Récit

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Ma mère me voyait pilote de ligne. Mon père me voyait capitaine au long cours. Ma tante me voyait binoclard, énarque et président de la République. Mon oncle me voyait pharmacien dans une ville de province. Leur fille, ma cousine, me voyait vivant avec elle. C’est qu’elle m’aimait la bougresse… Et elle n’avait pas froid aux yeux.

Les années ont passé. Elle a épousé un pharmacien, et moi je suis devenu multi millionnaire, grâce à un ticket gagnant de loto. Je me suis acheté une grande maison et deux voitures. L’une grosse et puissante, l’autre petite et citadine. J’ai acheté un haras et j’élève des purs sangs qui me rapportent de l’argent. Beaucoup d’argent.

J’ai revu ma cousine, un jour que je passais dans son coin. Elle avait grossi, mais n’avait toujours pas froid aux yeux. Elle m’a donné rendez-vous dans un hôtel situé sur une aire d’autoroute.

« Dans le village tout le monde me connaît, et je n’aime pas que ça jase. »

Nous avons fait l’amour mollement. Elle m’a dit :

« On se revoit quand ? »

Deux mois après, ma tante est morte. Nous nous sommes revus à ses obsèques. Mon oncle avait pris un sacré coup de vieux. Papa pétait la forme. Maman pleurait toutes les larmes de son corps. C’était sa petite sœur chérie. Mon cousin par alliance – le pharmacien – était chauve et binoclard. Il sentait mauvais de la bouche. Ils avaient un fils qui ne ressemblait à rien. Adolescent mou et mutique, qui ne cessait de jouer avec son téléphone portable. Il n’en avait sans doute rien à faire de la mort de sa grand-mère ; ou alors, il ne voulait pas montrer sa grande peine. C’est con un adolescent. Avec lui, on ne sait jamais sur quel pied danser. Le pire c’est que lui non plus ne le sait pas.

Elle s’est approchée de moi, et m’a glissé à l’oreille :

« J’ai dit à Pascal (son mari) que nous irions faire un tour tous les deux. Après tout, c’était ma maman, et ta marraine. Il n’a rien trouvé à redire. »

Puis elle m’a fait un clin d’œil.

Nous nous sommes arrêtés dans le même hôtel, et nous avons refait l’amour mollement.

« Tu ne m’as jamais dit ce que tu es devenu. »

Je le lui ai dit. Elle a sifflé d’admiration :

« Nous aurions dû nous marier ensemble.

— Ça ne se fait pas trop entre cousins.

— N’empêche que je t’ai déniaisé.

— Merci. »

Nous sommes arrivés devant la maison. Le salon était encore éclairé.

« Tu ne m’as toujours pas donné ton adresse. »

Alors je l’ai programmée sur le GPS de sa voiture. Elle est venue trois semaines après avec son fils.

« J’ai dit à Pascal que nous restions trois jours. Cela ne te dérange pas ?

— Non, mais lui ?

— Mon fils ? » Elle a haussé les épaules : « Une fois qu’il est dans sa chambre, avec sa tablette, tu ne le bouges plus, même à coups de pieds dans le derrière. »

Elle n’avait pas tort. Nous avons fait et refait l’amour mollement, et cela nous satisfaisait. Avant de repartir, elle m’a dit :

« Je trouverai le moyen de venir régulièrement te voir. Tu es d’accord ?

— Oui.

— Tu as une autre femme dans ta vie ?

— Non. (C’était vrai)

— Quoi, tu veux dire que je suis la seule ?

— Oui.

— Alors j’avais raison : on aurait dû se marier ensemble.

— Ça ne se fait pas trop entre cousins.

— Tu m’agaces. » Elle m’a embrassé sur la joue : « A bientôt. »

Un mois s’est écoulé sans nouvelles de sa part, et puis un mois encore. Au douzième jour du troisième mois, je me suis décidé à l’appeler. Sa voix était éteinte :

« Désolée si je ne t’ai pas appelé durant tout ce temps. J’ai traversé une période abominable. Pascal s’est mis à faire du trafic de médicaments. Police sur le dos. Garde à vue. Perquisition. Moi accusée de complicité.

— Tu aurais dû m’appeler. Je serais venu t’aider, t’épauler, te soutenir.

— Je n’ai pas osé te déranger.

— Tu es bête. On est solidaires dans la famille.

— Tu as raison. Bon, le plus dur est passé. J’ai été blanchie. Pascal a été condamné à trois ans de prison, dont dix-huit mois avec sursis, et à une amende record. Il va devoir vendre la pharmacie.

— Je peux la payer. »

Elle m’a répondu sèchement :

« Non ! En tout cas, il n’a plus le droit d’exercer, et j’ai décidé de divorcer. »

Je n’ai rien répondu.

« Tu as entendu ?

— Oui. »

Blanc.

« Bon, excuse-moi, je dois appeler mon avocat, pour régler quelques détails. Je t’appelle dans deux-trois jours. »

Nous avons raccroché. Une heure après elle m’a rappelé :

« Papa est mort. »

Je suis venu aux obsèques. Papa pétait un peu moins la forme. Maman marchait avec une canne, à cause de sa hanche. Je leur avais trouvé une gouvernante qui s’occupait merveilleusement bien d’eux. Ils habitaient à dix kilomètres de chez moi. J’allais leur rendre visite régulièrement et, régulièrement, ma mère se lamentait de ne pas être grand-mère.

« Maman, c’est la vie. Je n’ai pas encore trouvé la femme idéale. »

Et ce disant, je pensais à ma cousine. Elle n’avait peut-être pas tort. Nous aurions formé un beau couple. Mais qu’en aurait pensé la famille ?

Après les obsèques, nous sommes partis à notre hôtel habituel. Après l’amour elle m’a dit :

« Je vais quitter ce village. Je ne supporte plus ses habitants. Ils me regardent de travers. Tu parles, la femme du pharmacien véreux.

— Viens t’installer dans le mien. Je te trouverai une belle maison près de la mienne. Nous pourrons nous voir plus souvent. »

Elle a ouvert de grands yeux :

« C’est vrai ?

— Oui. Puis, qui sait, lorsque ton fils aura quitté le foyer, nous pourrions nous installer ensemble » Je l’ai regardée dans les yeux : « Mais à une condition. »

Elle a ri :

« Que je ne te demande pas de m’épouser. »

Puis, dans un éclat de rire, nous avons dit en même temps :

« Parce que ça ne se fait pas trop entre cousins. »

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