Avant l'Empire : le chaos tribal
Introduction
A l’aube de l’Humanité sur la Terre d’E, l’être humain n’était qu’un animal parmi les autres ; prédateur bipède unique, certes, mais fragile face aux lions, aux tigres et autres ours qui lui étaient supérieurs en tout. La force du groupe l’a fait sortir des ténèbres et par là c’est le groupe, le social, qui l’a fait utiliser sa meilleure arme : l’intelligence de voir l’avenir. En effet, le groupe humain ne s’est pas fait en un claquement de doigt, en un serrage de main mais dans la création longue et éprouvante de projets communs. Voici la naissance des tribus. Une famille élargie ou même plusieurs familles se concertant pour s’établir ensemble, pour créer et répartir les tâches communes à chaque membre : un groupe part à la chasse le jour tandis qu’un autre reste au camp pour tanner les peaux de bête de la chasse précédente. La nuit des sentinelles se relaient à la surveillance puisqu’on vit, là, dans un monde de chaos. Le danger et la mort rôdent en dehors de la lumière projetée des torches. Et le groupe s’élargit, chaque génération en donnant d’autres qui en donnent d’autres à leur tour, la tribu s’agrandit : il y a plus de chasseurs, plus de cueilleurs également, pour pourvoir et ramener plus de denrées vitales au camp. Comme la quantité de la demande augmente, la chasse et la cueillette doivent être plus rentable et surtout doivent être plus assurées de ramener en continue quelque chose, les tribus font mains basses sur le territoire alentour et y imposent une maîtrise de tout ce qui y vit, y passe, y meurt. Voici la naissance de la Cité. Elle comprend deux espaces modelés par l’autorité humaine, le premier est l’espace des habitations et des activités urbaines, le second est l’arrière-pays productif parsemé de champs, l’agriculture étant née dans cette observance de la nature et de la volonté de la maîtriser, de forêts de chasses et de rivières et lacs de pêches.
Nous voici dans les vastes Plaines de la Mer. La naissance du Premier Empire des Hommes est proche sur ces terres mais il reste encore à développer la monarchie. La mainmise des terres par les cités attire la concurrence des autres cités. Entretemps, les communautés intrinsèques d’êtres humains continuent leurs expansions numériques, le territoire vital de celles-ci augmente également et ce de manière inexpugnable. Des guerres, oui, éclatent sur les rivalités de voisinage, l’être humain apprend ainsi à tuer son frère et sa sœur dans le calme des batailles rangées ou dans l’oisiveté des assassinats (quoiqu’attendons les monarchies pour ces faits). Mais ces morts, dont les corps sont perdus dans des fosses communes hargneusement creusées par les villes, ne retardent pas l’agrandissement du nombre humain et sa demande de productivité croissante. Voici le temps de guerre, le temps de mort, certains y tirent leurs épingles du jeu. Ils sont à l’arrière, trop vieux pour aller guerroyer, trop intelligent pour se faire surprendre par du poison et tuent avant de se faire tuer par leur concurrence : voici venir les aristocrates. Au-dessus du commun de la population, au centre des villes, dans leurs ateliers de fabrications d’armes ou de pelles, dont ils n’ont plus touché eux-mêmes à la matière depuis des générations en déléguant le travail à d’autres, ils rêvent de dominer les Plaines de la Mer toutes entières.
Mille trois cent quatre-vingt-sept ans avant le temps de l’Elu, un être plus visionnaire encore que ses égaux inventent les symboles de la couronne d’or et de l’héraldique pour imposer un concept sur toutes les tribus du monde connu. Voici la charte impériale créant le Premier Empire des Hommes :
« Moi, Ankar le Marin, fils Laran des premiers Hommes, suis couronné Roi du Premier Empire des Hommes. La Couronne d’Or sur ma tête m’octroi le pouvoir sur le territoire des Plaines, des Steppes de l’Ouest aux Montagnes de l’Est, de la Mer du Sud aux Monts du Nord.
Je porte à présent le symbole de ma famille, ma patrie, une nave a mât blanc sur fond noir. Chaque être humain qui lira cela où à qui est lu ce texte devra obéissance absolue à moi et à tous mes gens portant mon symbole. Je garantie en retour de défendre les intérêts de chacun, pour la paix et la prospérité de chaque affaire et de chaque famille. Parce que les intérêts de ma couronne reposent dans les intérêts individuels de chacun des êtres humains des Plaines.
Fait et Seing en la première année de l’Empire des Hommes
Fait à Laran. »
Elle se passe de commentaires de la manière d’imposer une volonté sur une population innocente qui n’a pas demandé d’entrer dans ce jeu. Pourtant elle devint une réalité accepté partout. Beaucoup d’événements, néanmoins, de rejets et de rébellion parsèment les premières années. Mais les hommes à la nave blanche sur fond noir savent être persuasif et ce aux quatre coins des Plaines. Les guerres ne cesseront que des années plus tard lorsqu’un dernier bastion rebelle partira dans l’incendie le plus vaste que la Terre d’E ait connue. Le roi n’arrivant pas à débusquer la communauté rebelle qui s’était caché dans les bois de l’Avin, une forêt de mille hectares nichés sur la rive du fleuve, à dix kilomètres en amont du lac de Merk (connu alors que « le Lac »), il décide d’y mettre le feu. En organisant que chaque homme de son armée tiendrait un flambeau l’un à côté de l’autre tout autour de la forêt, le roi, en un point de ce cercle, jetterait le premier son feu dans le petit foyer aux pieds d’un arbre, chaque soldat l’imitera ensuite. L’incendie n’a épargné personne, raconte-t-on encore aujourd’hui, si ce n’est quelques animaux qui sont sortis des bois au travers des lignes de soldats. Ceux-ci avaient eu pour ordre d’occire tout ce qui sortirait des bois, des cerfs, des renards et des lapins ont été sauvagement massacrés tandis que des loups ou des ours faisaient des carnages en d’autres points. Mais aucun rebelle ne sortit jamais. Certains anciens aiment à raconter que les rebelles ont tenté de traverser l’Avin et que certains ont réussis à passer de l’autre côté. Malheureusement, aucune communauté humaine n’a été découverte dans les terres du Nord depuis l’invention du pont au-dessus de Fyl.
Retournons un peu en arrière après cette introduction, voulez-vous. Depuis l’intervention des Gardiens de l’Equilibre dans le Royaume de Gilor en l’an neuf cent vingt-huit lors de sa guerre sanglante contre les Elfes de Dalon-Premier, nous savons que l’Aube de l’Humanité repose dans l’arrivée impromptue d’un clan traversant la Mer du Sud. En effet, il a été assuré par la meneuse des Gardiens que la tribu de Laran, dont va se revendiquer le premier Roi des Hommes, est apparue sur la Terre d’E sur une nave à un mât le premier jour de la treizième semaine de l’année huit mille deux cent soixante-dix-sept avant l’Elu. Mais les membres de la tribu Laran n’étaient pas les premiers humains de la Terre d’E. Ils avaient cependant une organisation sociale ainsi qu’une avance technologique nette. Alors la naissance des tribus, selon ce que retient le monde universitaire sur la question, est datée de cet événement. D’où venait cette tribu et comment fut-il possible qu’elle ait cette totale avance ? Là reposent encore des mystères.
Il ne reste que des poussières de cette époque et tenter de débroussailler cela s’avère, comme l’image utilisée, impossible faute de notre seul outil à disposition : la recherche de textes, c’est-à-dire de sources, qui nous renseignent sur le sujet. Certains universitaires souhaiteraient fouiller les sols à la recherche de restes exploitable de cette époque reculée, malheureusement c’est impossible également ici : on sait, avec ce récit de l’arrivé de Laran, que les premières tribus s’installèrent sur les rives de la Mer. Depuis l’eau est montée, donc à moins de faire des fouilles aquatiques, la matière des sols n’est pas atteignable. Mais nous avons une base de sources textuelles exploitables, les textes elfiques dont la mémoire remonte à des temps reculés au-delà de toute espérance. Cependant son accessibilité pose un problème, il faut savoir lire l’elfique et surtout il faut être accepté dans les bibliothèques elfiques. La première tâche n’est pas inabordable en soit mais elle repose en grande partie sur la seconde qui, là, est, je réutilise ce terme pour la troisième fois dans ce paragraphe, impossible. Triste constat que voilà. Pour la connaissance des tribus d’avant le Premier Empire des Hommes, il ne nous reste que les premiers textes d’Histoire qui en parlent depuis ce Premier Empire et notre grande part de recul dans le temps qui forme la première pierre de notre critique.
Les sources, gravitant fondamentalement autour de la paternité de la tribu de Laran, sont les suivantes : « L’Histoire des temps obscurs » du premier secrétaire au Roi, Naromao, qui n’apprend rien de bien fameux sinon que les temps obscurs étaient obscurs parce que les êtres humains ne connaissaient pas le feu et que cette merveilleuse invention a été amené par l’ancêtre du Roi du Premier Empire, Laran. « L’Histoire Blanche et l’Histoire Noire », d’un auteur inconnu et approximativement daté des décennies mille trois cent-mille trois cent dix, tente de raconter sans sources la vie tribale dans une critique de la société de son temps et notamment en chargeant la royauté des malheurs des paysans et pêcheurs de Berg et d’Elbe face aux taxes et aux douanes marchandes. Enfin, toujours dans les sources principales, « La Légende Dorée » rapporte, en posant un gigantesque contexte féérique, la « légende » de la Couronne d’Or du Roi, prétendant que c’est elle et non la tribu de Laran qui s’est échouée en moins mille trois cent quatre-vingt-sept sur la plage de la Terre d’E. Son auteur est inconnu de même que son ambition est floue. Puis nous avons une masse de sources secondaires consistant, en grande partie, aux rapports de batailles des premiers maillons des hommes à la nave blanche sur fond noir puisque ces rapports placent avec une extrême précision géographique les tribus annexées les unes après les autres. On trouve aussi dans ces rapports une idée du nombre de soldats ennemis, on en tire par là une ébauche de la grandeur de ces tribus allant possiblement avec un stade avancé ou non de développement global. Quoique cela ne soit pas complétement acquis. Puis, pour finir le tour des sources secondaires, il reste le paquet particulièrement difficile à traiter des bruits, des rumeurs et des chants de bardes qui narrent avec plus ou moins de brio et avec leur dose d’atermoiement artistique des tranches de vies tribales par ici ou par-là de la Terre d’E.
Dans une tentative, malgré tout, de faire une histoire des tribus d’avant le Premier Empire des Hommes, nous allons nous reposer sur un travail universitaire époustouflant d’innovation, ne serait-ce parce qu’il a été le premier à tenter de faire cette histoire, et surtout parce qu’il dit utiliser des textes elfiques, l’essai du Professeur Henry publié à Eter-Poiter en l’année mille vingt-huit avant l’Elu intitulé « Sortir des brumes de l’Histoire : L’expérience de la communauté tribale avant le Premier Empire des Hommes. Six mille huit cent quatre-vingt-dix-deux cent cinquante-six av. G.C. ».
Mais si cette œuvre lumineuse charme par ce qu’elle raconte, et qu’elle évoque bien ses limites, à savoir de se fonder sur des sources inexistantes hormis en elfiques, la problématique posée n’est pas satisfaisante en soi. Derrière « l’expérience de la communauté tribale » sont mises beaucoup d’idées confuses qui vont en tous sens. Il s’y trouve mêlée par exemple l’origine des tribus et des cités selon la légende officielle de l’Empire et la description du fonctionnement de la tribu des hommes du Nord-Est, la tribu Elkno. Une tribu connue et réputée, à ce qui est dit, par les Elfes parce que les membres de la tribu sont exclusivement masculins. Les deux développements sont incohérents entre eux puisque la version officielle prétend qu’avant l’arrivée de Laran, les êtres humains de la Terre d’E étaient désunis et vivaient dans le noir. La description elfique va jusqu’à dire que la tribu Elkno était sous l’autorité d’un homme, nommé Elk (ainsi « no » voulait dire dans la vieille langue « hommes »), et que chaque membre de la tribu devait lui apporter tous les neuf mois une femme capturée parmi les tribus voisines. On y voit alors une organisation sociale avec une certaine idée d’un découpage du temps qui passe, qui n’est pas du tout évoqué dans la version officielle du Premier Empire des Hommes, elle y est même complétement contraire. On voit aussi l’influence officielle par la datation retenue, la borne chronologique « six mille huit cent quatre-vingt-deux avant la Guerre Civile », c’est-à-dire la fin du Premier Empire des Hommes, est équivalente à la date donnée par la Gardienne de l’Equilibre, huit mille deux cent soixante-dix-sept avant l’Elu, à propos de l’arrivée de la tribu de Laran, comme vu précédemment. Cet événement n’a aucun fondement, prouvé pour l’heure j’entends, on s’y réfère seulement par défaut d’avoir autre chose
Je souhaiterai néanmoins reprendre la problématique de ce livre. A savoir de parler d’expériences humaines des femmes et des hommes des tribus. Avant que l’Empire ne soit fondé et que nous ne vivions que rythmé par un « ordre » et un « chaos » dans notre façon de voir les choses, l’expérience humaine des tribus pourrait nous apprendre autre chose. Je m’empêcherais de tenir le discours par trop commun d’un retour « aux sources » de ce que nous sommes, de un parce que sorti par la bouche de certain en ces périodes de troubles, nos « sources » sont le Premier Empire des Hommes et l’union feinte de tous les Hommes de la Terre d’E, de deux parce que je souhaite garder le discours scientifique et universitaire qui a fait et continue de faire ma carrière de professeur et de chercheur. Ainsi mon objectif n’est que de questionner comment et par quels moyens les femmes et les hommes des tribus d’avant le Premier Empire des Hommes vivaient ? C’est-à-dire aussi de questionner ce qu’il nous reste d’eux, ce qui a réussi à traverser les âges et si ces témoignages sont complets ou s’ils ne nous donnent qu’un regard partiel. J’ai déjà évoqué cela, en réalité, en discutant de nos sources textuelles, nous y reviendrons juste plus en détails. Enfin, puisque nous parlerons de tribus multiples qui ont connu des unions et des désunions entre elle, je souhaiterai parler et problématiser les moyens pour chaque femme, chaque homme et également chaque tribu d’exprimer sa singularité : comment se voyaient-elles/ils ? En somme, parler de « l’expérience de la communauté tribale ».
Vaste programme que nous étalerons sous trois parties chronologiques. La première partie parlera de la naissance des tribus : si nous sommes capables de trouver l’origine des tribus et sa date, de quoi était faite les premières communautés humaines avant la « tribu » en tant que telle. La deuxième partie va logiquement parler des tribus, de leurs existences sensibles jusqu’aux premiers développement de ces tribus avec l’élaboration des espaces autour d’elles et de la « mainmise » des grands espace. Enfin, la troisième partie évoquera les cités humaines, leur fondation et les points de ruptures et de continuités d’avec les tribus.
Il faudra considérer durant tout cet exposé que la Terre d’E est vaste et que le nombre de tribus va en s’allongeant plus de noms on voit apparaître au fil du temps. Pourtant chaque tribu, chaque territoire se développe à son rythme. L’évolution que l’on verra d’une tribu à un temps donné n’est pas valable pour telle autre tribu au même moment. La méthode de travail prise en toute bonne conscience est la suivante : nous allons suivre une chronologie fidèle à notre calendrier, donc de faire des constats en telle année de l’état des tribus. Nous allons donc faire des allers et des retours en arrière en termes de développement et d’évolutions sociales des tribus. Une autre façon de faire aurait été de faire état d’une évolution, globale et totale, logique et cohérente de l’ensemble des tribus sur du long terme. Mais cela impliquerait alors, dans une présentation du panel complet de toutes les tribus, des allers et venues dans le temps. Assumant mon incapacité à ne pas brouiller sûrement certains lecteurs en faisant des allers et venues difficile à suivre, je défendrai qu’il soit probablement plus confortable d’avoir en tête une chronologie suivie puis de se laisser emporter par ici ou par là à la surface de la Terre d’E.
Et les Gardiens en soient remerciés, aucune tribu n’a vécu en sous-sol !
Première Partie : La naissance des tribus
Pour commencer, reprenons la date de huit mille deux cent soixante-dix-sept avant l’Elu. L’événement de l’arrivée sur la Terre d’E de la tribu de Laran, au moyen de leurs navire à un mat serait de cette année. Nous avons fait, dans les livres d’histoire et ainsi dans notre conscience commune de notre passée, la date de début de l’ère des tribus et que cette ère aurait durée jusque mille trois cent quatre-vingt-sept, date de la fondation du Premier Empire des Hommes. Si par calcul de calendrier on est capable de dater avec précision la charte impériale de la fondation du Premier Empire des Hommes, la date de l’origine des tribus relève quant à elle d’une précision douteuse et non prouvable et elle est surtout liée au contexte du discours de la Gardienne de l’Equilibre : Royaume de Gilor, neuf cent vingt-huit, alors en pleine guerre contre les Elfes de Dalon-Premier. Les Hommes de Gilor sont exténués par une guerre longue. Les morts ne se comptent plus en centaines mais en milliers, chaque individu du Royaume a dans sa famille ou dans ses amis proches un disparu tellement mortelles sont les invasions et incursions elfiques successives. Les Gardiens de l’Equilibre, faisant foi à leur réputation, sont apparus à Gilor dans ce contexte de désespoir profond. Le discours tenu, pour le peu qu’on en a conservé, par la directrice de ces Gardiens n’a rien de plus qu’un fond idéologique d’union sacré des Humains face aux elfes en traçant depuis l’aube de l’Humanité que nous venons toutes et tous d’une même racine, l’union et l’Empire et que par lui nous sommes une force invincible. La date donnée ici n’a que pour principe un semblant de grande précision bien qu’elle ne repose sur rien. Si toute l’histoire de la tribu de Laran n’est pas inventée (en fait reprit de l’Histoire Impériale dont la Gardienne y est peut-être pour quelque chose), cette date n’a aucun fond parce que l’événement de l’arrivée sur la Terre d’E de navire à un mât n’a rien changé en lui-même.
J’ai longtemps voulu remettre en question cette datation, mais je me suis trouvé face au cruel dilemme des sources. S’il est, effectivement, impossible de prouver le bien fondée de cette date parce qu’aucune autre source que ce discours n’existe, il est également impossible de la contredire à force de renfort d’autre date… parce que le souci des sources demeure. Se fier à la parole de la Gardienne reste alors la seule solution. Quoique dans notre époque, les Gardiens ne sont qu’un souvenir, et se souvenir s’estompe de génération en génération.
Aujourd’hui, néanmoins, je voudrais plutôt critiquer l’idée d’une datation précise. Non la date en elle-même mais son utilisation. En effet, qu’est-ce que cela change qu’un navire accoste les rivages de la Terre d’E ? L’évènement qui n’est vu par personne (car aucune tribu n’habite les rives centrales des Mers du Sud) et n’est vécu que par ceux qui font l’action, ne redessine en rien le cours des choses à l’instant T. C’est ce que vont faire et vont apporter, échanger, offrir ou faire entrer de force dans les autres tribus ces hommes avancés qui va changer les choses. Ce n’est pas, ainsi, un événement à l’instant T qui a changé le cours de l’Humanité, mais une série de changements sociétaux influencés par cette nouvelle tribu. On parlerait ainsi sur du long terme, sur plusieurs années, voire des décennies. Je prendrais pour preuve que, si la tribu de Laran était destinée à faire régner un Empire unifié de tous les Hommes, que ce fait soit établi déjà en huit mille deux cent soixante-dix-sept, comment se fait-il qu’il ait fallu six mille huit cent quatre-vingt dix ans pour fonder cet Empire ? La réponse repose sur des évolutions sociétales longues et complexes dont l’événement de l’arrivée de la tribu de Laran n’est qu’une étape parmi tant d’autres. Ces étapes pourraient avoir été déclenché avec Laran mais pourrait tout aussi sûrement remonter bien avant, à l’Aube plus ancienne de l’Humanité sur la Terre d’E.
Aube plus ancienne, oui, parce qu’il faudrait être partisan de l’existence de la tribu de Laran dans ses péripéties officielles d’arrivée sur un navire. Cet épisode a-t-il vraiment existé ? La question se pose et les réponses arrivent non sans difficulté mais sont toutes réfutables.
Les terres du Premier Empire des Hommes s’étalent, rappelons-le, « sur le territoire des Plaines, des Steppes de l’Ouest aux Montagnes de l’Est, de la Mer du Sud aux Monts du Nord. ». Un territoire qui a quelque peu changé depuis le temps. La Mer du Sud s’est avancée vers le Nord et nous avons, depuis, découvert des terres au-delà des « Monts du Nord », qui ne sont, par ailleurs, plus qu’un, un et unique Mont. Ce qui se trouve entre les Steppes de l’Ouest et les Montagnes de l’Est reste en revanche à peu près identique. Aussi des fouilles entreprises par certaines équipes universitaires se sont lancée à l’assaut de la mise au jour du passé. Nous avons quelques merveilleuses découvertes à l’Ouest comme à l’Est et dans tous ce qui se trouve entre les deux. Une seule petite région n’a pas encore été victime de fouille, et à juste titre terrorise les professeurs autant que les élèves, la Vallée Profane, lourdement assombrie par son histoire.
Dans le Royaume d’Acar, sur le bord du fleuve Avin, à des centaines de mètres de la frontière avec le Royaume d’Arl, un étrange fossé a été fouillé durant une campagne, en quatre cent cinquante-cinq après l’Elu, de fouilles en partie payée par l’Université d’Acar et pour le reste par la petite ville de Merk, pour des raisons historiques. En effet, l’idée de retrouver le passé de la tribu de Elkno, selon le vertueux récit du Professeur Henry, a été vivace chez les habitants de Merk. Sous l’autorité du Maire, une collecte a été menée et le don a été fait à l’Université d’Acar de la main même du Maire qui a fait tout le voyage en compagnie de l’argent récolté. Le don a été conséquent si l’on considère toute la logistique qui s’est vu sur le terrain des fouilles. Revenons-y d’ailleurs. Un fossé a été maladroitement découvert lorsqu’un sillon de fermier s’est enfoncé dedans et que le bœuf a suivi sa courbe nonchalamment, malgré les menaces et les coups du paysan. Curieux, l’habitant de ces terres éloignée a appelé les autorités qui ont avertis l’Université d’Acar et cela a suivi comme précédemment décrit. Le fossé d’un mètres cinquante de profondeur pour une largeur à son maximum de soixante-dix centimètres suit un arrondie presque parfait en partant du lit du fleuve (qui a bougé depuis de deux kilomètres vers le Nord) jusqu’à son point de départ un kilomètre en amont. L’espace à l’intérieur du fossé a intégralement été fouillé, pendant près de dix ans durant les mois de vacances universitaires. Le fossé connaît deux entrées non creusées et ce qui semble avoir été des chemins en pierres. Autour de ces chemins, en face de l’entrée Est, apparaît un tas de débris de silex et d’os, d’animaux comme des renards et des rennes en grande majorité avec de remarquables exceptions comme des fémurs de deux lions différents et des membres d’autruches typiques des Steppes de l’Ouest, qui semble montrer un espace d’artisanat remontant, selon le niveau géologique dans lesquels ils se trouvaient, au onzième millénaire avant l’Elu. Ce sont les plus vieux ossements d’animaux retrouvés dans un contexte d’activités humaines. Et ce sont, malgré l’acharnement de l’Université d’Acar, les seules données exploitables de ce site. Le fleuve Avin, le temps et/ou la matière périssable avec laquelle les Hommes de cette époque vivait, n’a laissé aucune autre trace. On ne peut qu’hypothétiser à son propos.
L’archéologue et historien Olos de Acar a mené les fouilles pendant toutes ses années. Il était un vétéran de ce genre de travaux et le dernier rapport de fouille du site est à lire comme un testament d’archéologue et d’historien puisque Olos a terminé sa carrière avec cette campagne. Il a d’ailleurs nommé officiellement le site la « fausse Elkno » et officieusement la « deux cent kilomètres trop à l’Ouest » dont on comprendra la raison un petit peu plus loin. Olos est décédé plus tard dans l’année, quelques jours après sa mise en retraite par l’Université. L’hypothèse qu’il retient de cette fouille est la suivante : la fausse Elkno était une petite tribu qui a dû connaître une fin malheureuse. Sa localisation à proximité du fleuve pouvait lui permettre de vivre de la pêche mais ne l’empêchait pas de chasser. Et elle commerçait très probablement, en preuve de ces os d’autruches de l’Ouest qui n’ont pu venir tous seuls. Le kilomètres de diamètre du demi-cercle du fossé précise une taille moyenne, comparé aux autres espaces tribaux que nous verrons plus tard, mais il ne peut nous indiquer le nombre d’individus. La dégradation des sols qui empêchent de trouver quoique ce soit d’autre est dû ou aux remous du fleuve, ce qui est plus que certain, ou à un incendie complet de l’ensemble de la tribu, probablement perpétré par la tribu voisine, la mythique Elkno.
Le fait indéniable que nous retiendrons est un potentiel commerce à la surface de la Terre d’E entre la région au Nord-Est et les Steppes de l’Ouest, c’est-à-dire sur plus de mille kilomètres au moins. Les os des grandes autruches des Steppes sont parlant de vérité. Ce commerce impliquant une certaine construction sociale à bases d’interactions complexes entre individus et groupe d’individus, nous le voyons remonter au mieux à dix mille ans avant l’Elu, c’est-à-dire deux mille années avant l’événement mythique de l’arrivée sur les rives de la Mer du Sud de la tribu de Laran.
La cartographie militaire a fait apparaître distinctement aux archéologues du Royaume de Dann et ceux envoyé de l’Université d’Elberon la Grande, une fosse commune organisée quelques kilomètres au nord de Elbe. Les restes humains, ou disons plutôt les marques palpables qu’ils ont laissé dans la terre, de cette nécropole avant l’heure, remontent avec approximation au onzième millénaire avant l’Elu. Ces fouilles très récentes faites en cinq cent deux, ont rapidement été comparé au site précédemment vu de la fausse Elkno. Un géomorphologue a dicté la marche à suivre qui est malgré tout critiquable : les restes humains de Ilharm au nord de Elbe, se situant un demi-décimètre au-dessus des os d’animaux de la fausse Elkno, Ilharm est alors plus récente d’une centaine d’années. Son calcul considère la variation de l’environnement, la différence entre un climat près du fleuve Avin et celui près de la Mer du Sud, mais il me semble pourtant peu intéressant pour ce qu’il est, d’autant qu’à la lecture du rapport de fouille, l’idée que la fosse soit creusée (donc que le fond soit intrinsèquement plus bas que le niveau de vie) n’apparaît pas beaucoup.
On parle également ici de comparer deux choses bien différentes. Nous avons d’un côté un résidu d’artisanat et de l’autre une nécropole, donc d’un côté nous faisons face aux êtres tribaux vivants, de l’autre aux êtres tribaux morts. Une comparaison serait innovante si elle se faisait entre deux nécropoles ou entre deux sites d’artisanats. Ainsi je ne vais pas considérer la certitude que la « fausse Elkno » soit antérieure à Ilharm mais bien qu’ils soient approximativement contemporains.
La nécropole d’Ilharm, aujourd’hui petit village très charmant et régulièrement récompensé dans les concours annuels des villages les plus fleuries du Royaume de Dann, nous renseigne sur plusieurs choses : nous avons un nombre d’individus qui semblent avoir été abandonné en même temps, ou quasiment, et ordonné pour que la fosse commune contienne des rangées, des colonnes et des allées entre celles-ci. Sur les deux cents traces de corps, un seul n’est pas positionné comme les autres. Ils ont tous les pieds vers le Sud, ce premier a les pieds à l’Ouest mais se trouvant au Sud de ces camarades, il semble présider ces aimables colistiers. On ne peut malheureusement pas en dire beaucoup plus. On ne sait qui étaient ces gens, aucun espace tribal n’a été retrouvé à proximité, même plus récent, et les figurés des corps qui apparaissent dans la terre ne laissent qu’apercevoir une grande, mais pas totale, similarité de la dépose des corps : tous en longueur, bras le long du corps, jambes allongés et tête au point zéro dont les yeux regardent le ciel.
On pourrait néanmoins conclure que l’on aperçoit, pour la période avant les dix milles années avant l’Elu, des traces d’organisation des tribus. Même si elle ne semble pas grande en numéraire (deux cents individus ?), un commerce est mis en place entre tribu et à la mort des individus un espace de morts est organisé avec un jeu de mise en scène. Je ne m’aventurerais pas à généraliser ici deux sites personnels mais je tiens à dire qu’à cette époque cela existe déjà et dire par là que la Tribu de Laran n’a pas inventé la nécropole ni l’échange sous forme de don-contre don (ou sous forme monétaire ?). Des traces anciennes démontrent une origine plus ancienne. Dire également que ces traces ne posent pas que Ilharm ou la Fausse Elkno ont inventé, l’un l’espace mortuaire, l’autre le commerce, mais renseigne que cela existait à leur époque, donc qu’il y a une antériorité à ces constructions sociales.
A la page dix de l’ouvrage du Professeur Henry, on peut lire ce passage introductif sur l’antique tribu de Elkno :
« Bien que cela se soit passé il y a des milliers d’années, à nôtre époque il est possible d’entendre des histoires chez les Elfes sur la tribu de Elkno. Richesses et voluptés paraient la tente du chef, qui se nommait Elk, d’héritier en héritier. L’espace tribal était protégé par une enceinte de bois relié par des cordes solides et tout était peint en blanc. L’enceinte, dit-on, faisait dix kilomètres de long, logé à l’Est entre le fleuve et une colline escarpée, au Sud elle longeait la forêt de Ballr et s’arrêtait dans les marais dans le coude de la course du fleuve. Les marais faisaient une frontière naturelle suffisante. Elkno était une tribu violente qui assujettissait ses voisines, notamment tous les neuf mois où chaque homme avait pour mission d’aller capturer une femme pour ensuite la présenter au chef. Celui-ci choisissait laquelle engrosser pour laisser les autres à ses hommes. Si une femme autre que celle choisi par le chef tombait enceinte, elle était mise à mort et jetée dans le fleuve. La tribu ne gardait que les enfants mâles de la femme choisie, si elle donnait naissance à une fille, le fleuve était la cruelle destinée. On comprend comment et pourquoi cette tribu a marqué les Elfes lorsqu’ils descendirent des forêts du Nord pour se mêler aux Hommes ; pour disparaître aussi vite et ne revenir que quelques milliers d’années plus tard ! »
Commençons par définir ce qu’est une tribu. Préalablement il faut un groupe d’être humains, on parle d’une famille étendue donc qu’il y a un couple central, les enfants de ce couple et au minimum, les conjointes et conjoints de ces enfants, ou au-dessus d’eux, les oncles et les tantes, les grands-parents. Bref, il faut plus de membre qu’une seule tente puisse accueillir. Dès lors qu’il y a plusieurs tentes, d’habitations j’entends, il y a une pensée communautaire qui apparaît et une gestion globale des tentes d’habitations, des membres, des activités qui vont assouvir les besoins physiologiques de ces individus, puis les besoins de sécurité et enfin, peut-être, les besoins d’accomplissement de chaque individu de la tribu. Si ce n’est l’ensemble des membres, ce ne serai que les besoins d’un membre, le chef. Il faut, également, imaginer que, si on est arrivé à vivre en tribu, il y eut un avant de cette situation. Quel était-il ? on ne peut savoir, on ne peut qu’imaginer, supputer, rêver. La tribu fut la première invention humaine qui a laissé des traces, du moins est-ce ce que l’on va penser. Si la définition de la tribu comme une instance où la vie en communauté était possible, l’avant de cette situation devait être sans cet acquis. L’être humain vivait seul, en famille directe et en survie constante. Il était probablement nomade, puisque la tribu a également comme repère d’être un lieu relativement fixe pour ce que l’on en connaît, avec un habitat rudimentaire certes mais en grande partie sédentaire. La tribu Elkno avait une enceinte de bois nous apprends le Professeur Henry. Ce mur est irréductible et, d’ailleurs, intemporel, on en a encore aujourd’hui dix mille ans plus tard. Les humains d’avant la tribu devaient vivre dans des grottes, sous des tentes transportables et en groupe dispersé. On aura à y revenir avec la grotte du T, au Nord des Plaines de la Mer.
Voilà où je voulais en venir. Si l’on considère la tribu comme un ensemble de tentes regroupé pour des préoccupations communautaire, la tribu n’a, ainsi, qu’une seule expression et expérience de son existence. L’avant tribu est, lui, multiple, divers et varié. Nous allons voir à présent la largesse pourtant d’expérience humaine que l’on a pu retrouver pour le dixième millénaire avant l’Elu. Elkno n’est en réalité qu’un exemple parmi tant d’autres :
· Elkno semble être le plus antique exemple que nous ayons et la description du Professeur a le mérite de dire tout ce qu’on semble être sûr d’avoir. On est en présence, sur les bords du fleuve Avin, d’un large demi-cercle de trois kilomètres de diamètre représentant la course de l’enceinte. A l’intérieur de ce demi-cercle, on a retrouvé des traces de déchets d’artisanat de pierre, d’os et de bois, une courbe des étages sédimentaire tassé sur certains trajets, ce qui pousse à croire en l’existence de chemin entre les tentes qui devaient être très fréquentés. Au centre du demi-cercle et le lieu où se rejoigne tous les chemins, un espace circulaire vide laisse penser à la tente du chef, Elk, d’autant plus que, dans un alignement presque droit du Nord vers le Sud et de l’Est vers l’Ouest, cet espace central est dans l’axe des trois portes dans l’enceinte extérieure. Ces portes sont repérables par l’absence méthodique du fossé et des traces restantes du mur en bois.
· La grotte ou caverne près du petit bois au sud du sommet d’Eter, a dû connaître une occupation d’une vingtaine d’individu en même temps. Cette caverne peu profonde a comme des niches le long d’une allée centrale qui pouvait accueillir une à deux personnes pour le couché, ce devaient être comme des « cases » où des peaux de bêtes servaient de paillasse. Un T gigantesque, fait en rochers de quelques tonnes chacun, couché verticalement du Nord vers le Sud, indiquait peut-être (mais à qui, quelqu’un qui regarderait de haut ?) l’entrée de cette grotte. Elle devait en effet être caché par une bonne végétation, la forêt et un espace qui a dû connaître par le passé une activité volcanique dont les blocs de pierre parsemé dans l’espace demeurent les témoins.
· Marp est une petite tribu, peut-être une cinquantaine d’individus, niché sur les bords d’un lac aujourd’hui disparu, dans le Sud-Est des Plaines de la Mer, à proximité du lit très mouvant de la rivière Elbe. Les membres de la tribu Marp devaient être des pêcheurs vu l’environnement de steppes arides qui devait y avoir à cette époque. Pourtant aucun bateau n’est attesté, malgré la taille du lac qui devait faire dix kilomètres entre la rive Est et la rive Ouest.
· Eot et Eit sont des cavernes au sommet de ce qui sera le Pic d’Eolt après quelques changements de configuration du terrain. Des traces intrigantes d’amarres d’un pont en bois au-dessus du vide, exactement entre les deux entrées des cavernes, font penser à une sophistication des deux tribus. D’autant plus que, les deux cavernes pouvaient se rejoindre par une galerie profonde mais dont on ne peut dire si elle fut empruntée une fois. Cette galerie est en profondeur, elle descend en-dessous du niveau de la mer, alors que les deux entrées de cavernes se retrouve à des centaines de mètres au-dessus de la mer.
· El est le nom d’une tribu dont les traces se situent actuellement sous la ville de Barge. C’était la plus grande tribu de son époque, le récit de barde qui raconte les péripéties de cette tribu face à une invasion des Orques, ne contredit en aucun cas ce qui a été mise à jour. Des fosses communes ont donné aux archéologues des squelettes entiers outre d’êtres humains, des loups, des autruches géantes des Steppes et les Kodos tel celui sur lequel l’Elu est revenu des Steppes de l’Ouest, du moins comme il a été peint par Kirki en son temps. La tribu de El, au dixième millénaire, devait comprendre deux cents à trois cents individus et des relations amicales sont attestés entre autres par les traces d’une route en pierre la reliant d’un côté, au Nord, aux tribus de Marg et Targ et à l’Ouest à la tribu Pt.
· Enfin, la tribu Lari se situant à proximité des montagnes du Sud-Ouest a une dimension supérieure au reste mais pour la raison qu’elle fut occupée en grande majorité par des chasseurs dont on peut estimer qu’ils avaient cœur de garder de bonnes distances entre voisins. Une chasse aux autruches des Steppes, aux loups et aux Kodos est attestée par des restes d’ossement. Et un contact lointain avec la tribu de El s’envisage grâce à l’esquisse d’une route partant vers le Nord-Est.
Après ce tour d’horizon que nous avons pour le dixième millénaire avant l’Elu, nous avons assez d’éléments pour dire que nous entrons dans le temps des Tribus. Tout le moins en grande majorité sur l’espace des Plaines de la Mer. S’il peut y avoir des antécédents avec la fausse Elkno ou Ilham, le dixième millénaire voit se multiplier les places et lieux dont on a une communauté : Elkno, Marp, Eot et Eit et surtout El avec qui nous glanons une nouvelle dimension, des éléments nombreux d’interactions avec plusieurs petites tribus. Pourrait-on déjà parler de hiérarchie ? de subordination ? un autre élément d’expérience de vie de nos ancêtres.
Mais comment peut-on observer la soumission d’une tribu à une autre, concrètement parlant ? Si les textes vont le décrire longuement avec la monarchie, au temps des tribus et avec le résultat des fouilles, un seul critère peut nous faire croire qu’une tribu est plus puissante qu’une autre : son étendu de terrain (et par là le nombre d’individu). Le nombre fait la force, nous pouvons l’estimer, mais les liens de subordination sont plus subtils que cela et beaucoup moins marqués dans la terre. De ce fait, je ne me tenterais pas à explorer cette piste. Je vais prudemment rester un signe et une cause à effet : l’étendu de terrain montre une multitude d’individu, ce qui implique une organisation sociale. Nous voici venu aux temps des Tribus.
Deuxième Partie : Les Tribus
Avant d’arriver à la tribu de Laran qui serait apparu dans les dernières siècles du neuvième millénaire, notre époque à fait quelques autres découvertes et observations. Il faut par ailleurs commencer en faisant un lien avec trois tribus précédentes :
La tribu de Elkno semble traverser ce millénaire sans connaître ni une croissance notable ni un repli, en quelque sorte. Les fouilles ont trouvé les mêmes choses sur les niveaux du neuvième millénaire que ce qu’ils ont trouvé au millénaire précédent. Ceci est à la fois étonnant que vertigineux : cette tribu semble bien avoir vécu plus de mille années de la même façon, sans évolution majeure pour sa communauté sociale que numériquement avec une évolution de sa population.
El en revanche, les fouilles ont trouvé des tracés d’extensions successives de fossé et de mur d’enceinte qui ont augmenté son volume petit à petit. Et les tribus secondaires de Marg et Targ, au Nord se sont également étendues, de telles sortes que : en premier lieu ces deux dernières ne firent plus qu’une, on observe bien une fusion des espaces de vie passé le milieu de ce millénaire, en huit mille trois cent ou huit mille deux cent avant l’Elu ; en second lieu, d’un coup, à la fin du millénaire, les trouvailles du sol indiquent que dans les espaces de ces tribus on ne commence plus qu’à tailler des os et des pierres. Il n’y a plus d’espace de cuisine, plus d’espace de repos. Considérant l’espace de la tribu El qui, au Sud de Marg et Targ, se rapproche de plus en plus, on est tenté de croire que les trois tribus ont fusionné et les populations sont allé se concentrer en El pour laisser au Nord que des quartiers d’artisanats.
En ce qui concerne Marp et la tribu de la caverne avec son T identitaire, le neuvième millénaire semble les avoir effacés : Marp a peut-être fini sous les eaux de la rivière Elbe (on connait assez mal l’histoire de cette rivière, était-elle plus large ou plus mobile, ou autre, qu’elle ne l’est aujourd’hui ?) et la caverne ainsi que son T sont simplement abandonnés, il n’y a plus aucun élément d’activité humaines par la suite. Une mission d’étude dépêché par la ville d’Eter-Poiter il y a quelques années, a fouillé la caverne de fond en comble pour ne retirer que de maigres résultats : on ne trouve qu’éparse dans le temps des squelettes d’ours ou de lions, preuves s’il en est des locataires non humains de cette grotte (et la raison de son abandon ? peut-être).
Venons-en, à présent à quelques données plus qu’étonnantes. Un fermier des Plaines de la Mer à un jour fait déboiser un fragment infime de la forêt du Pic d’Eolt, au Nord, pour étendre son domaine cultivable. Quelle ne fut pas sa surprise de faire sortir de terre et de l’histoire des pierres, quelques colonnes, des éléments, semble-t-il de fortification, et avec parcimonie d’autres traces d’édifications de bâtiments en dur (en pierres ou en bois). Cette découverte a, bien évidemment, fait la une des nouvelles dans toutes les villes de la Terre d’E et le paysan a attiré une multitude de curieux en tout genre et également quelques chercheurs parmi les meilleurs universitaires. Si le pillage des ruines par ces curieux et voleurs venant de tout le pays, prenant des morceaux de pierres comme si cela leur appartenait et pour en faire quoi ?, une bonne partie de ces actes ont aussi fait parler d’eux dans les actualités, on a peu ou prou, en revanche, fait états des études et des résultats des fouilles sérieusement entreprises. Je vais y revenir dessus car cela le mérite :
Sur un espace dont les limites sont encore à éclaircir mais probablement d’une poignée de kilomètres de diamètre, et niché entre, au Nord l’orée de la forêt, au Sud par les premiers vallons rocailleux du Pic d’Eolt et fermé par deux grandes collines à l’Est et à l’Ouest, a été mise à jour un complexe avec plusieurs structures, des habitations, des entrepôts, une pseudo-muraille avec son fossé extérieur, ou du moins se laisse-t-on suggérer cela car ce qui ne correspond pas avec nos connaissances c’est qu’il y a une utilisation de la pierre dans la construction d’une majorité des édifices. Jusqu’à présent on a tenu pour acquis que les tribus faisaient des constructions en bois puisque tout ce qu’on a réussi à retrouver ce sont des trous laissé par exemple pour les fondations d’un mur en bois, fait d’un assemblage de colonnes verticales collées les unes à côté des autres. Ce qui laisse comme un « imprimé » dans la terre remuée de ce qui a été posé. Tandis que le bois, lui, a disparu en poussière, la terre s’est solidifiée en gardant une partie des anciens contours des structures. Ceci est un état de la science des fouilles. Que les hommes des tribus aient commencé à construire en pierre révolutionne en bonne partie l’histoire :
- d’une part la construction en pierre laisse dire que les habitations et autres structures communes avaient une utilisation sédentaire plus marquée que les structures en bois. La tribu d’ici est donc sédentaire à cent pourcent ou quasiment, ce qui est unique en son genre pour ce millénaire ;
- d’autre part, une construction en pierres demande beaucoup plus de travail et de main-d’œuvre qu’une structure en bois. Il faut aller chercher les pierres dans une carrière (ici, les flancs Nord d’Eolt étaient sans nulle doute les fournisseurs), tailler des gros morceaux et soit les transporter jusqu’à la tribu soit faire des tailles plus petites encore à la carrière. Puis il faut tailler la pierre morceau par morceau pour convenir à ce que l’on veut, une colonne, un mur d’enceinte, ou autre. Mais ce qui est le plus étonnant pour le neuvième millénaire, c’est que la pierre demande un produit collant, un ciment, pour que les morceaux de pierres tiennent ensemble, l’une à côté de l’autre ou l’une au-dessus de l’autre. Ce ciment, à l’époque, il a fallu l’inventer ! Et nous n’avons pas trace de cette invention avant très longtemps après, à l’ère des villes à l’urbanisation active, trois-quatre millénaires plus tard.
Revenons au fait que nous avons très peu évoqué ce cas de tribu du neuvième millénaire à notre époque. Nous n’en parlons pas car nous ne savons pas quoi en penser. Mais surtout parce que sa datation est tout à fait obscure : s’il est utilisé jusque là les niveaux de terrain pour établir l’âge et l’époque où remontent les trouvailles, n’ayant retrouvé dans ce cas-là que les pierres que les racines des arbres maintiennent hors sols ou à peine immergé dans la terre (et ne parlons pas des tracés des structures ou du tracé du fossé qui sont tout à fait brouillé avec les racines des arbres), nous ne savons pas exactement comment calculer l’âge de ces ruines. L’indice qui laisse suggérer qu’elles remontent au neuvième millénaire se trouve dans la carrière de pierre d’Eolt, au Sud. On a trouvé des creusements dans la montagne à l’endroit où on extrait encore un peu de pierre aujourd’hui, qui pourraient remonter si loin dans le temps. Voilà notre seul indice, mais il est bien imprécis car les extractions de pierre avec coups de pioche ou autres instruments sont difficilement analysables. Comment définir si un coup de pioche a été donné aujourd’hui ou hier ? notre méthode de calcul mérite de s’améliorer avant d’être force de vérité dans les études.
J’ai été long sur cet élément pour cacher quelque chose que je vais à présent avouer : il n’y a pas grand à raconter sur le neuvième millénaire. S’il est virage prit pour les tribus, dans la chronologie que je souhaite établir, il est matériellement et archéologiquement, assez invisible. La faute à qui ? ou à quoi ? A nos moyens de fouilles peut-être ? qui ont quelques techniques et méthodologies à perfectionner et peut-être une technologie à améliorer. Faute peut-être à la chance car je suis convaincu que les trouvailles pour améliorer nos connaissances sont là, sous nos pieds et ce sont en réalité nos sites de fouilles qui ne sont pas là pour restituer quelque chose de viable sur le neuvième millénaire. Mais entre les différents sites de fouilles dont je vous ai fait un petit tour et l’ensemble du périmètre de la Terre d’E qu’il faudrait fouiller pour être au fait de toute l’histoire, il y a grand à faire !
Tout de même, je ne peux terminer le tour de ce millénaire sans parler des quelques petits sites suivants : premier point de la liste, malgré des fouilles des bord de rives, nous n’avons pas trouvé le moindre signe de tribu le long de la Mer du Sud, à la recherche de la tribu de Laran. Sans l’ombre d’une hésitation, c’est normal, le niveau de la mer est monté de quelques mètres, les traces sont sous le sable dans l’eau à présent. Mais il est bien de noter l’effort qui a été dépensé par les universitaires dans cette recherche inespérée.
Dans le Sud-Ouest de la Terre d’E, la tribu de Lari semble s’être tourné vers les montagnes et les Steppes de l’Ouest car nous n’avons plus de traces dans son précédent périmètre, la tribu a migré mais on ne peut savoir où.
Dans le Nord et en particulier le Nord-Ouest, en dehors de la caverne avec le T, il n’y a aucune trace mémorable d’activité humain à l’exception d’une piste : sur les bords de Fyl, à une centaine de kilomètres à l’Ouest du pont, aujourd’hui, sur le fleuve, des pêcheurs ont retrouvé marqué dans la terre humide du bord de l’eau quelques antiques traces d’un fossé. Etonnant fossé par ailleurs, car on pencherait plus à le prendre pour un canal qui aurai amené l’eau de Fyl à quelques kilomètres dans les terres au Sud. Mais où ? cela reste à découvrir.
A l’Ouest à présent, quelques expertises géologiques ont été menés dans les Montagnes de l’Est depuis longtemps, à la recherche de minerais, et certaines recherches ont fait des découvertes inattendues : à peine quelques vallons au Sud de la Vallée Profane, tandis qu’une carrière de pierres semblait être exploité occasionnellement depuis des siècles, en l’année cinq cent soixante-dix, un éboulement a mise à jour l’entrée d’une caverne. Dans cette caverne, surnommée « La Sentinelle » à cause du rocher à l’entrée qui a la forme d’un homme qui monte la garde, les fouilleurs ont retrouvé des ossements découpés par l’un ou l’autre outils antiques de tribus humaines. Nous avons déterminé que l’âge reculé de ces os étaient au mieux du septième ou huitième millénaire, mais peut-être plus ancien encore, du neuvième millénaire par exemple.
[à suivre]
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