Dernière surprise

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Le week-end qui avait suivi les événements de la carrière avait été délicieusement apaisé. J’avais assuré les parties de poker pour lesquelles je m’étais engagé, même si je dois reconnaître que je n’avais pas été au meilleur de mon art. Une question de motivation sans doute. Mon employeur ne m’en avait pas vraiment voulu, même si le bonus s’était trouvé significativement réduit par rapport au niveau habituel. J’avais augmenté ma fortune de huit cent quatre vingt mille dollars en l’espace de quelques jours. Je n’étais plus vraiment à ça près.

Emily avait passé le week-end chez Boris et le dimanche en fin de matinée, lorsque j’étais repassé à Henderson, elle m’avait expliqué qu’elle avait décidé de rester avec Igor. Ce choix n’était pas pour me déplaire et me permettait de cocher la dernière case sur ma «To Do List »*. Je puisai vingt mille dollars dans une valise pour faire un chiffre rond et laissai à la jeune femme le petit sac que m’avait laissé Long John pour les faux frais. Je ne doutai pas que ce petit cadeau puisse faciliter l’installation des deux tourtereaux.

C’est donc seul que j’avais repris la route de la Californie. Bien entendu, j’avais auparavant appelé ma mère pour lui dire qu’elle pouvait regagner son domicile et que je passerais la voir en fin de journée.

Tout en roulant, je repensais à ce que les journaux avaient écrit. Le « Vegas Newspaper » faisait état d’un règlement de compte entre gangs qui avait fait plusieurs blessés, dont le propriétaire de plusieurs clubs de lap danse, également connu pour commanditer un important réseau de prostituées. Le « Las Vegas Sun » précisait que le LVPD ** avait procédé à plusieurs arrestations sous les motifs de proxénétisme, blanchiment d’argent et fraude fiscale. Parmi les personnes arrêtées figurait Pablo Miguel Portega, cité comme probable chef de gang. Ces arrestations faisaient suite à des informations anonymes appuyées sur des documents explicites, adressées à la direction de la police de la ville. Portega, gravement blessé au genou, était hospitalisé sous surveillance policière, en attendant d’être incarcéré.

Long John avait bien fait les choses, dans la rubrique Faits Divers il était également mentionné des départs de feu dans deux clubs de strip-tease connus pour couvrir des activités illégales. L’un appartenant à Portega, l’autre à un gang rival.

Je ne doutais plus que Pablo nous laisse tranquille pour un bon moment.

Il me restait cinq heures de route sous le soleil. Le réservoir de la Ford était plein. Je n’avais aucune raison de m’arrêter sur le trajet. Mon smartphone était connecté au système audio de la voiture. Je lançai ma playlist favorite. Après le solo de flute, Robert Plant lança les premières phrases :

— There's a lady who's sure all that glitters is gold ***

Je me sentais calme et serein. La route était droite et monotone, je me faisais dépasser par des poids lourds qui roulaient bien au-delà de la limite fixée, mais je m’en moquais. Le soleil se couchait dans le Pacifique au moment où je coupai le moteur de l’Explorer. La petite voiture de ma mère était garée devant le garage.

— Hello maman, c’est moi !

— Je suis sur la terrasse, je regarde le soleil se coucher, me répondit la voix de ma mère.

Je la rejoignis du côté de l’océan.

— Je ne me lasse jamais de ce spectacle. Tu sais qu’à Key West, ils célèbrent le coucher du soleil tous les jours de l’année ?

— Oui, mais c’est pour mieux remplir les bars juste après !

— Comment s’est passé ton séjour à Las Vegas ? Emily n’est pas avec toi ? Elle va bien j’espère.

— Ne t’inquiète pas, Emily va très bien, elle est restée à Las Vegas avec le fils de l’un de mes amis. Tu sais bien que je ne suis pas prêt pour le mariage, plaisantai-je.

— Je l’aime bien cette jeune fille, et Mary aussi. Elle nous rappelle notre jeunesse.

— Je ne pense pas que vous dansiez dans des clubs de strip-tease dans votre jeunesse !

— Non, mais il nous arrivait de danser nues sur la plage.

— Aujourd’hui, vous vous feriez embarquer rapidement !

— Qu’est-ce que tu crois, les flics de l’époque n’étaient pas tendres avec nous ! On a fini plus d’une nuit au poste de police.

— J’attends la visite d’un ami ce soir, pour clôturer définitivement cet épisode.

— Je le connais ?

— Non, je ne pense pas, mais il ne restera pas longtemps. Nous pourrons diner ensemble ensuite. Ça te dirait d’aller sur la marina à Santa Barbara ? On pourrait aller au Endless Summer, au-dessus du musée.

— C’est ce bar décoré avec des planches de surf ? Ça fait des années que je n’y suis plus retournée, me répondit Maman.

— Oui, c’est bien ça. Ils ont des bonnes bières et j’aime bien leur Fish & Chips.

Il y avait un pichet de thé glacé sur la table sur la terrasse. Je me servis un grand verre pour profiter des derniers rayons de soleil. Long John arriva peu après. Je le rejoignis sur le parking devant la maison. Il conduisait toujours sa Tesla rouge. Je lui remis les deux valises.

— J’ai fait un petit prélèvement, dis-je, il ne reste que sept cent quatre vingt mille dollars. C’est plus léger à porter…

— Pas de problème, je vais te ventiler la somme sur plusieurs comptes discrets dont je t’enverrai les codes. Tu prévois de rester dans la région ?

— Non, je vais passer quelques jours ici, je dois récupérer ma voiture au garage, mais ensuite je prévois de faire un tour en France.

— Je t’enverrai les infos sur une messagerie sécurisée.

— Ne t’inquiète pas, je sais gérer ça !

— Je n’en doute pas. Les fonds seront disponibles dans deux ou trois jours.

— Je ne suis pas pressé, j’ai assez de réserve.

Le lendemain matin, je téléphonai au garagiste pour prendre des nouvelles de la Mustang. Il me rassura en me confirmant que les réparations étaient terminées et que la voiture était comme neuve. Comme il me demandait si je souhaitais qu’il la reconduise à Carpinteria, je lui dis que je passerais la prendre chez lui dans la matinée. Il me fallait rendre l’Explorer au loueur à l’aéroport et le garage était sur le chemin du retour.

À mon retour, je me connectai sur un site de réservation pour prendre mon billet pour Nice. Boris avait proposé de rechercher des engagements pour moi sur la French Riviera. Je lui avait demandé de me préserver une quinzaine de jours de vacances avant de me remettre au « travail ».

Le plus simple était de passer par Paris. Je me dis que je pouvais en profiter pour visiter la ville avant de repartir pour la Côte d’Azur comme disent les français.

Le jeudisuivant, j’étais confortablement installé dans un fauteuil de Business Class sur le vol Los Angeles-Paris d’Air France, une flute de champagne à la main.

Un mois plus tard, j’avais eu l’occasion de participer à quelques parties privées dans des villas luxueuses au Cap d’Antibes et au Casino de Monte Carlo. L’ambiance, comme les joueurs, étaient très différents de ce auquel j’étais habitué à Las Vegas, mais je n’eus pas de mal à m’adapter. Mes adversaires n’étaient plus des millionnaires texans ou des capitalistes chinois, mais plutôt des financiers du golfe Persique ou du Proche-Orient. Cela ne changeait rien au principe du jeu. On me fit plusieurs propositions pour venir jouer à Dubaï, mais je n’avais pas envie de retourner dans cette région qui me rappelait un peu trop l’Irak.

J’avais trouvé une chambre très agréable dans un hôtel proche du port d’Antibes, avec piscine et vue sur la Méditerranée. Il n’y avait qu’un petit nombre de chambres et le personnel était très attentionné, sans l’empressement pesant des grooms de Las Vegas.

J’étais au bord de la piscine un peu avant midi lorsque le réceptionniste vint me prévenir :

— Monsieur Flynton, il y a une dame à la réception qui souhaiterait vous rencontrer.

— Une dame, dites-vous, je n’attends personne, mais voulez-vous l’accompagner jusqu’ici et lui demander si elle souhaite boire quelque chose ?

— Bien Monsieur.

Quelques instants plus tard, une jeune femme blonde en tenue d’hôtesse de l’air, très sexy, dans une jupe courte et un corsage très ajusté se jetait dans mes bras.

— Flynt, tu es un monstre, ça fait plus d’un mois que tu as disparu sans me donner de nouvelles.

— Bonjour Emily, comment m’as-tu retrouvé alors ?

— C’est Boris qui nous a donné ton adresse.

— Nous ?

— Je suis avec Igor. Il avait un vol prévu de Las Vegas à Nice pour un client très riche. Alors il m’a proposé de l’accompagner. Normalement, il n’y a personne en cabine, mais ce client là est très exigeant. J’ai dû m’occuper de lui pendant tout le voyage, enfin sauf quand il dormait.

— Igor est avec toi ?

— Non, il est resté à l’aéroport pour des questions techniques avec l’avion. Je dois le retrouver ce soir. En attendant, on a un peu de temps tous les deux. On va dans ta chambre ?




* To Do List : liste des choses à faire

** LVPD : Las Vegas Police Department

*** There's a lady who's sure all that glitters is gold : premiers mots de la chanson Stairway to Heaven, du groupe Led Zeppelin

https://www.youtube.com/watch?v=QkF3oxziUI4




*** FIN ***

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