6. Simulateur
Jusqu’à ce jour, je n’avais pas vu le temps passer, grisée par le rythme effréné de chaque course. À cet instant, jamais les heures ne m’avaient paru si longues. Le rendez-vous de fin de journée occupait tout mon esprit. Stress, inquiétude, pudeur. Allais-je accéder au simulateur seule, ou allais-je me déshabiller devant un jury ? Même si je me répétais que le recrutement n’était qu’un mauvais moment à passer, ça m’angoissait. Ma crainte était que cette peur se transformât en absence de désir.
Le service touchait enfin à sa fin. Pas le temps de prendre une douche à l’appartement, je me changeai à la boutique. J’enlevai les cache-tétons avant d’enfiler mon t-shirt.
— Nath ?
— Ouais ?
— Tu m’as dit qu’elle a tenu combien ta belle-sœur dans l’armée ?
— Le temps de sa première mission. Six mois. Pourquoi ?
— Pour rien. Avant-hier, mon père parlait des pilotes d’ESAO.
— Il disait quoi ?
— Qu’elles étaient associables et violentes.
— Ce n’est pas vraiment comme ça que je qualifierais ma belle-sœur. Je dirais ingénue et… ingénue. Ce n’est pas une lumière. Tu me diras, t’avais dû le deviner.
— Pourquoi ? Je pensais que la plupart des filles qui s’engageaient le faisaient en échange de remises de peines de prison.
— Non, ce n’est pas une délinquante. Mais bon, niveau intellectuel, c’est limite. Ça ne lui ouvre pas des portes. Livrer des burritos, elle ne saurait pas faire, je te jure.
Je quittai la boutique, suivie par Nathalie.
— Une bière ? proposa-t-elle.
— Non. J’ai rendez-vous. Mon père est toujours en permission.
— Ça marche, passe une bonne soirée.
En d’autre circonstances, ma réponse aurait été la même. Je préférais être seule qu’en compagnie de ses commérages de livreuse.
Je gagnai les quais situés un étage de rue au-dessus du plancher des vaches, puis m’assis sur un banc pour attendre le bus. Faire un chignon bien propre me prit trop peu de temps. Mes doigts ne savaient plus comment s’occuper et tiraient nerveusement sur mes ongles. Vu la description libidineuse des pilotes, je ne craignais pas de ne pas pouvoir piloter un véritable ESAO. Mais le test pouvait être fatal si la gêne venait trop s’en mêler. Je n’avais vraiment pas envie de me présenter nue devant des inconnus, et en même temps, j’avais super envie de piloter un ESAO. Pour la première fois depuis longtemps, mon ventre restait froid et sec à l’évocation de cet avenir. Il n’était pas encore trop tard pour fuir, mais je n’aurais pas pu me regarder dans un miroir sans avoir été jusqu’au bout des choses.
La grande rame vitrée s’arrêta à hauteur du quai, puis les rambardes de protection s’ouvrirent. Je m’assis sur une des places côté fenêtre sans parvenir à m’ôter cette nervosité qui me faisait imaginer en boucle un scenario. Mes doigts recommencèrent à faire bruisser mes ongles, et mon talon à trépider au-dessus du plancher. Le bus prit son vol au-dessus des artères profondes. Le bureau de recrutement de l’armée de terre se situait à l’Est du centre de Luxembourg, à plus d’une heure de voyage. J’avais encore largement le temps de retourner mes angoisses dans ma tête et de me faire des nœuds au ventre, comme de sentir monter le besoin d’uriner.
Après une heure de vol entre les buildings aux immenses publicités holographiques colorées, le bus me déposa à la haute tour du siège des armées. Les douze étoiles holographiques tournaient autour de la flèche de l’immeuble, dorée par le soleil couchant.
Je traversai le hall blanc jusqu’à ce qu’un majordome flottât à ma rencontre. Il s’agissait d’un robot noir en forme de tête de poulpe et dont le crâne lisse servait d’écran. Sa voix asexuée interrogea :
— Bonjour. Que puis-je faire pour vous ?
— Bonjour, Clarine Fontaine. J’ai rendez-vous avec le colonel Paksas.
— Veuillez me suivre.
Le poulpe lévita devant moi, tandis qu’un autre de ses congénères nous croisait. Nous longeâmes un couloir couleur crème, désert d’humain, puis nous nous arrêtâmes dans un petit espace d’attente. Une brune aux cheveux courts était déjà assise à patienter. Le majordome s’éclipsa une fois que je fus installée dans un des fauteuils. La potentielle candidate cessa de me regarder et ce fut à mon tour de la détailler. Elle portait déjà un uniforme, treillis crème et moucheté de nuances de gris aux jambes, t-shirt assorti et béret beige crémeux également. À en juger sa silhouette filiforme, ses bras plus fins que les miens, ce n’est pas le genre fantassin. Peut-être cherchait-elle à changer de secteur. Conduire un ESAO ne nécessitait pas d’avoir une ossature robuste.
Le colonel sortit de son bureau, et se révéla être la femme quinquagénaire qui nous avait exposé les ESAO à l’école militaire, mainte-fois médaillée, à en juger les décorations sur son uniforme blanc. Elle posa les yeux sur nous deux puis demanda :
— Caporal Carlier ?
La fille leva ses grands yeux globuleux avant de se dresser comme un diable.
— À votre service, mon colonel !
Elles disparurent dans le bureau. Le stress de la brune était très communicatif. J’aperçus le panneau indiquant les WC. Je jetai un œil à mon bracelet. Il me restait cinq minutes sur l’heure officielle. L’autre candidate venant d’entrer, j’avais le temps de faire un saut. Je marchai d’un pas hâtif jusqu’aux WC, à travers l’immense couloir vide. Les sanitaires étaient à l’image du couloir, spacieux, immaculés et déserts. Je pénétrai dans une cabine et m’assis sur le trône de faïence pour soulager ma vessie. Le stress me harcelait, faisait agiter ma jambe, et encore hésiter. Pourtant, l’éventuelle recrue avant moi n’avait pas l’air méchante. Pourquoi les pilotes auraient-elle toutes été des détraquées ?
En essuyant les dernières gouttes, je constatai la moiteur de la peau entre mes cuisses, victime de la sueur de la journée de travail. Il fallait que je trouvasse une solution, ou j’allais passer pour une candidate négligente. Je remontai mon pantalon, tirai la chasse d’eau, puis me lavai les mains devant le grand miroir en me posant toujours les mêmes questions. Me laisserait-on m’installer moi-même dans le simulateur ? Le colonel serait-il à côté de moi pendant que j’étais nue ? Pire, pendant que je devrais avoir un orgasme ? Si mes cuisses puaient la sueur et qu’elle le sentît ?
Mes oreilles portèrent leur attention au silence du bâtiment. Personne ne semblait approcher. Je baissai mon pantalon et ma culotte face au miroir, puis récupérai la mousse au distributeur. Mes doigts tartinèrent tout mon entrecuisse, puis sans le rincer pour ne pas tremper, l’essuyèrent avec du papier.
Je retournai m’asseoir sur le même fauteuil en priant pour que le parfum du savon suffît. Le stress continuait à affluer. Allais-je être capable de faire fonctionner un ESAO avec pareille nervosité ?
Cinq minutes après, le colonel Orinta Paksas s’avança au seuil de sa porte et me sourit aimablement :
— Mademoiselle Fontaine, je vous en prie.
Je la rejoignis, raide comme un piquet de bois. La porte se ferma dans mon dos, tandis que je prenais place sur la chaise face à son bureau. Elle regarda son écran attentivement. Ma photo se discernait dans le reflet de la vitre. Malgré ses longs cheveux châtains coiffés en queue de cheval, elle affichait bien une cinquantaine d’année. Ses yeux étaient marqués des ridules d’autorité, mais ce fut avec un sourire bienveillant qu’elle s’adressa à moi :
— Bienvenue au siège de l’armée de terre.
— Merci.
— Je suis le colonel Orinta Paksas, chargée du recrutement et de la formation des pilotes d’ESAO. Votre dossier m’a surpris, mademoiselle Fontaine. Vos résultats de fin d’étude sont bien au-dessus de la moyenne, surtout en mathématiques et astrophysique. C’était une option ?
— Oui.
— Pourquoi le choix de cette option ?
— Je voulais une porte pour devenir pilote interplanétaire.
— Pourquoi, brillante élève que vous êtes, n’avez-vous pas repris les études après le service ?
— Ça me paraissait abstrait et… Pendant le service, on nous a parlé de toutes les carrières qui ouvrent vraiment vers une possibilité de voyager dans différents mondes. Vous êtes intervenue à l’école militaire de Clermont-Ferrand à la fin de mon service.
— J’interviens dans toutes les sections d’Europe. Heureuse de vous avoir marquée. Mais pourquoi pilote d’ESAO plutôt qu’une carrière dans la marine spatiale ?
— La… La peur de m’ennuyer, mon colonel.
— De manière générale votre dossier militaire est très bon. Recrue disciplinée, et déterminée. Scores corrects au parcours du combattant, révélation des poids plumes en boxe militaire. En toute honnêteté, je ne fais pas la fine bouche d’ordinaire, alors découvrir votre profil, c’est comme si on venait me servir du caviar entre deux ratas. Vos proches savent que vous avez candidaté ? — Je secouai la tête. — Pourquoi ?
— Les pilotes n’ont pas bonne réputation.
— Il y a mille carrières qui s’ouvrent à une fille telle que vous, que ce soit dans le civil et dans l’armée, alors je vais jouer franc jeu. Aucune fille que je reçois dans mon bureau ne vient se présenter sans raison. Aucune.
La bouche sèche, je ne savais pas quoi lui répondre. Elle me cita :
— Envie de servir ma planète et j’ai toujours eu envie d’un piloter un. C’est ce que vous avez écrit ?
— Oui, mon colonel.
— Pouvez-vous développer ? — Je restai coite. — Si vous faites face à une impasse, même sans casier judiciaire ou interdit bancaire, j’aimerais que vous jouiez franc jeu.
— Mon père est pilote dans l’armée de l’air et j’ai toujours eu envie de m’engager. Mon frère est dans la marine spatiale. J’ai apprécié mon service militaire, et aujourd’hui je ne me vois pas faire autre chose. Et je veux aller au combat.
— Je peux transmettre votre dossier à la section blindée du régiment, ou aux transmissions.
— C’est pilote d’ESAO que je veux être.
Arrêtée par la fermeté de ma voix, elle sourit en posant les coudes sur son bureau pour me dévisager.
— Vous voulez être uniquement pilote ? Là, vous me surprenez. Et il y a une raison particulière ?
— C’est la carrière qui me plaît le plus.
— D’accord, je vais vous tester. Si votre prestation au simulateur me convient, je veillerai à ce qu’on ne vous refourgue pas un vulgaire ESAO avec cent batailles au compteur. J’ai noté que vous préfériez que votre gynécien soit une femme. J’y veillerai également.
— Merci.
— Avant le test, est-ce que vous avez des interrogations ? Je sais que le fonctionnement des ESAO est sujet à beaucoup de vérités et contre-vérités.
— Non. J’ai trouvé mes réponses sur Internet. Je ne savais pas à quoi servait le gynécien ou la gynécienne. J’ai appris ce mot en lisant le formulaire. Je me demandais. Est-ce le gynécien est présent lorsqu’on s’installe dans l’ESAO ?
— Pudique ?
Prise à défaut, je jouai la franchise :
— Très.
— Dans une minute, il va falloir affronter ce trait de personnalité. — Je baissai le regard quelques secondes. — La gynécienne qui va vous aider à vous installer dans le simulateur sort de sa formation en gynétique. Elle n’a travaillé pour le moment que sur des mannequins en silicone, attendez-vous à ce qu’elle soit un peu nerveuse et très scolaire. J’espère que cela ne posera pas de problème.
— Je ne pense pas.
— Dans ce cas, allons-y.
Aussitôt levée, je lui emboîtai le pas en direction de la porte attenant à son bureau, le cœur et les boyaux serrés. Ce n’était pas maintenant qu’il fallait remettre en cause mon engagement.
— Ça se passera bien, ne vous stressez pas trop, sinon vous ne parviendrez pas à m’épater.
La porte s’ouvrit lorsque le colonel leva la main. La brune filiforme sursauta et se retourna. Elle esquissa un sourire nerveux, ses grands yeux marrons écarquillés. Dans la petite pièce était pendue un demi-exosquelette dans un assemblage de cerceaux. On l’avait démembré et allégé de son armure. Il ne restait qu’un siège, à peine aussi large que mon dos. Son extrémité en fourche était repliée en cuillère, comme un dard d’insecte. En son centre, une sonde blanche d’une dizaine de centimètres, plus large à la base qu’à la pointe, était prête à être enfoncée au plus profond de mon intimité. L’appareillage impressionnant me fit immédiatement regretter d’être venue. Toutefois, à ce stade, ça aurait été une faiblesse de reculer. D’une voix enrouée, la jeune militaire annonça :
— Je suis prête, mon colonel.
— Caporal Carlier, je vous présente Clarine Fontaine, votre première pilote.
Elle me tendit la main gantée de latex rose :
— Super enchantée ! Appelez-moi Héloïse.
La gorge nouée, j’étais incapable de lui répondre, mais j’acceptai la poigne.
— Ça ne vous dérange pas si je vous appelle par votre grade ? C’est pour me mettre dans le bain. C’est plus facile pour moi. — Je secouai la tête. — Je viens de tout désinfecter, et nettoyer. Et c’est quoi votre grade ?
— Elle n’en a pas encore, répondit le colonel. Mais si elle avait choisi un autre parcours, vous l’auriez sûrement appelée lieutenant.
— Il y a des lieutenants qui pilotent ?
— Si tout se passe bien, il y en aura peut-être un jour.
Doublement stressée, les yeux injectés d’adrénaline, Héloïse ne pouvait s’empêcher de parler :
— J’ai vérifié les électrodes, tout est en parfait état de marche. J’ai fait toute la check-list. Et j’ai lubrifié le transmetteur vaginal.
— Je vois ça, marmonna le colonel
— On peut y aller quand vous voulez.
J’opinai du menton en enlevant mon blouson. C’était beaucoup plus difficile que je ne le pensais. J’aurais tant aimé être seule pour découvrir la sensation d’union avec la machine. Peut-être n’y aurait-il qu’Héloïse, cela aurait-il été différent, mais savoir le regard de l’officier dans mon dos me mettait mal à l’aise. Une fois déchaussée, le pantalon baissé, je jetai un œil à la machinerie complexe qui m’inspirait moins envie que je ne l’espérais.
Par-dessus mon épaule je regardai le colonel qui nous observait depuis la console. Héloïse me murmura avec une intonation complice :
— Nerveuse ?
— Très.
— Moi aussi.
Son clin d’œil ne me rassura pas. Je n’avais pas été nue devant quelqu’un depuis la petite enfance. Les mains tremblantes, j’ôtai mon t-shirt, et Héloïse ne me lâcha pas du regard, jusqu’à ce que je baissasse ma culotte. Je m’enfermai dans ma détermination, le dos droit, le visage imperturbable. Essayant d’occulter les frissons, je m’avançai vers le simulateur. Héloïse m’indiqua :
— Les pieds là.
Je plaçai mes pieds dans les étriers élevés à peine à cinq centimètres du sol, puis calai mon dos contre le dossier. Sans qu’Héloïse n’eût besoin de me le dire, je passai mes bras dans l’ossature prévue à cet effet, et mes phalanges vinrent se glisser dans celles du faux exosquelette.
— C’est parti pour l’installation !
Héloïse continuait de feindre la jovialité pour dépasser le malaise commun. Elle fut forcée de s’approcher de moi pour ceindre autour de mon cou un collier avec un capteur sur chacune de mes carotides. Elle serra le même bandeau autour de chacune de mes cuisses et de mes bras, puis elle appuya sur les interrupteurs qui les couvrait en réfléchissant à voix haute pour être certaine de ne rien oublier. Debout sur les pédales, je patientais en observant de temps à autre l’officier qui ne prêtait pas attention à nous, écrivant de temps à autre sur sa tablette. Héloïse apposa six électrodes sur mon ventre.
— Je vous branche ?
J’étais incapable de parler, tant le désir de fuir m’habitait. J’opinai du menton et tâchai de me détendre. Héloïse abaissa les sangles sur mes hanches, puis ramena l’entrecuisse mécanique luisant d’huile. Elle fit coulisser la sonde phallique sur le rail pour qu’elle tombât parfaitement à l’orée de mon vagin. D’une main amicale mais gênante, elle écarta mes premières lèvres.
— Réglage OK. Vous m’arrêtez si vous avez mal, lieutenant.
Elle l’enfonça centimètre par centimètre. Le stress tétanisant mes muscles, la sensation d’élargissement ne fut pas aussi agréable qu’attendue. Pour cause, je ne ressentais aucune excitation devant mon public. Effrayée à l’idée que l’expérience fût vouée à l’échec, je tâchai de ne montrer aucune émotion, jusqu’à ce que l’intégralité de la sonde fût cachée dans ma chair. Les sangles sur mes hanches maintinrent la coque contre mon pelvis. L’extrémité en fourche écarta mes premières lèvres. Après avoir serré fermement le harnachement, le pouce ganté de la gynécienne fit pression sur le haut de ma vulve, aidant mon clitoris à darder. Héloïse referma une épingle à ressors qui maintînt ma perle ainsi dégagée. À un millimètre sous sa chair, elle ajusta le positionnement d’une aiguille.
L’ensemble de mon coccyx était immobilisé. Je ne pouvais bouger que les bras et les jambes, à l’intérieur même du squelette grouillant de contacteurs et de vérins. J’étais encore plus mal à l’aise qu’il y a quelques minutes.
— OK. Vous êtes parée. Dans votre vagin, ce n’est pas un vrai transmetteur, mais il contient un capteur d’orgasme quand-même. Votre rythme cardiaque, votre souffle et vos réactions musculaires seront mesurées et interagiront avec la simulation. C’est conçu comme le premier ESAO qui a existé, donc c’est très basique. Commande par lecture oculaire. Vous contrôlez la fréquence des vibrations du transmetteur, et l’électrostimulation. Ça passe par le transmetteur, ou ça électrise le clitoris. Soit en continue avec douceur, soit par décharges intermittentes. Au moment de l’orgasme, si vous collez vos pouces sous vos paumes, ça fait feu.
Tout en bougeant mes doigts, je répétai ses consignes dans ma tête.
— OK.
— Excitée ?
— Pas du tout.
— Va falloir, si vous voulez passer le test, murmura-t-elle. Je termine puis on commence !
Je clignai des yeux. Elle porta un mors à ma bouche, relié à un court tube, pour mesurer mon souffle. Ensuite, elle écrasa mes narines dans un pince-nez. Qui pouvait jouir dans pareille situation ? Elle fit passer les sangles qui maintenaient le mors dans mes cheveux. Puis, elle me coiffa du casque. Deux blocs vinrent englober chacune de mes oreilles, et une simple lunette noire me rendit aveugle. La voix étouffée de la recruteuse demanda :
— Prête ?
— Les moniteurs sont branchés. Là, vous avez son rythme cardiaque, les insufflations, la tonicité des capteurs abdominaux, là, le transmetteur vaginal. Il ne reste plus qu’à lancer la simulation.
— Lancez le hangar, ensuite la simulation 126.
— À vos ordres.
— Comme convenu, c’est vous qui briefez votre pilote.
Elles cessèrent de parler, m’isolant dans un silence complet. Des textes s’affichèrent devant mes yeux, indiquant l’initialisation du programme. L’image floue d’un hangar se dessina en lieu et place de ma vue. Je pouvais voir mes mains d’acier, mes pieds. Le niveau d’énergie des canons s’affichait dans le coin de mon champ de vision. Il était à zéro.
La voix d’Héloïse me parvînt par les écouteurs :
— Lieutenant, vous êtes à bord d’un Tatou. Ils sont petits, tout-terrain, robuste. C’est le plus ancien ESAO encore en service, car très fiable. Vous pouvez vous mettre en boule pour rouler et vous protéger. Vous avez des canons dans les phalanges. Les constructeurs avaient remarqué que c’était plus facile pour les premières pilotes de viser avec leurs propres doigts. Restez dans le hangar, apprivoisez les mouvements et dès que vous êtes prête, je lance la mission.
Je me mis en marche, et le mouvement de mes jambes me fit sentir la sonde vaginale dont j’avais presque oublié la présence. Elle se révéla plutôt agréable. La communication radio aidant, je m’isolai de la réalité. Pas après pas, j’oubliai que j’étais dans un laboratoire, qu’on était en train de m’observer. Je n’avais jamais été aussi proche de mes fantasmes. Je découvrais les véritables sensations que j’avais imaginées sur la borne d’arcade. Je me lançai dans un sprint de quelques mètres, faisant mouvoir la sonde dans mon écrin, puis m’interrompis à un centimètre du mur, essoufflée de l’effort. Je posai les mains au sol et me roulai en boule. Le porteur du simulateur me fit tourner en même temps et m’immergea complètement. Je commençai à en oublier la sensation d’air sur ma peau, et à me sentir réellement à l’intérieur de l’exosquelette. Mon ventre se réchauffait, massé par la présence incongrue du transmetteur. Je tentai des sauts de côté, tournai la tête. Il n’y avait aucun délai de réaction, tout répondait comme si c’était moi à l’intérieur. Je me sentais parée.
— Je suis prête pour la mission.
— Lieutenant. Je ne suis pas sûre de capter une poussière d’excitation. Vous ne voulez pas tester les stimu… Ah, le colonel me dit de vous laisser commencer.
Le hangar disparut. Depuis le bord de la falaise, sous un ciel bleu, je discernai la jungle extraterrestre, mauve et rouge. Le bruit étouffé de la brise, comme celui de mes pas sur la terre était rendu dans le casque. C’était comme si j’étais réellement sur une autre planète. C’était pour ça que j’étais venue, pour vivre la véritable expérience d’une pilote. Mon fantasme prenait vie, et l’envie de réussir devint plus forte que jamais.
— Votre test est la reproduction d’une mission qui a réellement existé. Il vous faut gagner le plus furtivement un campement dans lequel une pilote est retenue prisonnière. Ce n’est pas vous qui êtes chargée de son évacuation. Vous devez repérer sa position et faire le ménage si nécessaire. Les attaques que vous subirez sont générées aléatoirement par une intelligence artificielle. Bon courage.
Je me pendis à bout de bras au bord de la falaise, puis la descendis en prenant garde à positionner mes pieds d’acier. Je sautai les cinq derniers mètres et roulai dans le feuillage, écrasant le transmetteur en moi.
La jauge d’énergie indiquait toujours zéro, donc il fallait que j’accélérasse la montée du plaisir. Si je ne commençais pas maintenant à m’ouvrir aux sensations, j’allais parvenir sans munition face aux ennemis. Je lançai la vibration la plus légère de la sonde vaginale. Un cri m’échappa. La surprise passée, les sensations dans mon bas ventre se répandirent, mille fois plus délicieuses que ce que j’avais imaginé. Je me mis en marche.
Le camp ennemi ne fut pas difficile à trouver. D’immenses créatures aux allures de crustacés conversaient dans une langue gutturale autour d’un bunker. Leur épaisse carapace laissait entendre que sans mes canons en état de fonctionner, ils seraient intouchables. Me savoir en simulation inhibait toute sensation de danger. Je fendis donc les feuillages avec peu de crainte, afin de longer le camp et observer par les meurtrières des bunkers semi-enterrés. Tout en savourant le frémissement de la tige dans mon vagin, je longeais les murs tapissés de lichen. Je finis par apercevoir la silhouette d’un ESAO dans la pénombre d’une des salles. La pilote n’était sans doute pas loin. J’approchai de la meurtrière et devinai une silhouette féminine nue, pendue par les bras. Je me reculai, puis tournai sur moi-même par crainte d’être repérée. Le plaisir grimpant avec ma gourmandise, j’augmentai les vibrations et la barre d’énergie monta enfin. Une larme de cyprine glissa à l’intérieur de ma cuisse. Il était bientôt temps de me servir de mes canons. Si le plaisir montait trop vite, il allait falloir que je coupe le stimulateur. Je rampai sur le toit d’un bunker, à la recherche d’un point d’observation. Mes ennemis étaient presque tous à proximité. Il ne fallait pas grand-chose pour les regrouper tous. Une stratégie de haut risque me permettrait de tout dévaster en un seul orgasme. J’activai l’électrification des parois vaginale. Une contraction m’échappa, comme un signal. Je m’étirai et me lançai à quatre pattes sur le toit. Les ennemis se retournèrent en entendant l’impact de mes membres d’acier sur le béton. Je roulai en me mettant en boule, puis tombai du toit au milieu de mes ennemis, sur le dos, recroquevillée sur moi-même. Aussitôt, je démarrai l’électrification de la région clitoridienne. J’échappai un cri de surprise sur la première seconde. Ensuite, le plaisir du fourmillement artificiel monta en flèche L’électricité contracta mes muscles. L’orgasme était imminent. J’entrouvris ma carapace, discernai tous mes ennemis qui s’étaient regroupés. Alors je laissai le plaisir exploser dans mon ventre. Je me déployai et tournoyai comme une toupie sur mon dos. À chaque contraction involontaire de mes muscles des rayons de plasma surgissaient de mes phalanges. J’alignai en premier ceux qui ne s’enfuyaient pas. Leurs tirs me manquaient, et ils tombaient un à un. J’abattis ceux qui me tournaient le dos dans les mêmes secondes. Un seul parvint à gagner les fourrés roses.
Je me relevai, chancelante, le souffle court, puis avançai malgré-moi vers les buissons. Sa tête écailleuse m’apparut entre les herbes. Je l’agrippai brutalement, mon pouce dans l’angle de sa mâchoire. De l’autre main, je lui arrachai ses excroissances oculaires. Son bec blindé s’ouvrit en lâchant un hurlement de douleur. Quel réalisme ! Je lui arrachai la mâchoire, puis l’abandonnai sur le sol. Défoncer à main nue des homards de l’espace, ça m’excitait tout autant !
Je gagnai le bunker en diminuant les vibrations et en coupant l’électrostimulation. J’étais brûlante, détrempée, prête à jouir à nouveau. Il fallait que je me préservasse pour que le plaisir revînt doucement. C’était tellement agréable de faire durer l’attente, que ça n’augurait qu’un meilleur orgasme. J’espérais qu’il y aurait encore de la bagarre.
Je pénétrais l’obscurité de la base, méfiante et fiévreuse, puis arrachai la porte d’acier donnant sur la pilote, suspendue par les poignets, à côté de son ESAO Tatou éventré. Un trou dans son bas ventre échappait du sang, sa peau était pâle, ses yeux clos, sa poitrine ne bougeait pas. J’essayai d’articuler malgré le mors :
— Elle n’a pas l’air en vie.
— N’oubliez pas, vous devez prévenir les équipes de secours de sa position.
— OK. Et bien localisez-moi, caporal, et indiquez que la pilote semble décédée. L’ESAO est intact. La zone est claire, je vais me positionner en hauteur au cas où d’autres ennemis viendraient.
L’image s’éteignit, tout comme les vibrations sourdes du transmetteur entre mes cuisses.
— Fin de la simulation, articula la voix lointaine du colonel.
Dommage qu’il n’y eut pas un sursaut de résistance pour rejouer une partie J’espérais que j’avais impressionné par ce bref combat. Héloïse souleva mon casque. La lumière me fit plisser les yeux. Elle rit :
— La simulation de tarée !
Elle m’enleva le mors noyé de salive, alors que le colonel approchait. Héloïse questionna :
— Dites-moi, vous avez vraiment joui ou vous avez réussi à berner les capteurs ?
— Comment ça ?
— Non mais vous dissociez complètement votre esprit de votre corps. Moi quand je jouis, je suis incapable de bouger. Et la plupart des filles, c’est ce qu’elles font, elles ajustent leur tir, le temps de laisser passer la vague. Et vous, c’est comme si c’était deux choses différentes. Vous êtes certaine d’avoir joui ?
Je pensais connaître assez bien mon corps, mais je ne savais quoi répondre. Elle ôta l’épingle de haut de ma vulve puis détacha les sangles qui maintenaient le pelvis. La sonde vaginale détrempée quitta lentement mon écrin me noyant dans un instant terriblement humiliant.
— Je retire ce que j’ai dit, c’est presque sûr que vous avez joui ! Vous portez bien votre nom ! Désolée… Je cause, je cause, c’est pour évacuer ! Là, je suis trop ! Trop comment dire ! Trop excitée !
Elle détacha les électrodes, et je pus alors sortir mes bras de l’armature et toucher terre. Héloïse me tendit une lingette parfumée. En évitant de croiser le regard du colonel, j’épongeai mon entrejambe, puis avant que je pusse saisir ma culotte, la recruteuse m’arrêta :
— J’ai besoin d’un scan de mensurations.
— Mettez les pieds sur les marques et les bras en T, indiqua Héloïse. C’est pour la fabrication de la tenue de pilote. Il faut les mensurations du buste et des jambes.
Cela voulait-il dire que j’avais réussi ? Mes pieds se placèrent sur les marques jaunes, à largeur d’épaule et mes bras se tendirent horizontalement. Héloïse alluma un drone qui tourna pendant dix secondes autour de moi.
— Voilà, vous pouvez vous habiller, je crois ?
Héloïse interrogea le colonel du regard qui opina avec un sourire, et se dirigea vers son bureau. Mes mains se saisirent sans tarder des vêtements, tandis que la gynécienne nettoyait la sellerie souillée. Une fois habillée, bien dans ma peau, Héloïse me regarda avec compassion :
— Ça a été ?
J’opinai du menton. Je ne savais pas vraiment où me mettre alors que je réalisais qu’elle avait assisté à tout, qu’elle m’avait vue et entendue dans mon intimité la plus totale. Je retournai vers le bureau et me présentai au garde à vous devant le bureau d’Orinta Paksas.
— Asseyez-vous. — J’obéis. — Toujours envie de devenir pilote ?
J’opinai deux fois du menton, ce qui la fit sourire.
— Vous m’avez impressionnée. Malgré votre stress, votre gêne, vous avez réussi à un très beau tir, en un temps record. Je ne suis pas certaine, si vous prenez autant de risque dans la réalité, que ça se passe aussi bien. Toutefois, j’ai apprécié ce que j’ai vu… je parle de la stratégie. Je vous fais parvenir votre contrat dans l’heure qui vient. Vous recevrez la date à laquelle vous devrez vous présenter au premier RAM. Vous y suivrez une formation de quatre mois avec d’autres recrues. Vous devrez vous épiler intégralement le pubis. Avez-vous besoin d’une réquisition pour quitter votre employeur ?
— Non, mon colonel.
— Carlier va faire ses gammes en préparant une moitié des nouvelles recrues au premier RAM. Je l’affecterai à votre groupe. Elle préparera votre ESAO et fera votre suivi clinique. Est-ce que vous avez des questions ?
— Non mon colonel.
— Bienvenue parmi nous.
J’esquissai un merci d’une voix étouffée en me levant. Héloïse me salua depuis l’encadrement de la porte, et je quittai le bureau. J’attendis l’ascenseur, un peu groggy par cette expérience, et un peu frustrée de l’énergie que je n’avais pas déployée une seconde fois. Je peinais à réaliser ce qui venait de m’arriver, et mon excitation redescendait tout doucement. Je m’engouffrai dans la cabine, rassurée que ma future gynécienne fût Héloïse. Elle était stressée mais très gentille. Quant à la simulation, putain que c’était génial !
Je portai mes mains à mon visage en souriant. Oh oui ! C’était vraiment ce que je voulais vivre comme carrière !
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