Chapitre 11 - Rencontre nocturne
À l’extérieur, la nuit était maintenant complète. Les ruelles n’étaient éclairées que par de rares torchères devant les maisons et Mathilde s’en éloigna rapidement pour se diriger dans la forêt obscure.
Sous la lueur d’une lanterne à capote, elle avançait sans hésitation sur un sentier qui s’éloignait du village. Puis, il n’y eu plus de sentier du tout, et elle continua son chemin jusqu’à une pierre levée à moitié envahie de végétation.
— Gal ? Chuchota-t-elle. Tu es là ?
— Je t’attendais, répondit une voix dans l’obscurité.
— Mais où es-tu ?
— Tiens, comme c’est curieux. C’est toi qui tiens la lanterne, mais j’y vois mieux que toi… Je suis juste devant toi.
Deux points rouges luminescents apparurent devant la fillette. Peu à peu, elle put discerner les yeux et le visage de la sorcière et bientôt, Galdlyn fut entièrement visible.
— Comment as-tu fais ça ? Demanda Mathilde.
— De la même manière que tu as entaillé les bras de cet idiot de Beryar, ou endormi ce grand benêt de Brynjolf… la magie bien sûr ! Tu ne connais encore que deux sortilèges, mais tu te débrouilles assez bien. Même si tu as pris un risque énorme en blessant Beryar. Si tes griffes étaient restées sorties une demi seconde de plus, tout le monde les aurait vu et tu aurais fini sacrifiée avec le bouc.
— Je ne l’ai pas fait exprès… au moment ou il m’a pris le bras, j’ai perdu le contrôle et la magie s’est déclenchée toute seule.
— Ça arrive lorsqu’on ne maîtrise pas encore ses dons et qu’on est frappé par une forte émotion, expliqua Galdlyn. La magie nécessite de l’énergie et cette énergie vient du cœur et de tout ce qui l’affecte : colère, peur, désir…
— Tu veux dire que si je désire très fort quelque chose, la magie me donnera l’énergie pour l’obtenir ? Des gâteaux au miel ou de l’hydromel par exemple ?
— Je parlais d’une autre forme de désir.
— Ah ?
Galdlyn pencha son visage vers celui de Mathilde et l’embrassa sur le coin des lèvres. La petite ne réagit pas.
— Tu es encore un peu jeune pour comprendre, reprit la sorcière. Mais les sorcières rouges tirent leur énergie du désir qu’elles inspirent aux hommes, et parfois aux femmes. Et lorsque tu maîtriseras tes dons, tu pourras toi aussi récolter cette énergie… et tu y gagneras des choses beaucoup plus précieuses que des gâteaux au miel.
— Tu m’apprendras d’autres sortilèges ? Tu l’avais promis !
— Un peu de patience ma chérie… hmmm… moi aussi il faudra que je sois patiente… Je pourrais t’apprendre à réduire la volonté d’un homme pour qu’il se plie à tous tes caprices, mais ce serait trop dangereux de te donner ce pouvoir avant que tu ne comprennes comment il fonctionne. Je pourrais t’apprendre à changer d’apparence, à te rendre invisible, à transformer n’importe quelle corde ou chaine en fouet de flammes, à voir dans l’obscurité…
— J’aimerais bien pouvoir changer d’apparence, suggéra Mathilde. Ça serait amusant.
— Ce sera pour une prochaine fois. Ce soir, je vais t’apprendre à voir dans l’obscurité et à la prochaine lune, je t’apprendrai à te rendre invisible. Ça pourra toujours servir à voler des gâteaux, en attendant que tu découvres un meilleur usage.
— Mais pourquoi vous m’apprenez tout ça ?
— Ah, c’est compliqué… mais pour commencer, il faut que je te raconte une histoire. Mais tu ne devras en parler à personne.
— Même pas à Helvorg ? Elle adore les histoires.
— Surtout pas à Helvorg, elle le répéterait à tout le monde. Assieds-toi et écoute ;
* * *
Il y a très longtemps, les deux mondes – le nôtre et celui d’où sont venus nos ancêtres, les humains – n’en formait qu’un seul. Mais les mages humains étaient d’une avidité sans limites, et ils tentèrent d’abattre les anciens dieux pour s’emparer de leurs pouvoirs. Mais ils avaient surestimés leurs forces et les dieux en triomphèrent aisément. Pour être certains que pareille mésaventure ne se reproduise jamais, les dieux séparèrent le monde en deux parties : l’une dépourvue de magie ou les humains seraient consignés et définitivement privés de pouvoirs et l’autre, avec une puissante magie, serait réservée aux créatures que les dieux considéraient comme « purs », les elfes, les nains et les gnomes, et bien sûr toutes les créatures magiques.
Cependant les humains n’avaient pas oublié la magie et ils tentèrent à plusieurs reprises d’ouvrir un portail vers l’autre monde en utilisant les restes de leurs anciens pouvoirs et d’étranges rituels fournis par de nouveaux dieux… des dieux sombres, mais bienveillants envers eux.
Les atlantes furent les premiers à créer un tel portail, les anciens dieux s’en rendirent compte et détruisirent leur continent, mais une colonie d’Atlante réussit à franchir le portail juste avant la destruction de leur ancien monde, ce sont les lointains ancêtres des solariens.
Le savoir des atlantes fut perdu, sauf pour de rares initiés dont les sorcières rouges qui en préservaient jalousement le secret. Seul très grand roi pourrait le revendiquer.
Il y a un peu moins d’un siècle, un tel roi apparut. Il était le guide du peuple de Zaar et il entra en guerre contre le peuple des étoiles. Les sorcières rouges se mirent à son service et lui offrirent d’ouvrir un de ces portails, mais la guerre contre le peuple des étoiles tourna à son désavantage et le peuple de Zaar disparut.
Aujourd’hui, nous, les sorcières rouges, attendons patiemment qu’un nouveau grand roi fasse son apparition, et l’une d’entre nous devra le guider pour qu’il accomplisse son destin.
J’ai longtemps cru que ce serait moi, mais je n’en suis plus aussi sûre aujourd’hui… et la tâche serait de toute façon titanesque. J’ai donc besoin d’une apprentie. Dans le meilleur des cas, ce sera juste une aide appréciable, mais en cas de malheur, cette apprentie devra reprendre le flambeau et continuer ma tâche, cette Elue guidera le roi que nous aurons choisi afin qu’il domine les deux mondes et régnera à ses côtés… ou plus exactement, régnera à travers lui, car les hommes sont bien trop stupides pour mériter de commander.
* * *
— Est-ce que tu es amoureuse de Thornald ?
Galdlyn interrompit son récit. La question la prenait au dépourvu.
— Et bien… Thornald est un cas particulier… je ne suis pas vraiment amoureuse, mais je couche avec lui parce que… ça peut servir.
— Alors tu penses qu’il pourrait devenir ce fameux « roi » que les sorcières rouges devraient guider ?
— Que nous devrons guider, répondit malicieusement la sorcière. Car ce sera peut-être à toi de le faire… Thornald est un bon candidat : redoutable, charismatique, rusé, et pourtant incroyablement niais lorsqu’on connaît ses points faibles. S’il avait un peu d’ambition, il serait Jarl et à la tête d’une vaste coalition de nordiques, mais il laisse passer bêtement sa chance à cause de ces récits de « navire magique » auquel il croit dur comme fer.
— Et ce fameux navire magique, il existe ou pas ?
— Tu poses décidément beaucoup de questions… bien sûr qu’il existe.
— D’après Snorri, reprit la fillette, ceux qui ne posent pas de questions restent ignorants et que les ignorants pazsent touteleur vie dans l’obscurité.
— Oh, mais j’y pense ! s’exclama Galdlyn. Il est temps que je t’apprenne le sortilège qui permet de voir dans les ténèbres… cet apprentissage est toujours un peu délicat.
Ello souffla en direction de la lanterne qui, malgré sa protection de verre, s’éteignit aussitôt.
— Hé, mais on n’y voit rien ! protesta Mathilde.
— Maintenant laisse-toi guider par tes sentiments… tu n’es fâchée contre personne et il y n’y a pas assez de bêtes féroces dans les alentours pour que la peur soit efficace. Reste le désir… Quel est le garçon que tu as le plus envie d’embrasser ? Pense très fort à lui et le chemin du village te sera évident.
— Aucun ! Harmin me casse les pieds à me tourner autour, Sven me fait un peu peur, et il ne s’intéresse à personne… La seule personne que j’ai vraiment envie de voit, c’est Helvorg… mais je n’en suis pas amoureuse.
— Dans ce cas ma pauvre chérie, le chemin du retour risque d’être un peu long.
— Gald ?
Mathilde attendit vainement une réponse…
Elle était seule, dans une obscurité totale.
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