Le Pacifique
Après un arrêt pour un déjeuner rapide, nous sommes arrivés à San Luis Obispo au début de l’après-midi. J’hésitais encore sur la conduite à tenir. J’avais besoin de prendre quelques dispositions avant de rentrer chez moi. Je ne voulais pas avoir Emily sur les bras pour ça, mais je ne pouvais pas non plus la laisser livrée à elle-même. Carpinteria étant sur le chemin, je décidai de faire une pause chez ma mère et d’y laisser la jeune femme, le temps de mettre au point quelques éléments de sécurité.
Comme toutes les unités d’élite, les Seals constituent une forme de fraternité qui se perpétue bien au-delà de la vie militaire. J’avais besoin d’assurer mes arrières et aussi d’un peu de matériel. Je passai un coup de téléphone à ma mère pour m’assurer qu’elle était bien chez elle avant de lui confier Emily, puis j’appelai quelques vieux copains résidant dans la région de Ventura.
Il était dix-sept heures quand j’arrêtai la Mustang à l’arrière de la petite maison au bord de la mer.
Je trouvai maman sur la terrasse donnant sur la plage, face au Pacifique. Elle prenait le thé avec deux amies de sa génération, restées fidèles à leur look des années Flower Power. Bien que sexagénaires, elles n’en étaient pas moins encore très séduisantes. Je leur présentai Emily, sans entrer dans les détails, en précisant que j’avais quelques affaires à régler, et que je rentrerais en début de soirée.
— On a prévu un barbecue sur la plage, vous dinerez avec nous ? demanda ma mère. Vous pourrez dormir dans ta chambre, ajouta-t-elle avec un clin d’œil, il y a toujours un grand lit.
— C’est super, s’empressa de répondre Emily, j’en ai toujours eu envie, mais je n’ai jamais mis les pieds dans le Pacifique. Je suis une fille du Tennessee.
— Dans ce cas, je crois que nous allons accepter ton invitation, ajoutai-je.
— Tu pourrais me trouver un iPhone, pour remplacer le mien ? demanda Emily.
— Je vais voir ce que je peux trouver, répondis-je sans enthousiasme.
— S’il te plait, je n’ai pas de nouvelles de mes amies depuis deux jours.
Je m’éclipsai sans aller plus loin dans la discussion. Je commençai par un arrêt dans une boutique de matériel d’occasion, où je trouvai un iPhone 6 à un prix raisonnable et un forfait sans engagement anonyme pour Emily, ainsi qu’un téléphone jetable pour moi. Je réglai en cash avant de rejoindre Mark Lawson dans un café sur la marina. Mark a été mon instructeur aux Seals et nous sommes restés très liés. Il est resté en contact avec la Navy, comme consultant civil. Après la première bière et le tour d’horizon de nos amis communs, je lui demandai de me procurer une arme intraçable. Je pensais avoir semé nos poursuivants à Modesto, mais je ne voulais pas prendre le risque de me trouver dépourvu en cas de nouvelle rencontre. Comme beaucoup d’anciens militaires, Mark avait conservé quelques pièces d’équipement « abandonnées » sur le terrain.
— Je peux t’avoir un Beretta M9 avec quelques chargeurs. Je pense que tu sais t’en servir, me répondit-il.
— C’est parfait. Tu as gardé le contact avec Long John ?
— Oh, oh, tu veux vraiment faire quelque chose d’illégal ?
— Ma cible n’est pas vraiment une personne recommandable, précisai-je.
— Si c’est pour une bonne cause, alors oui, je peux le joindre. Je ne te garantis pas une réponse avant demain matin, je passe par une boîte à lettre passive. Je n’ai aucune idée de l’endroit où il se trouve. C’est lui qui t’appellera.
Je lui donnai le numéro du téléphone jetable.
Long John Cooper est la personne qui m’a appris tout ce que sais en matière de cybersécurité avant de basculer du côté obscur. Après vingt ans de service dans les renseignements de la Navy, il assure maintenant des prestations très spéciales et totalement illicites, à condition de ne pas s’attaquer aux institutions officielles.
— C’est parfait, tu peux m’apporter le flingue chez ma mère à Carpinteria ? J’y passerai la nuit. Elle fait un barbecue sur la plage, tu peux venir boire une bière si tu veux.
— Avec plaisir, Madame Flynton est une personne que j’apprécie beaucoup. Le genre de mère que j’aurais aimé avoir.
— Passe vers vingt heures si tu peux, ou même un peu plus tard, on ne se couche jamais de bonne heure chez elle.
Vingt minutes plus tard, j’étais de retour. Je retrouvai les quatre femmes sur le sable, un verre à la main. Un homme que je ne connaissais pas les avait rejointes et s’occupait à mettre en route le barbecue. Emily était en maillot de bain et avait les cheveux mouillés.
— Ta maman est vraiment super. Elle m’a prêté un maillot et on s’est baignées toutes ensemble. Comme il n’y avait personne sur la plage, on a enlevé le haut, c’était génial. J’aurais adoré vivre à l’époque Hippie.
— Il n’y avait pas de portables, pas de Facebook ni de Snapchat à cette époque fis-je en lui tendant le portable que j’avais acheté pour elle. Je l’ai un peu chargé dans la voiture. Attention, le forfait est limité !
— Tu es un trésor !
Emily me sauta au coup avant de plaquer ses lèvres sur les miennes.
— Tu as fumé ? lui demandais-je.
— Mary a apporté de l’herbe, répondit-elle en me désignant l’une des amies de maman. Tu en veux ?
— Non, merci, pas pour le moment. Au fait, dis-je en m’adressant à ma mère, j’ai invité mon ami Mark à passer tout à l’heure, ça ne te dérange pas j’espère ?
— Non, bien sûr, tu sais que ma maison est toujours ouverte. J’apprécie beaucoup Mark, c’est un garçon plein de ressources qui m’a déjà rendu quelques services.
— Si tu veux bien m’excuser, je vais aller prendre une douche et me changer. Je vous retrouve dans quelques minutes.
En traversant le salon, je remarquai l’écran de l’ordinateur dans le coin bureau, une page Facebook était encore affichée. Je regardai le titre : « Emmy Harris ». Le dernier article présentait une photo d’Emily en maillot de bain, avec la maison en arrière-plan, en sous-titre, « mon premier bain dans le Pacifique ».
Je lançai ma playlist sur mon mobile. Les premières notes de « Hotel California »* se firent entendre.
Je montai dans ma chambre de jeunesse, posai mon sac avant de m’étendre sur le lit en attendant la fin du morceau.
Je ne savais pas encore que la journée du lendemain serait longue, mais je me sentais plus serein en sachant Mark proche de moi.
Je redescendis vingt minutes plus tard, vêtu d’un vieux pantalon de toile et d’une chemise hawaïenne, les pieds nus.
— Tu sais que j’ai encore tes vieilles planches dans le garage me dit ma mère ?
— Je crains de ne pas avoir beaucoup de temps pour surfer dans les prochains jours, mais j’ai bien l’intention de profiter de cette soirée.
— Il y a des bières dans la glacière.
La nuit commençait à tomber. Emily dansait toute seule sur le sable, les seins nus, sur la musique sortant de l’iPhone. Elle avait l’air complètement stone. Mary la regardait avec bienveillance.
— C’est vrai que mon herbe est un peu forte, mais j’étais comme ça à son âge, me confia-t-elle.
* Hotel California : chanson culte du groupe américain Eagles
https://www.youtube.com/watch?v=EqPtz5qN7HM
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