Prise en charge

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Nous avions rendez-vous au club house du golf de Paiute, au bord de la route 95, vers le nord-ouest en direction de Beatty. Je ressentais une impression bizarre en pensant que c’est sur cette même route que toute cette histoire avait commencé quelques jours plus tôt. Si j’avais fait le plein avant de partir de Vegas, je ne me serais pas arrêté sur le chemin, et si…

Nous n’avions qu’une quarantaine de kilomètres à faire, mais je me demandais pourquoi Long John avait choisi cet endroit précis pour notre rendez-vous. J’eus la réponse en arrivant sur le site. Comme nous arrivions sur le parking du resort, mon téléphone me signala l’arrivée d’un message. Notre financier nous attendait à la terrasse du bar. Nous ne pouvions pas le manquer, il était le seul client.

Je n’avais jamais rencontré mon contact, mais je compris immédiatement l’origine de son surnom. L’homme qui se leva à notre approche devait mesurer près de deux mètres, mais était maigre comme un clou. Il portait une tenue décontractée de golfeur, et un sac de clubs était posé à ses côtés. Je me présentai et justifiai la présence de Jack.

— Je comprends, on ne se sent pas forcément à l’aise avec autant de liquide dans sa voiture, répondit-il. Moi, je suis plus détaché, je ne suis que le porteur de valises. Vous buvez quelque chose, ce serait plus crédible de prendre un moment pour bavarder autour d’un verre.

Je commandai un Perrier et Jack un Dr Pepper.

— Où est l’argent, demandai-je ?

— Keep cool man, j’ai ma voiture à l’œil et il y a des traceurs sur les valises.

— Tu n’as pas eu de mal à réunir la somme ?

— C’est mon business, j’ai toujours un fonds de réserve mobilisable sans préavis. Il n’y a pas eu de transaction dans les dernières quarante-huit heures.

Long John me désigna un petit sac à dos posé sur la chaise à côté de lui.

— C’est le solde du prélèvement, j’ai retenu ma commission. Tu pourras payer tes associés avec ce qui reste. Il y a quatre-vingt mille dollars en coupures usagées.

— Notre ami va sans doute comprendre assez vite qu’il s’est fait arnaquer. Qu’est-ce que tu as prévu pour la phase 2 ? demandai-je.

— Je pense que tu n’as pas besoin de connaître les détails. Dans les grandes lignes, certains services vont recevoir des informations anonymes, mais très précises sur les affaires de ce cher Pablo. Je ne doute pas qu’il se désintéresse très vite de ta petite affaire pour consacrer beaucoup de temps aux siennes. Ses avocats vont avoir du travail pendant un bon moment.

Durant notre conversation, Jack s’était éloigné pour respecter notre intimité. J’appréciai cette attitude très professionnelle. Il revint quelques minutes plus tard avec un prospectus à la main.

— Joli parcours, si on aime jouer dans le désert, bien sûr. Le green-fee* n’est pas donné, deux cents dollars, mais la vue est superbe.

— Je vais faire dix-huit trous cet après-midi avant de rentrer. J’avais envie de découvrir ce parcours, pour changer un peu de Palm Springs. Vous ne m’en voudrez pas de vous avoir fait faire un peu de route ?

— Pas de problème, on te donne le signal dès que l’échange a été conclu et tu lances la suite.

— Suivez-moi à la voiture. Je vais vous donner les valises.

— Tu es garé où ? demanda-Jack.

— La Tesla S rouge, aux bornes de recharge.

— Je vous rejoins dans cinq minutes.

Pendant qu’il s’éloignait, Long John me vanta les mérites de sa récente acquisition.

— Je peux aller de San Jose à Los Angeles sans recharge, avec les accélérations d’une muscle-car**, mais en silence et en mode conduite autonome.

— Intéressant !

Je pensai à ma Mustang, il me faudrait prendre de ses nouvelles rapidement.

— Elle existe en cabriolet ?

— Je ne crois pas, non.

— Dommage !

Comme Jack se rangeait avec le pick-up, le golfeur sortit deux valise rigides du coffre de la voiture. Jack les glissa derrière les sièges de la Ford. Long John me confia un petit appareil électronique muni d’un écran tactile.

— Chaque valise a son propre signal, tu peux les suivre partout, sauf au quatrième sous-sol s’il n’y a pas de réseau. Satellite et 4G. S’ils ont un scanner sensible, ils peuvent détecter les puces, mais tu pourras te justifier aisément en leur donnant le récepteur. De toute façon, on n’a pas prévu de reprendre cet argent n’est-ce pas ?

— Non, en effet, ce n’était qu’un emprunt !

— Bon, c’est à vous de jouer, j’ai fait le plus facile. Il y a quelques temps, je vous aurais proposé de vous accompagner pour l’échange, mais j’ai perdu la main, je ne vous serais d’aucune utilité. Je regrette un peu cette période, mais il faut savoir faire des choix. Par contre, je peux suivre le mobile de Pablo à l’heure convenue, ça vous donnera un coup d’avance.

— Jack te contactera ce soir pour te donner les coordonnées détaillées et les conditions de la rencontre. Il utilisera mon téléphone. Tu valideras les termes avec Pablo. Quatre personnes et deux voitures maximum. Tu lui communiques le lieu au dernier moment, qu’il ne puisse pas envoyer d’éclaireur.

— Ne t’inquiète pas, je n’ai peut-être plus la forme, mais je sais encore comment ça marche.

Je montai en voiture, laissant Long John retourner à sa partie de golf.

— Drôle de gars quand même, commenta Jack. Difficile de croire qu’il a été dans les Seals !

— Peu importe, il est le meilleur aujourd’hui. J’ai une confiance absolue dans le jugement de Mark.

— Qu’est-ce qu’on va faire des valises ?

— On ne va pas les laisser dans la voiture, ça c’est sûr. On les monte dans la chambre jusqu’à demain. Un type avec une valise dans un hôtel, c’est banal, non ?

— Oui, vu comme ça.

— Et puis c’est un peu pour veiller sur elles que je vous paie.

Je connectai la radio sur Sirius. Je tombai sur un vieux titre des Pink Floyd. « Money, get away ! »***







* Green-fee : tarif pratiqué pour les clients occasionnels d’un parcours de golf

** muscle-car : voiture sportive dérivée d’un model classique, avec un moteur surdimensionné (Ford Mustang, Dodge Challenger ou Chevrolet Camaro par exemple)

*** Money : Titre mythique des Pink Floyd paru sur l’album Dark Side of the Moon

https://www.youtube.com/watch?v=cpbbuaIA3Ds

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