Chapitre 5 - pourparler

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C’est sur le pont de Briturbol, petit village nordique, que le hérault de Montdragon et les émissaires de Drakenvik s’étaient donné rendez-vous. Le héraut, un semi-elfe d’âge indéterminé, était accompagné par un chevalier d’une quarantaine d’années. Face à eux, un guerrier nordique dépassant à peine la vingtaine escortait un gamin de dix ans.

Mais le héraut ne s’y trompait pas : il avait en face de lui un redoutable adversaire.

D’un côté du pont comme de l’autre, une petite troupe d’hommes armés guettaient de loin les parlementaires.

Le héraut fut le premier à prendre la parole :

— Je représente Elgoron, Comte de Montdragon. Salut !

— Salut, répondit le guerrier nordique. N’êtes vous pas Vendarion Montdragon d’Orépée, le héraut poète ? Snorri m’a souvent parlé de vous… ah, mais je reconnais mon vieil ami le chevalier Gorlus. La dernière fois que nous nous sommes vus, il était un simple bachelier. Et aujourd’hui, il soutien la bannière du Comte de Montdragon… félicitations, c’est une belle promotion.

— Merci, sire Thornald. Je crois que vous-même avez plutôt bien réussi.

Malgré la courtoisie de l’échange, le chevalier Golus arborait ostensiblement une mine sinistre, montrant ainsi qu’il n’était pas là pour échanger des politesses.

Le héraut se racla la gorge bruyamment.

— Oh, pardon, fit Thornald, j’ai perdu l’habitude… j’annonce Sven Hjarulfsson, fils du Jarl de Drakenvik qui a reçu toute autorité de son père pour gérer les transactions, salut ! – le héraut allait répondre, mais Thornald l’interrompit d’un geste de la main. Et avant de commencer, je dois vous informer que nous avons trouvé votre demi-sœur Asria de Montdragon parmi nos otages. Elle sera libérée sans contrepartie parce que nous n’avons aucun conflit avec votre famille et que nous ne tenons pas à en avoir. Si vous le souhaitez, nous pouvons le faire tout de suite. Elle est ici, avec les hommes de notre suite.

— Ce serait un bon début, Elgoron serait rassuré et je pourrai au moins garantir votre sécurité pendant vos tractations avec le duc de Galmor.

— Oh, Sven et moi-même n’avons aucune crainte pour notre sécurité.

— Et bien vous devriez être prudent : le Duc et les gens de sa suite ont tenu des propos peu rassurants sur votre avenir… je n’ai pas le droit de les répéter.

— Les hommes du Norland ont tenu des propos tout aussi peu rassurants sur celui d’Adhémar de Galmor en apprenant le massacre des leurs, mais si tout le monde se montre raisonnable, il n’y aura pas d’effusions de sang… nous sommes venus réclamer le Wergeld en leur nom.

— Jamais le duc ne se pliera à une coutume nordique.

— On trouvera une solution…

— Le Comte Elgoron a dressé un camp non loin de Montdragon, vous pourrez y négocier aussi longtemps que nécessaire, mais ne soyez pas trop optimiste : il a déjà levé ses bannières et je l’imagine très mal les renvoyer sans livrer bataille.

— Et bien nous verrons, répondit Thornald.

Puis il se tourna vers Sven et traduisit l’échange en nordique.

* * *

Au camp de Montdragon, le Duc de Galmor et ses proches dressaient leurs plans : ils n’attendaient rien des négociations et mesuraient déjà le prix, les risques et les bénéfices d’une conquête des territoires nordiques : Drakenvik pour commencer, Holdgard ensuite et après… le Duché de Galmor pourrait commercer avec le Kytar sans intermédiaire et — pourquoi pas ? — occuper Eriksorn. La situation chaotique au sein des peuples nordiques ouvrait bien des possibilités.

Le Comte Berthovan d’Artagon, à qui on devait le « casus belli », avait fait preuve d’une énergie phénoménale pour rassembler à la cause les vassaux et alliés du duché. Il était venu avec ses trois fils et comptait bien distribuer une partie des terres nordiques à ses cadets, avec au moins un accès à la mer. Son second fils, Ariadoc était le premier concerné. C’était une brute d’une trentaine d’années qui ne se séparait jamais de sa lourde épée à deux mains, même pendant les conseils. Cette guerre était pour lui l’occasion de se tailler un fief à la pointe de la dite épée, et il ne comptait pas la laisser échapper.

Lorsque le héraut semi-elfe entra dans la tente, tous s’immobilisèrent comme des enfants pris en faute devant leur plan de bataille… qu’ils ne se donnèrent même pas la peine de cacher.

— Ils sont là ! dit simplement le barde. Sven Hjarulfsson, le fils du Jarl, et le chevalier Thornald Bordolfsson.

— Chevalier ? Répéta le Comte d’Artagon d’un ton incrédule.

— Oui, chevalier, confirma le héraut. Il y a quelques années, il est intervenu lorsqu’une troupe d’orques a menacé les frontières de Montdragon et mon oncle a tenu à le récompenser. Il parle couramment le breton, aussi vous n’aurez pas besoin d’interprète.

— Et le fils du Jarl ? demanda Adhémar de Galmor.

— Il est très jeune. Je pense qu’il est mineur, même pour les nordiques. C’est avec Thornald qu’il vous faudra négocier… il me semble intelligent, ne le sous-estimez pas.

Le Duc Adhémar de Galmor et le Comte Berthovan d’Artagon se dévisagèrent un court instant, et un sourire apparut sur leurs visages. Si un fils mineur représentait le Jarl, cela signifiait qu’il n’était pas en état de commander… ou mieux encore : qu’il avait trop peur pour les rencontrer en personne. Berthovan se pencha vers son fils Ariadoc et lui murmura quelques mots à l’oreille. Ce dernier hocha la tête d’un air entendu.

— Allons rejoindre ce « chevalier », proposa Adhémar.

Les deux nordiques attendaient à l’entrée du camp, l’air faussement détendu. Adhémar attaqua le premier :

— Nous avons appris que vos pillards ont enlevé des femmes sans défense, je vous somme de les libérer immédiatement, faute de quoi nous vous anéantirons.

— Mes nobles seigneurs, je vous remercie d’avoir accepté cette rencontre en terrain neutre pour assurer la sérénité des débats, répondit le nordique sans s’émouvoir de ces menaces. Un vent défavorable m’a appris que vous aviez lancé une guerre contre nous en massacrant des colons près d’Artagon. Aussi je me suis senti obligé de mettre ces dames à l’abri en attendant la fin des hostilités, ce qui ne saurait tarder.

Il était bien trop poli vu les circonstances, et pour Adhémar cela ne pouvait signifier qu’une seule chose : il avait peur.

— Pourquoi êtes vous venu avec ce moucheron ? s’exclama Ariadoc. Son père est trop lâche pour se montrer, alors il nous envoie son rachitique fils de porc !

Et pour être sûr que l’interpellé comprenne le sens de ses paroles, il cracha par terre, aux pieds de Sven.

Vendarion était stupéfait. Il avait déjà assisté à des négociations houleuses, mais jamais il n’aurait pensé entendre de telles injures sans provocations. Sven ne pouvait pas rester sans réagir, mais il était mineur et n’avait pas le droit de se battre – sans compter que les chances n’étaient pas de son côté –, Thornald lui fit signe de rester coi et se mit à rire.

— Veillez pardonner la nervosité de mon jeune compagnon, il ignore à quel point les bretons ont les bronches fragiles et doivent se racler la gorge au moindre coup de froid. Certains pourraient voir une insulte dans cet insignifiant jet de salive, mais ce n’est pas le cas…

Et brusquement, son poing se détendit et heurta la face hilare d’Ariadoc. Le coup mit le guerrier à terre. Avant qu’il ne revienne de sa surprise, le gantelet de Thornald tomba devant lui.

— Ça, par contre, c’est une insulte ! Et si cette face de tröllesse dégénérée ne se sent pas suffisamment insultée pour ramasser ce gantelet, je me ferai un plaisir de lui pisser dans la gueule.

Le héraut esquissa un geste pour empêcher Thornald de mettre cette menace à exécution, mais ce dernier se contenta de croiser les bras devant son adversaire. Il ne souriait plus.

Ariadoc ramassa le gantelet.

— À ton service, barbare ! Ce sera ta dernière provocation.

— Messeigneurs, est-ce bien le moment ? implora Vendarion. Il faudrait monter une lice, organiser une équipe de juge-témoins et…

— On peut régler ça dans la cour, je pense que vos hommes sont qualifiés pour servir de témoins, organisez les donc comme vous le désirez, c’est l’affaire d’un petit quart d’heure.

— C’est bien mon avis, approuva Ariadoc.

— Si vous êtes tous d’accord, soupira Vendarion, je n’ai plus rien à dire… les armes que vous portez vous conviennent ? Sont-elles équitables ?

— Je pense que oui, répondit Thornald. Hache d’armes et bouclier rond pour moi, grande épée pour la tröllesse…

— La courtoisie, Messire Thornald ! gronda Vendarion.

— Oh oui, toutes mes excuses, reprit Thornald en crachant par terre. Êtes-vous prêt Monseigneur ? Que je vous ouvre respectueusement les tripes, et que je les étale courtoisement sur le sol.

— Prêt ! Répondit Ariadoc.

Il était à présent beaucoup moins sûr de lui… il avait espéré que Sven réagisse avec colère et obligé le héraut à intervenir pour empêcher ce que les règles de la chevalerie interdisaient : un combat entre un enfant et un adulte. Mais Thornald l’avait pris de vitesse, et il n’avait visiblement pas peur de lui, ce à quoi il n’était pas habitué.

— Allez-y ! soupira Vendarion en agitant la main d’un geste las.

Puis il se pencha vers le Comte Berthovan.

— Vous n’auriez pas dû exposer ainsi votre fils. Ce nordique est redoutable.

— Raison de plus pour nous en débarrasser maintenant, privé de leur champion, avec un Jarl faible et un prince trop jeune, les nordiques seront faciles à soumettre.

Le héraut ne répondit pas et reporta son attention sur le combat, et sur les gestes des juges-témoins qui en surveillaient chaque phase.

Au début, Ariadoc semblait prendre l’avantage, Thornald reculait face à ses attaques, esquivait ou bloquait les coups avec le bouclier attaché à son bras, sa hache, qu’il ne se donnait même pas la peine de lever pour contre-attaquer ou menacer son adversaire, semblait bien inutile.

Mais Ariadoc s’épuisait rapidement, et après quelques passes d’armes infructueuses, le bras armé de Thornald se détendit brusquement et il trancha d’un seul coup le bras droit d’Ariadoc.

Mais ce dernier vivait toujours. Il leva son épée de la seule main qui lui restait et se tourna vers son adversaire. D’un second coup de hache, ce dernier lui ouvrit le ventre, tranchant et pliant du même coup les plaques et les mailles de son armure.

Berthovan allait se redresser, Vendarion le retint.

— Je vous avais bien dit de ne pas le sous-estimer.

Thornald se tourna vers le Duc de Galmor.

— Cette petite bagarre m’a donné soif, mais je ne voudrais pas abuser… Je me suis permis d’établir une liste de nos otages et leur valeur en or… une estimation à la grosse louche en fonction du titre, de leur place dans l’ordre de succession et de… de l’implication de leur famille dans les derniers événements.

— Vous ne semblez pas comprendre que nous ne vous donnerons pas un sou. Vous nous rendrez nos filles tout de suite, et il n’y aura pas de conséquences fâcheuses, ou bien vous nous les rendrez pour sauver vos misérables vies lorsque nous aurons mis vos terres à sac.

— Oh, mais dans ce cas… nous les vendrons à d’autres… j’ai présenté votre fille à un représentant du Jarl d’Eriksorn qui serait bien intéressé pour un de ses fils, il m’en a promis mille.

— mille pièces d’or ne sauverons pas vos vies.

— Je n’ai pas parlé de pièces d’or.

— Je vois… Ça me semblait bon marché. mille colliers en argent, je présume ?

— mille guerriers !

— Le Jarl d’Eriksorn vous donnerait mille guerriers pour ma fille ?

— Bien sûr ! En la mariant à un de ses fils, il deviendra le grand-père du prochain Duc de Galmor, ça vaut bien quelques coups d’épée.

— Jamais les bretons ne reconnaîtront un tel mariage, ni les bâtards d’un barbare.

— Jamais, répéta Thornald avec une feinte conviction. J’en suis certain… jamais aujourd’hui, mais dans une quinzaine d’années, lorsque vous serez décrépit et sans héritier, et qu’un jeune guerrier de votre sang et allié des nordiques viendra revendiquer son dû, vos vassaux seront trop heureux de mettre fin à la guerre par n’importe quel moyen. Et rassurez-vous, il y a dans les colonies assez de Jarls pour chacune de vos filles, il y a aussi des milliers de bannis du Norland qui sont prêt à tout pour trouver un nouveau pays, quitte à le prendre par l’épée. À vous de décider… Je vous propose donc la fin des hostilités, une modeste rançon et un libre passage sur toutes la Bretagne du nord pour les hommes du Norland… Je tiens aussi à ce que ce traité soit garanti par l’Ordre du Graal… nous avons un peu bousculé un de leur lieu de culte, nous leur devons bien ça.

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