Le Soldat et la Mort

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Il était une fois, dans un lointain royaume tourmenté par des conflits incessants, où la Mort s'employait sans relâche à faucher les âmes du lever au coucher du soleil. Les habitants la redoutaient, fuyant devant elle, effrayés par ses longs cheveux rouges qui dévalaient telle une cascade de sang le long de sa colonne vertébrale jusqu'au sol. Un de ses yeux n'était qu'une orbite vide, tandis que l'autre reflétait l'or, lui conférant une aura démoniaque. Grande et fine, presque squelettique, elle était loin de l'image terrifiante que les gens se faisaient de la mort. Sa mission semblait éternelle, faucher inlassablement les âmes jusqu'à la fin des temps.

Un jour, sur un champ de bataille dévasté, la Mort découvrit un jeune homme, un soldat agonisant, gisant sur le sol froid. L'apercevant, il l'implora d'une voix douloureuse et pleine de sanglots :

« Madame… Je sens que ma fin est proche… Je vous en prie… Restez à mes côtés… Ne me laissez pas mourir seul… »

Pour la première fois, quelqu'un s'adressait ainsi à la Mort. Normalement fuie, maudite, et source de cris effrayés, elle ressentit son cœur se serrer. Sans dire un mot, elle s'accroupit près du soldat et prit doucement sa main glacée dans la sienne. La guerre, pensa-t-elle, était une tragédie, et les prières semblaient vaines, car les conflits persistaient. Elle interrogea le soldat d'une voix douce :

« Que pensez-vous de cette guerre ? »

« C’est la pire chose… Qu'il m’ait été donné de connaître madame… La guerre enlève des vies par centaines, par milliers… Nous nous entretuons sans distinctions, sans but précis, simplement parce que nous appartenons à deux camps différents. »

Écoutant attentivement, la Mort tenait toujours la main du soldat, ne la lâchant pas une seconde. La conversation se poursuivit, révélant les dilemmes moraux du soldat, contraint de participer à un conflit qu'il aurait préféré éviter. Le soldat exprima ses regrets pour ses actes, mais trouva une paix intérieure en partageant ses pensées avec la Mort.

Face à ce dilemme, la Mort, plutôt que de suivre sa mission millénaire, décida d'abandonner sa tâche et de prendre soin de cet homme.

La Mort n'avait pas emporté le soldat. Depuis cette rencontre, elle n'avait plus pris aucune âme. Elle vivait aux côtés de cet homme, oubliant la raison pour laquelle elle était sur terre. La nouvelle se répandit dans tout le royaume et au-delà : la Mort avait disparu, et plus personne ne mourait. La mort n’était plus. Les curieuses batailles. Il y avait toujours des guerres presque partout dans le monde, et c’était si étrange. Tout au long de la journée, le carnage, les éclairs des épées, les explosions, le ciel noir de jais, le sifflement des haches… Et personne ne mourait. Les armées s'observaient chaque soir épuisées, mais intactes. A l’aube commençaient des duels qui duraient jusqu’à minuit quand les rivaux s'effondraient de lassitude. Les amoureux trahis se jetaient du haut d’une falaise et devaient péniblement les remonter à pied. Désormais chaque être vivant vivait éternellement.

Un jour, observant les rues depuis sa fenêtre, le soldat vit des âmes errantes, des êtres pitoyables à peine debout, tous appelant la Mort pour être libérés de leur existence interminable. Le soldat se tourna vers sa compagne :

« Écoute-moi, la Mort. J'ai offert quelques années de répit, mais le monde doit retrouver son équilibre. Prends-moi, et emporte tous ceux qui ne devraient plus être parmi nous. »

La Mort acquiesça silencieusement. Le corps du soldat tomba lourdement, dépourvu de vie. La Mort, le cœur lourd, faucha son âme et reprit sa mission ingrate à travers le monde, condamnée à faucher les âmes jusqu'à la fin des temps.

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