteille de vin rosé que traversent les rayons de soleil. Il verra cette collation, sur la barque bleue, parmi le silence, le clapot des vagues, le sourire ouvert de Jo, ce passeur d’âmes qui l’a conduit, un matin d’été, avec naturel et insouciance, tout près du bord du monde, à cet endroit de soi où couve, sous la cendre, le feu de connaître, la passion de se fondre avec tout ce qui brille, éclaire et porte les yeux au merveilleux discernement, à l’agrandissement qui métamorphose l’instant en éternité. C’est cela, que l’enfant devenu vieux, verra. Comme une promesse de futur après la mort. Pourquoi, après tout, après que le dernier souffle aura été rendu, que le corps se sera volatilisé, que l’âme flottera et gagnera avec facilité les lieux inouïs, pourquoi donc Jeanloup, comme tout homme sur Terre -, ne verrait-il pas ce qui se trouve derrière la courbe de l’horizon, et, plus loin encore, derrière les nébuleuses, la Voie Lactée, les étoiles ? Pourquoi ? C’est, en tout cas, ce que croit le vieil homme, tout juste derrière son front chenu et il y a beaucoup à apprendre de ses yeux tristes et gris, du tremblement de ses mains, de la sagesse de ses rides qui disent l’aventure d’être, ici, parmi la multitude. Il y a une chose dont l’enfant devenu vieux est sûr, c’est que la flamme allumée, il y a longtemps, sur une barque, dans le silence du jour, sous la semence infinie de la lumière, cette flamme, jamais ne s’éteindra. Jamais !
Annotations
Versions