Chapitre 1 (2/2)

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Au bout de plusieurs minutes, Ortis abandonna Meril afin d’aller se préparer lui aussi pour la soirée à venir. Elle se retrouva seule à flâner dans les ruelles frappées par l’obscurcissement du ciel, celui-ci perdant progressivement sa touche orangée. Elle n’avait nulle part où rentrer depuis la veille. Elle choisit de continuer son chemin et tomba sur un stand de croquettes de poisson. Elle paya le marchand avec quelques pièces de linots et s’assit sur le trottoir pour manger. Sa faim s’apaisa progressivement. Elle se demanda ce qu’elle allait pouvoir faire à présent qu’elle n’avait plus de toit.

  • Meril, c’est bien toi ?

L’intéressée releva la tête, la bouche pleine. Ses yeux s’agrandirent lorsqu’elle reconnut la jeune femme qui venait de l’aborder. Elle avala sa bouchée.

  • Talia ? demanda-t-elle en se relevant d’un bond.

Elles se fixèrent de longues secondes sans bouger. La nouvelle arrivée se jeta finalement sur la danseuse et l’enlaça de toutes ses forces. La jeune femme, d’abord crispée, se laissa gagner par le moment. Elle rendit à son amie son étreinte, inspirant le parfum boisé qui se dégageait de sa chevelure. Les larmes menacèrent de poindre.

  • Mais qu’est-ce que tu fais ici ? A manger des croquettes ? demanda Talia en relâchant son étreinte.

Elle fixait Meril qu’elle tenait à bout de bras. Celle-ci détourna le regard en refoulant ses larmes.

  • C’est une longue histoire.
  • J’imagine que tu ne m’en diras pas plus, fit Talia d’un air préoccupé. On va voir si l’alcool te déliera la langue. Tu n’as rien de prévu j’espère ?
  • Rien pour l’instant.

Il n’en fallait pas plus pour Talia. Elle attrapa son amie par le bras et l’emmena jusqu’au Triton, une taverne qui se trouvait proche du château du comte Alivar. On entendait d’ailleurs déjà l’agitation qui secouait son domaine. Les calèches emplies par les rires des nobles commençaient à défiler sur les pavés.

Les jeunes filles rentrèrent dans la taverne animée. Des gens mangeaient avec gourmandise, à pleines mains, d’autres étaient déjà bien imbibés. Elles s’arrêtèrent devant le comptoir.

  • Ah Talia, tu es de retour, ça tombe bien. On a besoin de toi.

Les filles se retournèrent et remarquèrent qu’un homme bâti tout en muscles s’approchait d’elles.

  • Non Fusco, j’ai dit au patron que je prenais ma soirée, vous allez vous débrouiller sans moi. Et tu peux me faire les yeux doux, ça ne changera rien, j’ai d’autres engagements, répondit Talia en souriant à Meril.

Le fameux Fusco parut embêté. Il fit mine de réfléchir quelques secondes pour finir par appeler un certain Soulimé d’une voix portante. Un garçon d’une quinzaine d’années arriva rapidement.

  • Soulimé, il faut que tu me trouves deux serveuses, c’est urgent.

Le garçon hocha la tête.

  • Je fais aussi vite que je peux chef.

Il se faufila entre les clients et se volatilisa.

  • Pourquoi deux serveuses ? questionna Talia.

Fusco lui expliqua qu’une de ses collègues était tombée malade, la seconde, quant à elle, demeurait introuvable. La taverne était bondée et il y avait très peu de personnel. Talia s’engagea à faire le service le temps que Soulimé revienne, s’excusant par avance envers Meril.

  • Ne t’inquiète pas, je comprends. Je t’attends au comptoir.
  • Super, fit Talia. Je vais me changer. Tu veux manger ?
  • Non merci, je n’ai plus faim.
  • Ça m’étonne, tes croquettes n’étaient pourtant pas si copieuses. Bon, attends-moi, je reviens.

Elle demanda à Fusco de servir à boire à son amie et partit précipitamment. Meril se retrouva seule. Elle laissa son esprit divaguer quelques secondes avant d’être brusquement interrompue par l’arrivée d’une chope de bière dans son champ de vision. Elle releva la tête. Fusco se tenait de son côté du comptoir, les bras croisés.

  • Arrête de broyer du noir et bois. Ça t’aidera, fit le colosse.

Meril scruta l’homme plus attentivement. Malgré sa stature qui pouvait facilement intimider, son visage inspirait la confiance.

  • Merci, mais je vais bien.

Fusco siffla entre ses dents. Il plongea son regard dans celui de la jeune femme et finit par hausser les épaules.

  • Si tu le dis ma grande. Ne t’inquiète pas je te rendrai ton amie d’ici peu. Alors patience.

Sans attendre de réponse, il retourna derrière son comptoir pour s’occuper des autres clients, laissant Meril de nouveau seule. Fusco avait raison, son esprit était enseveli sous une avalanche d’idées noires. Elle ne souhaitait pas penser, ni réfléchir. Elle considéra le breuvage un instant et se fit le serment d’arrêter de cogiter, le temps d’une soirée. Elle avala une gorgée et se positionna de sorte à pouvoir avoir un œil sur l’ensemble de la taverne. Il était vrai que le personnel semblait dépassé par la situation. Les lieux grouillaient de monde. Une pauvre serveuse vagabondait entre les tables, paniquée par tous les clients qui la hélaient. Certains, quelque peu éméchés, baragouinaient leur mécontentement. Fusco continuait à servir ses boissons au comptoir, où les gens commençaient à s’amasser. La frustration s’empara de Meril. Elle avait besoin de s’occuper et l’occasion se présentait d’elle-même. Elle rejoignit Fusco.

  • Besoin d’aide ?

L’intéressé la considéra quelques secondes, un sourire sincère se dessinant finalement sur ses lèvres.

  • Avec plaisir ma grande, vas trouver le cuisinier en arrière-salle.

Meril s’y dirigea dans la foulée.

Un homme en tablier touillait l’intérieur d’une marmite, marmonnant son agacement. Il avait l’air si concentré qu’il ne leva même pas les yeux lorsque la jeune femme l’aborda.

  • Excusez-moi…

Il la fit taire d’un geste de la main, lui montrant la direction de la sortie.

  • Les clients ne sont pas autorisés à entrer. Je sais que vous vous impatientez mais je fais mon possible. Maintenant ouste.
  • Je suis là en renfort, Fusco m’a dit de venir vous voir.

L’homme leva brusquement la tête vers elle.

  • Miracle ! Pourquoi ne l’avez-vous pas dit plus tôt ? Soulimé est parti, me laissant seul avec tout ce bazar. Vite, prenez un tablier ! Mais dépêchez-vous donc, on n’a pas toute la journée !

Le cuisinier prit Meril comme assistante, il lui fit couper des aliments de toutes sortes, tout en l’assenant d’accélérer la cadence. Le temps semblait s’écouler d’une manière différente dans cette cuisine sous tension permanente. Elle ne sut dire combien de minutes s’étaient écoulées lorsque Talia passa la porte de la cuisine.

  • Alors comment ça se passe ?

Le cuisinier la rabroua.

  • Ne déconcentre pas mon apprentie, retourne plutôt travailler !

Cette attention fit sourire Meril.

  • Du calme patron ! Soulimé vient de revenir avec deux serveuses. Il va pouvoir reprendre son poste. Tu peux t’arrêter Meril, et moi je prends ma soirée.

La jeune femme releva la tête de ses épluchures et scruta son amie.

  • Je finis juste ça et j’arrive.
  • Ça marche je vais me changer, je t’attends au comptoir.

Meril termina son travail, remercia le cuisinier et rejoignit Talia qui l’attendait déjà avec une nouvelle chope en main, un grand sourire aux lèvres.

  • Voilà pour toi ! fit-elle en lui tendant le breuvage. À nos retrouvailles !

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