La chute des corps
D’abord il se tend, puis il se raidit. Il s’élève avec grâce, tout durcit qu’il est, pour ensuite aller s’ébranler par le choc de la rencontre avec cette surface rigide, dernier rempart avant le gouffre profond s’ouvrant à la promesse d’une extase indélébile.
Il lui faut très peu de temps pour encaisser le choc et s’en remettre. C’est avec force qu’il s’étire à nouveau et reprend son élan.
Voilà, dans un ultime effort, il lance tout un corps au-dessus du gouffre.
Thibault vient de s’envoyer en l’air avec son deltaplane à la force de ses jambes, il a un peu mal aux mollets qui ont donné tout leur potentiel dans cette course à l’adrénaline. Mais maintenant ils peuvent se reposer. Tout l’enjeu se trouve à présent dans les bras et dans la tête. Mains serrées contre le trapèze, le harnais et son parachute lui compactent un peu le buste. Même avec la maîtrise, il ne faut jamais délaisser la sécurité, le corps est précieux et il est primordial de vouloir le protéger. Thibault profite du paysage montagnard pour peut-être la centième fois. Il ne compte plus les heures de vol. Peu importe, ses yeux ne se lassent pas de contempler ce paysage de carte postale.
Petit il aurait voulu battre des bras pour devenir un oiseau, un vrai, mais voyant que son anatomie n’était pas adaptée au vol, il chercha le moyen de prendre les airs dans la plus totale indépendance. Thibault a toujours eu l’esprit conquérant, rien n’a jamais arrêté ses rêves.
Tous les jours il a travaillé pour endurcir son corps à l’escalade des hauts pics, il s’est donné du mal pour développer sa musculature.
Maintenant son corps est devenu l’outil permettant l’aboutissement d’un rêve d’enfant.
Perché sur son deltaplane, les oiseaux interloqués se mettent à son niveau et l’observent comme une bête venu d’un monde lointain.
Avec son deltaplane, Thibault se sent vivant ; concentré comme jamais un état de conscience avancé s’ouvre à lui ; Thibault ressent son sang palpiter dans ses veines, les tendons de ses muscles coulisser dans leur gaine, son cœur battre à un rythme calme et posé, le vent glisser comme une amante sous ses vêtements, le soleil embrasser sa peau. C’est l’extase.
Mais il est tard et bientôt il faudra penser à rentrer. L’atterrissage se fait en douceur. La fin d’un voyage et le début d’un autre. Ce soir, son corps va avoir droit à un sommeil réparateur. Chaque jour il devient plus fort, chaque nuit il intègre dans sa chair la précision des mouvements.
Le corps est un fabuleux outil qui permet d’accomplir des miracles, ne le négligeons pas, ne le renions pas.
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