Prologue

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La journée avait pourtant bien commencé. J’avais quitté Vegas sous le soleil du printemps, la capote de la Mustang ouverte, en écoutant « Born to be wild »* à fond. Je tapais le rythme sur le volant en chantant avec Steppenwolf. Une canette posée sur la console à portée de main, j’étais heureux.

J’avais passé toute la semaine à Vegas, à jouer au poker, invité par le Bellagio pour des parties privées où l’on joue gros. Quelques caves pleins aux as avaient cru pouvoir lutter contre moi et j’avais encaissé un joli paquet, ce qui m’avait permis de repartir au volant d’une belle caisse presque neuve, une 5.0 de 2020, avec 460 chevaux sous le capot.

Le ciel du désert était bleu, sans un nuage à l’horizon. Le moteur ronronnait et la route défilait. J’étais parti vers le nord-ouest, sur la 95, avec l’idée de rejoindre San Francisco par le parc de Yosemite. Je roulais depuis une heure à peine quand je me suis rendu compte que je n’avais pas contrôlé le niveau du réservoir. La jauge indiquait un quart. Pas de quoi s’alarmer, mais je décidai de m’arrêter à Beatty pour faire le plein et manger un morceau. Il n’y a pas beaucoup de stations en dehors de Las Vegas, et j’aurais pu m’arrêter à Amargosa, mais j’avais choisi Beatty, allez savoir pourquoi. Ce trou à rats n’existe que parce que c’est le point d’entrée de la Vallée de la Mort, mais c’est aussi pour ça qu’il y a des restos et des stations-essence.

J’aurais vraiment mieux fait de m’arrêter à Amargosa Valley, mais ça je ne pouvais pas encore le savoir.

En arrivant à Beatty, je me suis garé devant chez Mel’s. Je n’avais aucune raison particulière de choisir ce « diner »* là, mais c’était le premier à l’entrée de la ville. Une femme qui devait approcher les cent ans est venue prendre ma commande en trainant des pieds. Elle m’a tendu le menu sans dire un mot et elle repartie, avant de revenir aussi lentement avec un pichet d’eau glacée. J’ai commandé des œufs Benedict avec une grosse tranche de bacon canadien et des toasts. Quand elle a transmis ma demande, j’ai entendu une voie caverneuse grommeler quelque chose d’incompréhensible dans la cuisine. Les œufs étaient bons, le café un peu moins. J’ai payé 16 dollars et laissé 3 billets en guise de pourboire, grand seigneur.

C’est à la station Arco que les ennuis ont commencé. Si j’avais fait trois cent mètres de plus, pour aller chez Eddie, tout aurait été différent, mais je me suis arrêté chez Arco. Après avoir fait le plein, je suis allé payer à la boutique, j’aurais pu utiliser ma carte de crédit, mais j’avais encore du cash plein les poches. La fille était un peu à l’écart, en train de siroter un Dr Pepper. Je ne pouvais pas la manquer. Une fille comme ça, on ne peut pas la manquer. Pendant que je payais mon carburant, elle s’est approchée et au moment où je me retournais pour sortir, elle m’a demandé où j’allais.

Elle avait la voix un peu rauque de certaines chanteuses de rock, qui collait bien avec son look. On aurait dit Marylin sur la jaquette de « Rivière sans Retour ». Je lui ai dit que je remontais vers le nord. Elle m’a demandé si je voulais bien l’emmener et moi, sans réfléchir, j’ai dit oui.

* "Born to be wild" : https://www.youtube.com/watch?v=egMWlD3fLJ8

** Diner : un restaurant traditionnel, sans prétention aux Etats-Unis

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