55. Feu céleste
L’heure passa lentement, rythmée par les conversations radios des Carcajous qui installaient les défenses antiaériennes mobiles. Les soixante minutes de repos passées, je me remis en mobilité pour dégourdir mes muscles et ressentir l’exosquelette autour et en moi. Ça suffisait à me mettre légèrement en chauffe, sans avoir à lutter contre l’envie impérieuse d’un orgasme. J’avais juste besoin de me sentir bien.
Les heures défilèrent, le soleil semblait tourner autour de nous, il perdait un peu d’altitude, dorant la glace lisse et lustrée. Alors que j’observais le ciel incolore, Mercedes ouvrit un canal privé.
— Tu penses à quoi ?
— Que ça manque de cratères.
— C’est vrai que la Lune, c’était déjà sinistre, là, il n’y a rien. Au moins, y a de la couleur.
— Non, mais pour un planétoïde sans atmosphère, c’est curieux qu’il n’y ait aucun impact. Peut-être que Cendrillon II attire tous les voyageurs orbitaux vers elle. Peut-être que la glace se reforme autour.
— T’arrives à être excitée avec toutes ces questions en tête ?
— Ouais. Tu penses à quoi ?
— À une danse collée-serrée sous les douches avec une fille.
N’ayant pas envie de savoir qui était cette fille, je marmonnai une affirmation. Elle resta pensive et l’Anglais demanda sur le canal général :
— Excusez-moi, Major, mais j’ai envie de chier. Je peux retourner à bord ?
— Je devrais peut-être te mettre un gode dans le cul, comme les pilotes d’ESAO, répondit Mourat, ça ferait bouchon.
— Je suis désolé, ça urge.
— Vas-y, dépêche-toi.
Nous observâmes le soldat courir jusqu’à s’abriter dans le transporteur. Mourat entra dans le garage et demanda :
— Ça va, les filles ?
— Affirmatif, répondirent Kylie et Mercedes.
— On garde la minette humide, ajoutai-je.
— Très bien, très bien. Le plateau de fruit de mer ne devrait plus tarder.
Il s’éloigna par l’extérieur.
Nous dûmes attendre encore une heure. La voix de Conti nous hurla soudainement dans les oreilles.
— Nous sommes attaqués ! Escorteur en approche !
Dans le ciel, les flashs lumineux dessinèrent la bataille entre le Caracal-Caracal et un vaisseau tueur de gros navire, armé de deux immenses canons rotatifs à l’avant. Un Carcajou préposé à la défense anti-aérienne dit :
— J’ai un deuxième vaisseau sur le radar. C’est un Nid-de-Guêpe.
Les Nids-de-Guêpes étaient des immenses navires porte-escadrille.
— TBK1 ! appela Mourat. Nid-de-Guêpe sur vous !
— Huit chasseurs Moustiques ont décollé, indiqua le Carcajou au radar.
— Essaie d’en cibler un, ordonna Mourat, il faut les disperser. Sinon, le Carcacal-Caracal n’a aucune chance.
— Cible acquise.
— Feu !
Le Missile sol-air fila à toute vitesse, enflammant la couche de phosphore présente sur la glace. Le tapis magenta étiola autour du poste de tir. Le missile explosa à dix mètres de la cible.
— Il l’a intercepté.
— Nous aussi, grogna Mourat. Préparez-vous à combattre.
Deux chasseurs plongeaient vers le bunker. L’artilleur lança le second missile. Le projectile explosa à un mètre de la cible qui partit en vrille. L’onde magnétique avait paralysé ses commandes. Mourat lâcha un rire satisfait et le second chasseur lâcha une première torpille à fusion. Les murs tremblèrent autour de nous, puis se fissurèrent. Tandis que son acolyte s’écrasait, il nous survola sans un bruit à une centaine de mètres.
— Y a un ESAO prêt à tirer ?
— Moi, indiquai-je.
Je sortis du garage et tournai la tête vers l’ennemi. Le palpeur sur mon clitoris, le transmetteur régulier. Je déclenchai un petit mais agréable orgasme. Mon tir rattrapa le vaisseau qui fit une embardée.
— L’aile est touchée ! se réjouit Mourat. Feu.
Le troisième missile fila à côté de mon épaule et rattrapa le Moustique qui vola en éclat. Dans le ciel, la bataille faisait rage, et nous apercevions les explosions sur la coque du Caracal-Caracal. Le lieutenant hurla :
— TBK1 à Carcajous ! Nous évacuons vers votre position !
— Major ! Je détecte des capsules de sauvetage.
— Putain, ça va être un carnage. Les ESAO, vous vous chargez d’aller récupérer les canots et de les traîner jusqu’ici. Je veux qu’on récupère le plus de monde vivant. Il reste combien de chasseurs ?
— Six !
— Tenez-vous prêt, ça va secouer ! Saïp, bazooka sur la brèche créée par les ESAO. On va les chopper en tir croisé. Coordonnez vos tirs. L’Iroquois, dégage le transporteur. S’ils le détruisent, on est fichu.
Le dire fut vain. La première salve, deux chasseurs ennemis combinèrent leurs tirs vers le transporteur. L’Iroquois n’avait pas encore fait deux pas en dehors du bunker qu’il explosa. J’observai les hologrammes indiquant l’emplacement des capsules. Celle d’Héloïse était éloignée. J’ordonnai à Mercedes :
— TBK17, priorité sur le lieutenant. TBK16, priorité sur le médecin d’équipage. Je m’occupe d’Hello.
Nous partîmes en courant chacune de notre côté sur la glace lisse. Mes griffes s’ancraient à chacune de mes élancées à quatre pattes. Les tirs illuminèrent le ciel, mais enfermée dans le silence du vide, je n’y prêtais pas attention. Seules les vibrations du sol lors d’un crash d’un Moustique me rappelèrent que j’étais au combat.
— TBK16, je ramène le médic.
Je m’arrêtai à la capsule en forme de gélule d’Héloïse, les bras anti-gravités avaient été cassé à l’impact. La tablette serrée contre la poitrine, elle sourit en me voyant par l’étroit hublot et réussit à plaisanter :
— C’est gentil de venir me chercher.
Je plantai mes griffes dans les échelons menant à la porte, puis je la tractai sur la glace. Je sentais le poids dans le ralentissement de mes vérins. Mon corps, continuait à ressentir le désir qui glissait, humide à l’intérieur de mes cuisses. Mercedes lâcha un tir depuis l’opposée de ma position, abattant un chasseur.
— Bien joué ! s’exclama Mourat. Décompte !
— Quatre chasseurs !
Le tir de Kylie suivit, mais sa cible vira trop vite. Un missile sol-air et une roquette tentèrent de l’intercepter, mais les leurres les en empêchèrent.
— Batterie sol-air vide ! s’affola un gars.
— Putain, leur technologie s’adapte trop vite, marmonna Saïp.
La carapace d’un Moustique étincela, il tangua et rasa le sol, enflammant le phosphore en panaches roses. Puis un missile le fit exploser. La boule de fumée noire recouvrit les panaches roses. En levant le nez vers les hologrammes qui apparaissaient, je vis fondre sur eux une escadrille de chasseurs humains. Nous étions maintenant en surnombre.
Ce regain d’énergie me donna envie d’un nouveau tir, et j’électrifiai ma poitrine pour le provoquer. Je gémis de volupté et mon rayon abattit, un nouveau chasseur. Les deux derniers furent pris en chasse tandis que dans le ciel, les torpilles du Lycaon-Pictus coulaient l’Escorteur.
L’escadron humain se scinda, abattit les deux chasseurs pour remonta vers le porte-escadrille.
— Lycaon-Pictus à Caracal-Caracal. Nos gonzesses se chargent du Nid-de-Guêpe. Je vous envoie des transporteurs pour vous rapatrier à bord.
Je lâchai la capsule, regardai par le hublot et dis à Héloïse :
— Je vais chercher les autres capsules.
— OK. Tout va bien pour moi.
Je m’éloignai en sentant le désir me quitter pour faire place à ma plus grande inquiétude à ce jour. Comment allais-je faire pour ne pas croiser mon père à bord ? Comment allais-je supporter sa déception de me découvrir pilote ? J’en frémissais. Je parvenais tout juste à ressentir assez mon exosquelette pour le mouvoir. Je savais que je n’aurais pu ni tirer, ni faire de mouvement brusque. Je m’accrochais au besoin de sauver le plus de monde. Certaines capsules avaient été abattues. À l’intérieur, il n’en restait qu’un visage gelé, partiellement éclaté. Des gens de l’équipage, des gens que je connaissais peu.
Tout en imaginant ma rencontre avec mon père, j’écoutais. Un Carcajou était mort dans l’assaut des chasseurs. Malgré ça, le peu de victime faisait dire à Saïp :
— On va pouvoir nous appeler les Carcajous Bénis.
— Ouais, je croyais que c’était cuit pour nous, acquiesça l’Iroquois.
— C’est depuis qu’on a le sergent Congelo, ajouta Muller. C’est un vrai porte-bonheur.
— Salut, les Carcajous, fit la voix de mon père. Je prends en transport les capsules en priorité.
Trois transporteurs s’approchèrent. L’un d’eux déposa un module de transport de passagers. Les autres commencèrent à accrocher les capsules dans leurs pinces.
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