Repérage
Lorsque je revins de mon entretien avec le responsable des parties privées, je frappai sur un rythme convenu. Jack vint m’ouvrir rapidement. Il était seul dans le salon de la suite, en train de boire une bière devant la télé. Je lu demandai où étaient Emily et John. Il me fit un petit geste désignant la chambre avec un clin d’œil entendu. Les bruits que je pouvais entendre en m’approchant de la porte ne laissaient place à aucun doute sur les activités qui s’effectuaient derrière. Je me tournai vers Jack.
— Vous avez tiré au sort ?
— Pas besoin, je préfère les hommes. Tu veux une bière ?
— Oui, merci.
Jack alla me chercher une bière agréablement fraiche dans le frigo.
— On procède comment chef ? Je suppose qu’on n’est pas là uniquement pour jouer les baby-sitters.
Je lui expliquai les grandes lignes de mon plan, je n’aurais de toute façon pas été capable de lui donner plus de détails à ce stade.
— Je dois recevoir le cash demain, ça nous laisse le temps de trouver un endroit favorable pour l’échange.
— Qu’est-ce que tu veux échanger, tu as déjà la fille !
— Je sais, je suis sans doute un peu trop fairplay, j’imagine un deal formel, du genre on se tape dans la main pour solder l’affaire.
— Tu sais que ces gars là ne jouent pas les règles ?
— Oui, c’est pour ça que vous êtes là et qu’il nous faut choisir le terrain. Tu as servi où ?
— Irak et Afghanistan.
— L’un de vous deux peut jouer le snipper ?
— John te décapsule une canette à cinq cents mètres !
— Tu connais la région ? Tu as un coin en tête ?
— Au sud, vers Sloan, il y a une base militaire et au-delà, une carrière puis le désert. À la tombée du jour, il n’y a plus personne.
Je regardai ma montre, il était dix-neuf heures, ça nous laissait le temps d’aller jeter un coup d’œil.
— On va laisser nos amis s’amuser. Montre-moi l’endroit !
Je frappai pour le principe à la porte de la chambre et entrai sans attendre de réponse. Emily était allongée sur le lit, les jambes écartées pendant que John la limait avec application.
— Je vais faire un tour avec Jack, on vous laisse la maison !
John leva la main pour me faire le signe militaire signifiant « bien compris », pouce et index en forme de O, les trois autres doigts levés. Je refermai la porte et sortis, Jack sur mes talons.
— Vous avez une voiture ?
— Un F150, au parking de l’hôtel.
— Parfait tu me conduis !
Vingt minutes plus tard, nous sortions de l’agglomération de Las Vegas par l’autoroute 15 que Jack ne tarda pas à quitter. Après avoir longé la base militaire, Jack engagea le véhicule sur une route poussiéreuse menant à une vaste complexe cimentier. Comme annoncé, à cette heure, le site était inactif. Nous fîmes un détour pour éviter la guérite de l’entrée principale avant de nous engager sur une piste empierrée au fond d’un canyon. La piste faisait un coude dans un passage resserré avant de mener à une zone où quelques mobil-home visiblement abandonnés finissaient de se délabrer. Jack arrêta la voiture.
— Il n’y a qu’un accès, John peut contrôler le défilé avec son M40* et moi je te couvre de plus près. Combien seront-ils ?
— Je n’en ai aucune idée pour le moment, je doute qu’ils viennent avec une armée. Ce sont des petits voyous, pas le cartel de Medellin. John est équipé pour le tir nocturne ?
— Il peut sûrement se procurer le nécessaire, mais je ne sais pas si c’est une bonne option. S’ils nous foutent leurs phares dans la gueule, on fera de jolies cibles.
— OK, on dit vingt heures alors. On aura le soleil couchant dans le dos.
— On apportera quelques gadgets, juste au cas où, et du matériel de communication. Je reviendrai avec John demain pour un repérage plus précis.
— OK, ça me va. On rentre. Je vous invite à dîner ?
— C’est une fichue bonne idée, John va être mort de faim !
Lorsque nous revînmes au Bellagio, Emily regardait une émission de télé-réalité en sortie de bain, il était évident qu’elle ne portait rien dessous, John de son côté était absorbé par un jeu vidéo sur son téléphone.
— Alors, vous avez trouvé un bon coin ? demanda-t-il.
— Oui, je connais un steak house qui fait des burgers du tonnerre à trois blocs d’ici, répondit Jack. Pour le reste, je t’expliquerai tout à l’heure.
Je lui avait fait part des indiscrétions chroniques de la jeune femme et recommandé de ne pas parler devant elle de notre opération.
— Trois blocs ? On prend la voiture ?
— Ça te fera du bien de marcher un peu, tu vas te faire du gras.
— J’ai déjà fait de l’exercice aujourd’hui.
Je pris d’autorité la télécommande pour éteindre la télé et envoyai Emily s’habiller en vitesse.
—Je n’ai rien à mettre pour sortir ! protesta-t-elle.
— Un jean et un T-shirt, ça fera l’affaire, on a dit « steak house ».
Cinq minutes plus tard, la jeune femme ressortait de la chambre.
— J’ai fait comme tu as dit, un jean et un T-shirt, rien d’autre !
Elle n’avait pas besoin de le préciser, le balancement de ses seins sous le coton parlait pour elle.
— J’ai passé un coup de fil, annonça Jack, une table pour quatre dans quinze minutes. On a juste le temps.
L’endroit était tout de même un peu plus chic qu’un simple restaurant de burgers, mais à Vegas, on ne regarde pas la tenue des clients. Emily aurait aussi bien pu être une chanteuse à la mode, accompagnée de son petit ami et de ses gardes du corps, qu’une touriste en mal de compagnie masculine. La carte de l’établissement aurait provoqué un infarctus chez un végétarien, mais par chance, aucun de nous ne l’était. John et Jack se considérant en service, ne burent que très peu, mais je commandai une bouteille de chardonnay pour Emily et moi. Au deuxième verre, les mains de la jeune femme se promenaient sous la nappe l’une vers John et l’autre sur ma cuisse. Pendant ce temps, Jack, très professionnel, surveillait discrètement les tables voisines.
À la fin du repas, les deux hommes nous raccompagnèrent jusqu’au lobby du Bellagio avant de prendre congé.
— C’est dommage qu’ils ne restent pas pour la nuit, j’aurais bien aimé faire l’amour avec John et toi, en même temps.
— Et bien ce ne sera pas pour cette fois, ma belle.
— Avec toi seulement, alors ? C’est bien aussi.
— Je te remercie du compliment, mais j’ai encore du travail.
— On peut boire un verre au moins ?
Dix minutes plus tard, à peine entrés dans la chambre, Emily fit glisser son jean. Elle n’avait pas menti. Il n’y avait rien dessous, qu’une peau légèrement halée. Son T-shirt était juste assez long pour préserver un semblant de pudeur.
Je cherchai une radio musicale. Les percussions précédèrent la voix de Mick Jagger qui entonna « Sympathy for The Devil »**.
* M40 : fusil de précision utilisé par les tireurs d’élite américains
** Symphaty for the Devil : chanson des Rolling Stones
https://www.youtube.com/watch?v=Jwtyn-L-2gQ
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