Régon et Fard : Oraison funèbre

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Je m’appelle Pétra. J’ai été l’épouse du Chevalier Dann quelques années. Je l’ai accompagné non officiellement au combat de nombreuses fois, notamment à son dernier à la Vallée Profane.


Je suis attristé d’apprendre la disparition de Régon et de Fard. Le Chevalier Dann et moi-même les tenions en hautes estimes. Il est vrai, on pourrait dire qu’ils étaient à nos services. Mais il faudrait admettre, en disant cela, que leur situation avait quelque chose de spéciale.

Voilà la raison de ma lettre, très chère Maire. J’espère en effet noyer ma tristesse suite à cette nouvelle en narrant l’histoire de ces curieux personnages. Je n’ai jamais rencontré frères jumeaux de leur gabarit. Et cette humeur, cette atmosphère qu’ils entretenaient autour d’eux, me manque plus que jamais.


Commençons par le début. Régon et Fard sont nés dans une famille malheureuse de la Nouvelle-Barge. La maison de famille se trouvait dans le quartier pauvre sur la rive. Les parents de ces jumeaux ont souvent été condamnés par la justice municipale pour des vols à l’étalages. Il est rare de se rendre compte que ces vols étaient vitaux pour toute la famille.

En cinq cent quatre-vingt-huit après l’Elu, un tremblement de terre a été ressenti et l’océan s’est d’abord retiré. Durant les deux jours d’attente, d’observation et de panique, les parents ont été de nouveau prit la main dans le sac et la justice a décidé de les enfermer chez eux, portes et fenêtres bloquées pendant quarante-huit heures. Dans ce laps de temps, une partie de la ville a été englouti par les eaux d’une vague gigantesque. Il me semble pertinent ici de passer sur l’évidence et continuer.


Privés de leurs parents, les enfants de huit ans passèrent à la charge du Royaume. La ville les a envoyés à Elbe pour entrer dans une famille d’accueil. Le monde dans lequel ces deux enfants entraient ne leur plaisait pas du tout. Ils ont fugué très vite et se sont retrouvés dans les rues de la capitale. Ils se firent des camarades et y passèrent quelques années. A leurs dix-huit ans, pour éviter la justice, ils se sont enrôlés dans l’armée. C’était le moment de l’invasion du Royaume de Arl et de l’alliance Dann et Acar. Les deux jeunes recrues sont allées faire leurs armes au camp d’entrainement de Avorie, à la frontière Nord-Ouest du Royaume de Dann. En quelques semaines, Régon et Fard ont été initiés aux armes et à la cavalerie. Mais ce ne sont pas leurs talents guerriers que le Capitaine retient d’eux ; je l’entends encore sortir : « Deux têtes de mules couronnées d’une insolence et d’une désobéissance ! », des propos tenus, pourtant, avec le sourire. Parce que c’est bien là que brillaient des personnalités trempées et imperturbables !


C’est en comptant sur ces qualités, je pense, qu’ils ont surmonté le massacre du camp dans le onzième mois de la tragique année cinq cent quatre-vingt-dix-huit. Ils y ont survécu au contraire de beaucoup. Ils ont été faits prisonniers et ont été délivrés dans la nuit par le Capitaine et une étrange compagnie de rôdeurs, des hommes des bois affutés dans l’art de la discrétion. Nos deux survivants revenaient ensuite à Elbe par des chemins cachés. Je me demande encore ce qui les ont poussés à venir au Château avec le Capitaine une fois arrivés en ville. Ce dernier devait faire son rapport devant le Roi et le Chevalier. Ils auraient pu fuir ou se cacher, au lieu de cela, ils en demandaient plus. C’est ce soir-là qu’ils rencontrèrent le Chevalier Dann et moi-même. J’aurai dû poser cette question en les voyant la première fois, parce qu’à présent ils emportent leurs secrets avec eux. Avaient-ils ce sentiment de devoir défendre le Royaume aux périls de leurs vies ? ou bien n’envisageaient-ils plus aucun autre avenir en dehors de celui du métier des armes ?


Là n’est cependant pas la question. Je me souviens avoir les avoir entendu discuter dans le couloir. Le Roi leurs a offert une chambre pour que le lendemain ils partent avec le Chevalier Dann. Sur le chemin de ladite chambre ils échangèrent ces mots que je me remémore avec facilité :

« Eh Régon.

- Quoi Fard ?

- Tu te souviens de ce que disait P’pa ?

- ‘Ne mets pas tes doigts dans le nez’ ?

- Nan pas ça, idiot ! L’autre chose !

- Aaah ! ‘Fais pas le navet, tu finiras légume !’

- Noon, patate ! Je voulais te faire dire : ‘Ne crains pas la mort, c’est la faux–t’à ta mère !’

- Tu… plaisantes j’espère ? Qu’est-ce que ça à voir avec la situation ?

- Tu crois que les légumes valent mieux ? »

En vous épargnant les tapes sur l’épaule que je ne saurais décrire dans cette lettre. Fraternité ? Camaraderie ? Ou le juste partage d’une vision étonnante et singulière du monde et de la vie.


C’est là-dessus que commencèrent pour eux deux années bien remplies en notre compagnie. Ils accompagnèrent d’abord l’armée à la bataille des Champs Verts, triste souvenir de temps plus radieux où l’océan n’était pas menaçant. Et Fard brilla en sauvant le Chevalier d’une flèche perdue avec son bouclier. Dann m’a rapporté le soir même que Fard s’était écrié « Et paf ! En plein dans le mille Emile ! » avant de claquer les mains de son frère puis de retourner au combat. Quant à Régon, il a longtemps crié dans la bataille « Quatre-vingt-dix ! Quatre-vingt-dix ! » et quand on l’a questionné sur ce chiffre il a répondu que c’était le nombre qu’il venait de tuer. Un soldat disait que c’était impossible alors Régon s’est avisé en disant « Ah oui, pas Quatre-vingt-dix, pardon, j’ai mal mis la virgule. Neuf ! Neuf d’un coup !! ».

Doutez-vous encore de ces deux hommes ? Parce qu’à chaque bataille ces scènes, si elles changeaient quelque peu d’improvisation, se répétaient tout au long du combat.


Voilà pourquoi le Chevalier Dann s’est pris d’amitié pour eux. Lui-même avait, au fond, cet esprit de jeu et d’immaturité. Il gardait son sérieux en journée et partait chaque soirée dans un monde bien meilleur en compagnie de Régon et de Fard. Ces deux-là avaient d’étonnant jeux autour du feu. Je me souviens d’un en particulier : un jeu d’ombres et de lumière avec les mains et le feu d’un camp par exemple. Il suffit pour cela de placer une table à la verticale, de mettre un linge blanc dessus. Il est possible ensuite de faire des ombres burlesques sur le linge en plaçant les mains devant le feu, orientées vers la table. Telle a souvent été narré la fable du méchant loup, du gentil lapin et de l’aigle vorace.

Si seulement il n’y avait que cela à raconter sur ces deux gaillards… Je crains fort, à mon plus grand regret, d’avoir oublié une majorité des histoires que Fard ou Régon ont raconté autour de ce même feu de camp. Ils avaient dans toutes ces histoires, des fables drôles, des contes fantastiques et des légendes épiques. Je me demande encore d’où ils tiraient ces récits, les avaient-ils lus ? Savaient-ils lire ? ou bien les avaient-ils entendues ? Mais de qui ? Et à quel moment ? Ou bien Fard et Régon avaient-ils tout imaginé et improvisé ? Comme une capacité à s’extraire de ce monde où leurs places étaient difficiles pour aller dans un endroit meilleur. Dann en était friand, c’est tout ce que je peux dire. Répéter, en fait.


La guerre avec le Royaume de Arl tournait à notre avantage dans les premiers mois du l’année six-cent. Mais c’était pour apprendre de la main du Chevalier Arl d’une invasion des Bêtes de l’Enfer. Il invitait le Royaume de Dann à rejoindre une coalition contre l’Enfer à la Vallée mille fois maudites.

Dann a longuement hésité avec le Roi. A la même période il avait de nouveau cette crise anormale de rêves et de visions cauchemardesques. Il m’a raconté que, dès qu’il fermait les yeux, il voyait devant lui une forme menaçante, avec deux yeux de la couleur des flammes. Cette ombre prenait la parole non pas avec sa bouche mais dans sa tête. Avec une voix grave, elle disait que l’Enfer était de retour et qu’il fallait le rejoindre au lieu de le combattre. Le discours changeait de temps à autre mais l’objectif restait le même. Je ne sais pas ce qui a poussé le Chevalier à prendre la décision, le vingt-huitième jour du troisième mois de cette année six-cent, d’aller combattre l’Enfer à la Vallée Profane. Mais je sais que la veille au soir, il recevait Régon et Fard dans sa chambre privée.

Lorsque je me suis présenté à la porte, à l’heure de me coucher, j’ai entendu les deux frères lancer :

« S’il est question de sauver le monde pour la sixième ou la centième fois, on en est ! Il ne sera pas écrit que les frères Gon ont fui le combat ! »

Puis Régon de terminer plus bas : « Alors par contre, s’il est question de se battre contre des horreurs avec des dents longues comme le bras, qui crachent des flammes, qui pètent de la lave et qui reviennent à dix quand on en tue un… on est un peu moins chaud… chaud… ch… enfin, je veux dire qu’on est froid quoi ! »


Le lendemain, comme je le disais, le Chevalier Dann menait un détachement de mille soldats vers la Vallée Profane. Je l’accompagnais à mon habitude avec les autres femmes de militaires, derrière la colonne. Régon et Fard étaient positionnés à la fin du convoi. Comme je n’avais que cela à faire dans les premières heures du trajet, je suis allée à leur niveau pour discuter avec eux.

Vous anticipez, Madame la Maire, que je me souviens parfaitement de cette discussion, compte-tenu de ses hautes couleurs :

« Salutations, Régon et Fard, on ne s’est pas encore vu aujourd’hui.

- En effet, Dame Dann. Remarquez que j’adore vous appeler comme ça !

- Intenable le Régon. Ma Dame, excusez-le.

- Les excuses sont vaines, je ne me sens pas offusquée.

- Tant mieux ! Parce que j’en ai d’autres à vous sortir ! Préparez-vous !

- Non, Régon, arr… au-secours… le boulet.

- Cela vous arrive de faire du « Dann-Dann » ?

- Tam-Tam ! Sérieusement ?!

- Avez-vous déjà eu l’idée de créer un jeu de Dann, Dame ?

- Oh bon sang.

- Êtes-vous déjà allé tout en haut d’une mont-Dann, Dame ?

- Ohlàlà… Eh ! Et de monter sur un Dânn ?

- Un âne Danné !

- Non, mais un âne bâté si ! » ai-je terminée avec grand sourire.

Je retranscris mal, je présuppose, la complicité des deux frères dans leurs idioties ainsi que l’intensité de ces échanges.

Régon et Fard restent effectivement dans les mémoires pour les dialogues rapides et efficaces qu’ils offrent à chacun qui leurs parlent. Ces deux compères s’enchaînent vite et c’est souvent déroutant. Si on n’y prête pas une attention maximale on peut perdre le fil de la discussion (de leur discussion, devrais-je dire) et reprendre le dialogue sur la cuisson du gibier alors qu’on l’avait commencé sur la mode des chaussures.


Mais je m’égare.

Régon et Fard, contre toute attente, ont été exemplaires au campement de Arl devant la Vallée Profane. Il faut dire que celle-ci avait de quoi terrifier et refroidir plus d’un. Un nuage noir au-dessus de la tête, une odeur de cendres partout autour de soi, et de manière régulière d’un horrible cri animal déchirant le ciel, voilà ce qu’était la Vallée Profane. Le camp était positionné à son entrée, laissant loisir de voir nuits et jours entre les arbres encore debout les allers et venues de masses sombres et menaçantes ; des yeux rouges apparaître et disparaître ici ou là.

Bref, Régon et Fard, comme je disais, ont aidé au campement partout où on pouvait avoir besoin d’eux. Ils ont été diplomates envers les soldats d’Arl malgré la rivalité récente et les quelques rixes de certains de leurs camarades. Le Chevalier Dann tenait à les avoir avec lui toutes les fois où il était convoqué dans la tente des Chevaliers pour discuter de la stratégie de combat. J’y ai pris part en de rare occasions, j’ignore ce qu’il s’y passait. Puis les deux frères sont allés au combat deux fois. La première fois était pour traquer et tuer des Orgs, ces Bêtes de l’Enfer monstrueuses, équivalentes à des loups des Steppes mais en plus démoniaques. Régon et Fard se sont ainsi retrouvés à défendre un village à l’Ouest, dans le Royaume de Arl nommé Olvi. J’ai appris que celui-ci a terminé en ruines à une autre occasion.

Le second combat des jumeaux fut celui dirigé par le Chevalier Arl. Celui-ci tenta le destin et attaqua la Vallée avec tous ces hommes. Les Chevalier Acar, Antib et Bergam ont refusé de le suivre, le Chevalier Dann, lui, a guidé ses hommes vers un grave péril. Le combat eut lieu dans la Vallée. La veille, l’activité des Bêtes de l’Enfer avait semblé baissé, plus aucune ombre ne se laissait voir, le rugissement régulier s’était tut et même le lointain bruit d’abattage d’arbres avait semblé s’estomper. Le Chevalier Arl avait envoyé un éclaireur courageux qui était revenu dans la soirée en disant que la forêt était silencieuse. Il n’avait pas osé quitter le sentier, pour garder toute sa vision autour de lui, mais il n’avait pas repéré la moindre activité. Il s’était arrêté au point où les arbres sont coupés et brûlés pour constater la forteresse au fond de la Vallée.

Le Chevalier Arl a cru y voir une opportunité, il a alors mené ses hommes et le Chevalier Dann par le sentier jusqu’à la forteresse. Du moins c’est ce qui aurait dû se passer. A la lisière de la forêt, au point précis où s’était arrêté l’éclaireur, deux Orures, ces mastodontes aux armures impénétrables, attendaient en barrant le chemin. Et quand ils se firent voir, des Ops sortirent des bois autour de l’armée ou firent tomber les arbres sur les hommes.

Nombreuses furent les pertes, une poignée des hommes de Dann revinrent au camp, Régon et Fard en faisaient partie. Le Chevalier Arl revint presque estropié. Mon cher mari est tombé à la bataille en protégeant la retraite des troupes. Régon et Fard m’ont souvent répété qu’il est allé provoquer les deux Orures pour faire diversion, qu’il aurait même planté son épée entre les yeux de l’un d’eux. J’ai encore du mal à y croire mais je n’ai jamais assez remercié ces deux braves hommes de m’avoir remonté le moral en grossissant l’exploit et le sacrifice de Dann.

Mais après tout. Après avoir participé à la bataille victorieuse de la Vallée aux côtés de l’élu Arn et d’avoir moi-même occis quatre de ces Orures, je suis convaincue qu’il est possible de vaincre ces Bêtes de l’Enfer. Surtout que la mort de Dann est vengée.


Je m’égare encore, pardonnez-moi ! Je vais en revenir à Régon et Fard. Leur moral aurait dû pâtir de la disparition du Chevalier Dann, au contraire ! Le lendemain matin, lorsque le Chevalier Arl a cherché parmi ses troupes des messagers, ils se sont portés volontaires. La mission consistant à parcourir le Royaume d’Arl en direction de la capitale pour avertir le Roi était comme une fuite de l’Enfer, cette perspective les a peut-être convaincus. Alors ils prirent la route le dix-huitième jour du quatrième mois de l’année vers la capitale du Royaume, Berge, appelée par les arlois Barge. Bien après ces événements, ils m’ont raconté leur voyage. Ils se sont d’abord dirigés vers le village d’Olvi comme ils connaissaient la route. Ils ont repéré de loin un groupe d’Orgs qui chassaient des chevaux dans la prairie. Ils ont pris peur pour eux et ont repris leur chemin avec plus d’attention. Ils sont arrivés le soir au village et ont décidé d’y rester pour la nuit. Mais ils n’ont pu s’endormir, des hurlements d’animaux qu’ils ont présumés être ceux des Orgs les ont tenus éveillés. La peur au ventre ils ont décidé d’aller à l’écurie, de prendre de nouveaux chevaux et de partir très vite du village. Régon s’est vanté d’avoir pris la décision, une bonne décision puisque dès qu’ils se sont retrouvés hors de portée de la lumière des flambeaux du village, ils ont entendu des cris humains au-dessus des rugissements.

Au village d’Olvi on leur avait conseillé de prendre la route de l’Ouest et de la suivre tout du long pendant une semaine pour aller à la capitale. Mais dans le noir et sous la panique ils n’ont suivi aucune route et quand le matin est arrivé, d’une part ils ont pris le temps de dormir, d’autre part, vers le midi, ils se sont rendu compte qu’ils étaient en pleine nature et perdus. « Mais il en faut plus pour décourager Fard », m’ont-ils demandé d’écrire dans le cas où je racontais cet épisode de leurs vies. Puisque Fard observa la mousse sur les arbres et guida sa monture sur la gauche, vers l’Ouest. Puis Régon proposa d’aller un petit peu vers le Nord, il venait d’apercevoir derrière eux le pic d’Eolt. Un lieu qu’il avait remarqué sur une carte. Ces petites choses prouvent que les deux hommes avaient la débrouillardise dans le sang et qu’ils formaient un duo étonnant et efficace.


Je vais passer sur le reste du trajet. Ils arrivèrent à la capitale lorsqu’elle était en effervescence. Le Roi ayant apprit la destruction de la Porte de l’Enfer et la disparition de toute sa menace, il se prépara à se rendre à Poiter rencontrer le Chevalier Rollon. Donc quand nos deux jeunes hommes arrivent devant les gardes du château pour donner des nouvelles de l’état déplorable du Chevalier Arl, le Roi ne perd pas son temps à les recevoir et ils sont chassés.

Régon et Fard se retrouvent sans mission, en plein milieu d’un Royaume étranger. Ils ne savent pas quoi faire ensuite. Dans cette situation on penserait « Rentrer chez soi », cela est impossible pour Régon et Fard, chez eux se résumait à la compagnie du Chevalier Dann et leur mission relevait de l’armée. Le Héraut de Arl leur a apprit qu’il n’y a plus d’armée en Dann, que la paix est complète sur toute la Terre d’È et que leurs chevaux appartiennent à Arl et qu’il faut donc les rendre.

C’est ainsi dépossédé de tout que Régon et Fard s’enferment dans une des chambres de l’auberge « Prospère » à l’entrée de Berge. Et c’est là que Fard m’écrit une longue lettre, ma principale source de renseignement de ces jours que je vous décris. Je suis moins certaine de ce que je vais vous présenter ensuite. Je sais qu’ils ne sont pas restés longtemps à l’auberge, un contrat de mercenariat a pu leur être offert dans la salle principale. Il est possible que des marchands les aient embauchés pour une escorte entre deux places marchandes. Cela expliquerait comment j’ai réussi à retrouver traces de deux frères Régon et Fard, dans les registres des garnisons marchandes dans une grande partie des villes du Nord, de Gilor à Elberon et puis à Acar et Bergam. Ils ont, pour ainsi dire, fait le tour de la Terre d’È en quatre mois. Ils ont même reçu une paie à Olvi en tant qu’ouvriers dans la reconstruction du village.


Débrouillards, polyvalents et discrets, voilà ce qu’étaient Régon et Fard dans ces derniers mois. Et c’est avec tristesse que j’ai appris qu’ils étaient revenus à Elbe, la ville qui les a adoptés, pour mourir lors de l’épidémie de grippe. Comme quoi, « Rentrer chez soi » n’était pas du tout ce qu’il fallait faire.

Mais le destin est souvent cruel et tient un jeu mystérieux.


Régon et Fard sont morts le quatrième jour de la première semaine du dixième mois de l’année six cent après l’Elu.

J’ai tant pleuré leurs disparitions et j’ai tant senti un vide autour de moi. Mais là n’est pas le sujet de ma lettre, Madame la Maire d’Elbe. Je souhaiterai montrer par la vie de ces frères jumeaux la cruelle injustice des Hommes et des Femmes du peuple. Tous ces inconnus dont on ne se souvient pas bien qu’ils aient marqué à jamais toutes les personnes qu’ils ont croisés dans leurs vies. Je voudrais montrer l’idiotie d’un Empire, bien haut, bien grand, bien lointain de l’enjeux de toute cette population d’inconnus. Comment peut-on penser considérer les ambitions, les envies et les rêves de toutes ces personnes en même temps ? L’Empire n’est pas la solution à nos problèmes, chère Maire.

Et je ne parle pas des premières décisions du Roi Roland, comme celle de mutiler et d’envoyer tous les descendants d’Œ dans les Steppes, puisqu’elles me paraissent parler d’elles-mêmes.

Vous comprendrez pourquoi j’ai rejoint la Rébellion et que je souhaite vous enjoindre à faire de même.



Je vais terminer cette longue lettre par une indication. J’aimerais beaucoup que ce qui fasse partie de la biographie de Régon et Fard soit lue en public lors de leurs obsèques, en espérant que vous receviez cette lettre avant le jour de la cérémonie. Pour le reste de la lettre, je compte sur votre discrétion.



Avec tristesse et amitiés.


Pétra de Dann

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