52. Stratégies
Deuxième jour, les Carcajous faisaient plus ample connaissance au mess avec Mercedes et Kylie. Cette dernière racontait qu’elle était devenue pilote par manque de convictions. C’était la solution la plus aisée pour avoir de l’argent, un toit et une mutuelle. La mutuelle santé de l’Empire Américain s’obtenait soit avec une cotisation que seuls les plus riches pouvaient s’offrir, soit à un prix décent sous réserve de justifier au moins cinq années dans l’armée impériale. Ils composaient rarement des unités avec des spécialistes issus de différents régiments. Les pilotes d’ESAO restaient entre eux, et si leur efficacité à la guerre était appréciée, tous s’accordaient à penser qu’il y avait d’autres solutions que les ESAO, que leur utilisation avilissait les femmes, voire que c’était contre-nature. Il valait mieux être pilote en Europe.
Mourat se leva de table et me fit signe de le suivre. Je laissai l’Américaine dépeindre son pays et je suivis le colosse à travers l’étroite coursive, jusqu’au bureau que partageaient les deux officiers supérieurs. Le lieutenant Conti nous y attendait et elle avait affiché sur sa table une photographie aérienne de la base que nous devions attaquer, un point noir au milieu d’un océan turquoise très pâle.
— Major, sergent, voici notre premier objectif. Un bunker de communication qu’il faut conserver. Il faut l’attaquer, et bien afficher notre faible nombre pour attirer leurs renforts. Il faut ensuite occuper le site durant douze heures, le temps pour le Lycaon-Pictus de les prendre à revers.
— À combien de temps peut-on estimer l’arrivée des renforts des Crustacés ? demandai-je.
— La dernière escarmouche sur ce système, donne onze heures et trente minutes. Donc, si nos petits copains répètent le même protocole, nous aurons trente minutes à tenir.
— C’est long, grommela Mourat.
— C’est pour ça qu’il faut que le bunker reste debout. C’est notre seul abri, avec un arsenal sol-air conséquent pour les maintenir à distance, le temps que le Lycaon-Pictus envoie les renforts.
— Est-ce que les Crustacés pourraient vouloir raser leur site pour nous éliminer ? interrogeai-je.
— Non, ils ne supportent pas qu’on occupe leurs sites. Ils veulent toujours les récupérer. Tant qu’on ne s’affiche pas en surnombre, aucun risque, me dit Mourat. Comment on opère ? Les ESAO bombardent le toit ?
— Un bombarde le toit pour créer une brèche et permettre aux Carcajous d’entrer, un bombarde leur vaisseau d’évacuation, un autre conserve de l’énergie pour le soutien, proposa Conti. — Je haussai les épaules d’approbation. — La question demeure la progression. Nous n’avons aucun décor naturel pour nous mettre à couvert, et on ne peut pas compter sur un seul ESAO, exposé en plein désert, pour avoiner les assiégés. Ils vont compter le nombre de tirs, ils sauront qu’il n’y aura qu’un ESAO capable de faire feu.
— Mais ils ne sauront pas lequel, suggéra Mourat.
— On atterrit tous sur le toit, ça les obligera à sortir, suggérai-je.
— On aurait dû envoyer une escadrille avant, dit Mourat. Regarde, il y a trois tourelles anti-aériennes déportées. Celle-ci serait bien un lance-roquettes à fusion. Si on se met tous sur le toit, ils vont nous rôtir au premier essai.
— Ce sont les ESAO, l’escadrille, déclara Conti. Les ESAO se chargeront des défenses déportées. Ils atterriront chacun de leur côté sur la glace pour réaliser un étau et les maintenir occupés de tous les côtés. Il faudra évidemment mettre la priorité sur les roquettes à fusion pour nous permettre d’atterrir.
Elle leva les yeux vers moi à la recherche de mon approbation, alors j’acquiesçai. Elle ajouta :
— Il n’y a pas d’atmosphère, donc pas de son. C’est peut-être plus facile pour rester concentrée sexuel… je veux dire en énergie ?
— Pour moi, oui. Pour Mercedes, je sais que ça l’angoissera davantage. Pour Kylie, je ne connais pas le vécu de ses anciennes missions.
— Il faudra lui demander pour anticiper.
— D’accord.
— Nous passons par le toit, reprit Mourat. On fait le ménage, après nous aurons du temps. Les ESAO pourront se cacher dans le hangar et nous aurons le temps d’installer nos propres batteries anti-aériennes. Une là, et une là. Plus du portatif avec nous à l’intérieur.
— De toute façon, on emmènera tout ce qu’on a, indiqua Conti. Pour commencer, nommons.
Elle plaça les marqueurs Nord, Est, Ouest et Sud sur les façades du bunker, rien qui ne répondait à une logique, sinon celle de pouvoir nous orienter durant l’action. Nous discutâmes plus d’une heure, pour ne rien omettre. Chaque stratégie proposée partait d’une bonne idée, mais toutes présentaient des failles. Chaque scénario mettait en avant notre vulnérabilité. Le paysage étant plat et désert, le bunker devenait une forteresse idéale pour s’y retrancher. La victoire reposait sur des hypothèses impondérables, comme des orgasmes particulièrement longs pour réaliser du multi-ciblage. Si je me connaissais, j’ignorais complètement de quoi seraient capables mes ailières face au danger. Lorsque le débat tourna à des scénarios trop échevelées, Conti arrêta la décision sur une stratégie. Elle nous donna l’ordre d’y réfléchir tout le long du voyage et d’y apporter des améliorations si une idée naissait.
Le soir venu, nous avions présenté notre ébauche à nos subordonnées. Les Carcajous étaient plutôt taiseux. L’idée de cet assaut à terrain découvert était un simple présage de mort. La plupart acceptait l’idée de victoire, mais aucun ne l’imaginait sans sacrifices.
Lorsque Héloïse et moi entrâmes dans le dortoir, tous les Carcajous étaient déjà là, occupés à une activité solitaire sur leur smart-data. Simple écoute de musique, petit jeu vidéo ou lecture, chacun avait sa méthode d’évasion. J’ôtai mes chaussures devant le casier puis baissai mon pantalon. L’Iroquois ne commenta pas la couleur mandarine de ma culotte, ça c’était un signe de morosité. Je restai dos à eux pour troquer le t-shirt pour mon débardeur, puis je grimpai sur la couchette.
Héloïse éteignit l’éclairage au-dessus de notre lit superposé, plongeant la pièce dans la lueur des smart-data. Mon cerveau continuait à imaginer la mission et mon corps lui confiait son impatience de retourner à bord de l’ESAO. J’avais envie de ce combat, comme une cocaïnomane à qui on avait annoncé l’heure de son prochain fix. Mes pensées n’étant pas détournées par une conversation ou une activité, je revisitais la sellerie. La simple évocation du transmetteur dans mon vagin bourdonnait dans mon ventre. Je me remémorais ses protubérances pivotant en moi tandis que le palpeur s’attardait timidement sur mon rubis.
Les lumières s’éteignirent au fur et à mesure tandis que la fièvre du désir m’empêchait de fermer les yeux. Je me tournai sur le côté gauche, puis droit, cherchai une respiration méditative en revenant sur le dos. Je ne pensais qu’à mon ESAO. Sur le ventre je me forçai à penser à la mission, à ses dangers, à imaginer ce désert d’azote gelé qu’on nous avait décrit. L’effet était tout aussi pervers. Ma main se perdit malgré moi sur ma culotte à une évocation de la bague clitoridienne. Je me remis sur le dos et glissai mon sous-vêtement à mes chevilles, en le gardant au cas où il me fallût le remonter en urgence.
Les autres aussi bougeaient d’anxiété dans leur lit. Mes mains remontèrent sous mon débardeur et massèrent ma poitrine. Je fermai les yeux, faisant le vœu de faire durer l’instant. Je laissai mes mains me parcourir, leur refusant l’accès à mon pubis, juste pour faire monter la température. Puis lorsque l’appel fut plus fort que moi, je laissai l’une d’elle glisser sur ma fente. Mon ventre se resserra, alors je simulai ma sellerie. Ma seconde main passa près de la première et y enfonça son majeur. Je serrai les dents pour ne pas échapper un couinement, puis l’index s’invita à son tour. Alors je m’évadais sur le théâtre des opérations, je butais du Crustacé à coups de tronçonneuses, ouvrais le feu, admirais la charpie de leurs corps. Je n’eus pas le temps de savourer le jeu de mes doigts que tous mes muscles se contractèrent. Je pinçai les lèvres, me retins de respirer et laissai la vague m’emporter. Dans mon songe, mon tir éventrait une vague de vaisseaux Défonceurs.
Je me tournai sur le ventre, le visage enfoui dans l’oreiller pour reprendre mon souffle lentement. Mais je ne remontai pas ma culotte, ma fièvre inassouvie par cet orgasme trop rapide. J’en voulais un second, plus long, plus profond, quitte à ce que je ne dormisse que quelques heures.
Etais-je folle d’envisager le combat de demain par son aspect plaisir ? Je n’en savais rien. Mes doigts humides reprirent leur danse et balayèrent toutes mes questions. Je caressai mon anus d’une main, mon rubis de l’autre. J’étais prête pour un nouveau combat. Pour la première fois de ma vie, j’enfonçai mon index dans mon rectum. Mes deux autres doigts baignèrent à nouveau dans mon vagin. La taie d’oreiller écrasée entre mes dents, je m’évadai vers la seconde partie de mission.
Annotations