Insondable marée des jours
Mes pensées, si envahissantes, m’ont porté jusqu’au bas de la ville sans même que j’en sois conscient. Un pont enjambe l’eau. Je m’approche du bouillonnement blanc et gris de la Nive. Je pense à Bayonne, vers l’aval, à l’Espagne si proche où nous avions passé des jours heureux avant que les Fleurs ne se fanent. L’air est toujours si poisseux, le ciel si bas qu’il n’est habité ni de lueurs, ni traversé du tumulte des oiseaux, du criaillement des mouettes, l’océan est si proche, on croirait entendre son balancement sourd, ses cognements contre la barrière de rochers. Ta lettre que je tenais, froissée au creux de mes mains, semblable à une corolle usée par le temps, voici qu’elle flotte maintenant entre deux eaux, deux hésitations, avant que le courant ne l’emporte bien au-delà de nous dans les tourbillons de bulles et les théories de brindilles qui cascadent vers l’aval. Ce qui demeurera de toi, dans l’illusion du jour, dans l’usure du temps, cette mince flottaison ne pouvant dire son nom. Hasard toujours innommé qui nous entraîne, pareils à des fétus de paille, vers nos propres rivages. Ce qui demeurera de toi, dans cette ville d’eau, de pluie, de pleurs, ceci :
« La chair est triste, hélas! et j'ai lu tous les livres.
Fuir! là-bas fuir! Je sens que des oiseaux sont ivres
D'être parmi l'écume inconnue et les cieux! »
Ceci que le poète disait en vers alors que ma vie s’écoule en prose, semée ici et là, de césures, de ruptures, d’hémistiches que les dés ont jetés dans l’insondable marée des jours. Césures, seulement, intervalles, comme ce temps silencieux qui flotte entre les grains du sablier. Dans celui-ci, les grains de silice se sont métamorphosés en cilice. C’est cela qu’il me faudra endurer, cette chute si lente qu’elle semble ne pas avoir de fin. Ne pas avoir de fin !
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