60. Grand assaut
Nous étions enfin en orbite de la planète des Crustacés. Tout le monde était nerveux depuis quelques heures. Il fallait y aller.
Mon père me serra contre lui.
— Fais attention à toi, ma chérie.
— Toi aussi, Papa.
Il m’embrassa sur le front, puis s’enfuit en trottant, sans se retourner. Je passai la porte du vestiaire, où mes camarades étaient déjà nues. Face à mon casier, je m’empressai de les rattraper. Mon cœur ne pensait qu’à mon père et pourtant mon corps se réchauffait déjà à l’idée de retourner à bord, comme un réflexe mécanique.
Sitôt en tenue, nous longeâmes le couloir jusqu’à nos exosquelettes. Les selles étaient ouvertes et brillantes de lubrifiant. Kylie s’assit sans attendre une aide, alors je l’imitai. Insertion anale, vaginale, verrouillage du carter. Héloïse accourut vers moi pour me placer mes lentilles. Ses grands yeux me supplièrent :
— Je suis désolée.
— T’as pas être désolée, je sais que t’es trop émotive et moi pas assez.
— Les hormones, une vraie saloperie, sourit-elle.
— Tu restes ma meilleure pote.
— Toi aussi, t’es ma pote. T’es ma sœur, t’es ma pilote numéro un. Et je t’aime, même si on ne se roule pas des patins. Je veux juste que tu reviennes en vie et je te ferai un truc qui te fera oublier l’expérience ODIM.
— Quand tu parles comme ça, là, ça m’excite. Je ferai tout pour venir.
— Ramène-moi du guacamole de Crustacés pour l’apéro.
— Promis.
Je fermai les arceaux sur ma poitrine, puis me hissai à bord. Le blindage se referma autour de moi. Ça y était, j’étais en tenue de combat. Les panneaux s’écartèrent, et nous avançâmes vers le monte-charge. Les mouvements de mon Furet étaient fluides et légers. La réconciliation expresse avec Héloïse m’ôtait des entraves émotionnelles. Sur le pont d’envol, les chasseurs attendaient les uns derrière les autres. Les flashs lumineux annoncèrent la dépressurisation, les techniciens fuirent vers les écoutilles. La voix d’Héloïse nous ordonna :
— Les ESAO restent en retrait. J’ouvre trois canaux de communications, un pour le groupe TBK, un pour une communication avec les Lionnes, et évidemment, le général.
J’acceptai les entrées de communication. Les hologrammes d’identification des chasseurs et des Lionnes s’affichèrent devant mes yeux. Au loin, la grande porte s’ouvrait sur la planète verte. Mercedes frémit :
— Pour une seconde mission, c’est une seconde mission.
Le premier chasseur se propulsa à toute vitesse, le second suivi. Nous vîmes passer ainsi les six membres d’escadrille.
— ESAO, allez-y, ordonna une voix d’homme.
Nous nous élançâmes en courant, puis nous propulsâmes dans le vide spatial.
— Cool, commenta une Lionne, on va attaquer de jour.
— Ici commandement, une escadrille ennemie a décollé de la planète. Interception dans cinq minutes. Sept appareils à abattre.
Je passai délicatement le palpeur à fleur de clitoris pour faire grimper le désir, et mettre de côté le stress.
— ESAO, conservez l’allure, ordonna à nouveau le commandement. On s’occupe du dogfight.
Les cinq minutes passèrent en un éclair. Les premiers tirs formèrent des flashs à peine visibles dans le halo de la couche d’ozone. Depuis notre position, nous ne voyions que des identifications holographiques vertes et rouges qui tournoyaient en se cherchant les unes les autres. La stratégie humaine prit rapidement le dessus. Les chasseurs ennemis retournaient vers l’atmosphère dans des gerbes de flammes. Le commandement surenchérit :
— Condor 5 et 6, désengagez et escortez les ESAO.
Les deux chasseurs se détachèrent de leur groupe. Nous pénétrâmes l’atmosphère à notre tour. Ils se positionnèrent sur nos flancs. Nous avions chacune une zone d’atterrissage imposée pour prendre l’ennemi en étau. Leur immense complexe pyramidal, de plus d’un kilomètre de haut, émergeait au milieu d’une jungle verdoyante et fournie. Les chasseurs nous dépassèrent et ouvrirent le feu. La riposte fut immédiate. Tandis que les tirs sol-air s’occupaient des deux vaisseaux, nous déployions nos arcs paragravités pour nous orienter chacune sur notre trajectoire stratégique. Kylie, Mercedes et moi nous éloignâmes des Lionnes. Notre canal de communication inter-ESAO s’ouvrit à douze autres exosquelettes. C’était agréable de se sentir nombreuses. Je reconnus le matricule de Rita.
— Salut les filles ! s’exclamèrent les Lionnes ! Prête pour une partie de chasse !
— Je vais fumer le record de Homard thermidor ! s’exclama Rita.
Portée sur ma trajectoire, je fendis les feuillages épais en forme de cœurs puis plongeai sur la première clairière. Aussitôt, la végétation noueuse et gigantesque me cacha tout du champ de bataille. Seuls les hologrammes me permettaient de positionner mes camarades. Le commandant ordonna :
— ESAO ! Avancez sur vos objectifs !
— TBK17, ton rythme cardiaque est super haut, s’inquiéta Héloïse.
— Ça va aller, répondit Mercedes essoufflée.
Les premiers Homards virent à notre rencontre. Je m’abritai derrière un arbre et ripostai avec les munitions balistiques. Je ne voulais pas gâcher des cartouches. Les échanges durèrent quinze secondes et lorsqu’il ne me sembla pas voir de projectile dangereux, je demandai à mou groupe :
— Quelqu’un voit des lance-missiles ou gros calibre ?
— Négatif, répondit Kylie.
— Alors on fonce !
Je roulai hors de ma cachette, bondit à quatre pattes en déployant mes lames de tronçonneuses. Je fendis les groupes en deux. Je décapitai, agrippai, démembrai. Dans des petits hurlements stridents, ils reculaient en essayant de m’aligner avec leurs fusils. Je poursuivais ceux qui tournaient les dos pour s’enfuir, bondissais ensuite de manière à les aligner pour qu’ils se gênassent les uns les autres. Dès qu’ils se concentraient sur moi, Mercedes arrivait et les broyait d’une frappe entre ses mains. Leurs cris de panique et de douleur me faisaient littéralement mouiller. Peut-être étais-je folle, mais à cet instant, j’étais à épanouie. Mon cœur battait à mille à l’heure. Leur groupe une fois dispersés nous nous élançâmes en direction de notre objectif, détruisant tous ceux se trouvant sur le chemin. Je parvins à la paroi d’énergie qui enveloppait le site, que les impacts de tirs de l’aviation faisaient vibrer. J’ordonnai à Mercedes :
— TBK12 à TBK17, couvre-nous. TBK16. Moins d’une minute, c’est possible ?
— Affirmatif.
J’étais tellement excitée que j’avais besoin de peu pour être synchronisée à son orgasme. J’attendis Kylie qui m’avertit :
— Quinze secondes.
Je laissai le palpeur libre sur mon clitoris, repensant à l’expérience ODIM. La gorgée serrée, je me retins de jouir.
— J’y suis, gémis-je.
— Moi aussi.
Elle lâcha un cri, et son Faucon cracha son rai. Je criai de plaisir sans pudeur pour les équipières. Nos rayons conjugués surchargèrent le champ de force ennemi. Ils se dessinait d’invisible en passant par le violet translucide. Il s’affaiblit. Mercedes ouvrit une salve de tir balistique pour nous soutenir, puis il lâcha. J’ordonnai :
— On fonce en ligne ! Je prends face et gauche, déclarai-je. TBK16, prends le flanc droit.
Elles se placèrent les unes les autres derrière moi et nous commençâmes la progression à allure soutenu. Le Bras de Kylie par-dessus mon épaule, Mercedes fermant la marche. La radio nous indiquait de plus en plus de brèches dans les murailles d’énergies. Tous les ESAO progressaient désormais à l’intérieur des lignes ennemies. J’étais en nage, l’esprit aux aguets, mais le corps détendu par le premier orgasme. J’avais la même assurance qu’après deux verres d’alcool. Chaque fois qu’un Homards montrait sa tête, nous ouvrions le feu. Cela se passait super bien, alors que nos camarades, elles, commençaient à rencontrer une résistance plus féroce. Nous avions de la chance.
Un blindé léger fendit les feuillages sur notre droite. Je lançai mon premier missile. Le char explosa dans une magnifique gerbe de flammes. Kylie mitrailla les survivants. Nous continuâmes en colonne serrée.
Nous parvînmes jusqu’au premier générateur du bouclier autour duquel les Crevettes s’activaient pour le relancer. Nos balles les fauchèrent.
— Voilà, qui veut de la crevette grillée ? lâcha Kylie.
— Clarine ! m’interpella Mercedes. Ne gâche pas un missile
Son rhino fonça droit sur l’antenne et la fit plier légèrement. Elle s’accroupit, l’enveloppa de ses bras, et força un grand coup pour l’arracher de sa base.
— Générateur 1 coupé, TBK12 terminé.
— Tenez la position. Déploiement des troupes au sol, ajouta Conti. TBK1, terminé.
J’envoyai mon drone en reconnaissance. Nos bombardiers arrosaient la zone immédiate de la pyramide. Le sol vibrait, la végétation s’enflammait, le ciel bleu s’assombrissait de fumées noires. Les transporteurs de troupes nous survolèrent cinq minutes plus tard, déployant les hommes de terrain. J’identifiai mon père aux commandes de l’un deux. Les Carcajous nous rejoignirent à l’antenne. Mourat annonça :
— On avance en groupe.
Nous restâmes groupés de part et d’autre de notre petite unité. Mon drone repéra un Tourteau. J’annonçai :
— Un Tourteau. TBK17 tu te sens prête ?
— Négatif, me répondit Mercedes.
— Qu’est-ce qui te manque ?
— Pas grand-chose.
— Pense à Kylie, pense à sa bouche, à ses seins. La nuit est chaude, vos jambes sont entremêlées, sa peau glisse contre la tienne et vous faites l’amour depuis déjà une heure. Tu n’en reviens pas de son parfum, ses cheveux longs qui collent sur son visage, ses yeux à demi-fermés de plaisir. Sa bouche entrouverte peine à respirer, elle…
Le tir de Mercedes surprit au moment même où le tourteau approchait. Long, puissant, interminable. Saïp dit sans s’arrêter de courir :
— Putain ! C’est la première fois que j’ai la trique au combat !
— On reste concentré, grogna Mourat.
Nous arrivions aux abords du pyramide, forteresse gigantesque, envahie par la fumée des arbres noirs qui brûlaient. La bataille d’intensifiait. Les troupes des Crustacés s’organisaient pour défendre leur bastion malgré nos troupes qui les encerclaient. Nous tirions, dès que le danger s’amenait. Les hommes restaient cachés derrière les ailes du Fauchon de Kylie. M’abritant derrière les colonnes sculptées les plus massives, j’envoyais mes missiles, chaque fois que l’ennemi était groupé. Pour le moment notre formation serrée maintenait en vie nos camarades. En revanche, chez les Lionnes j’avais déjà noté nombreux matricules de fantassins immobiles. L’Anglais commençait à s’affoler.
— Putain, ils sont combien là-dedans !
Mon drone repéra un secteur moins fourni en Crustacés.
— Ici TBK12, je suggère une percée, si on en bute assez, on peut grimper sur l’esplanade et les prendre à revers.
Conti ne voyait pas où je voulais en venir, mais elle devinait qu’on allait au massacre si on ne changeait pas de stratégie. Elle ordonna :
— Tentez-le !
— On suit le sergent Congelo ! ordonna Mourat.
— TBK16 et 17, feu de couverture ! ordonnai-je. Carcajous, quart de tour droite !
Ils me suivirent tandis que les deux filles ouvraient le feu avec tous leurs canons balistiques. J’armai un de mes missiles et l’envoyai vers les troupes qui gardaient le secteur que je voulais prendre.
Soudain, la communication avec mon drone fut coupée.
— J’ai perdu mon drone, TBK12, terminé.
— Reçu, TBK11, terminé, répondit Héloïse.
— On reste sur ta stratégie, insista Conti
Nous arrivâmes face à l’ennemi. Les Carcajous restèrent abrités derrière mes jambes et ouvrirent le feu. J’envoyai un missile. Des Homards artilleurs pivotèrent des batteries de missiles à fusion dans notre direction. Je plongeai pour m’abriter. L’Anglais resta debout. Les tirs ennemis le déchiquetèrent. Le missile à fusion embrasa les restes calcinés des arbres. Un Tourteau dévala sur l’esplanade. Kylie et Mercedes n’avaient plus une once d’excitation, il me fallait une réponse rapide. J’électrifiai mon clitoris en ordonnant :
— Kylie ! Attire son attention ! Moins de deux minutes !
Kylie plongea sur un groupe de Homards, les décapita avec son aile. Mercedes se plaça en barrière pour protéger les Carcajous. Saïp déploya un bazooka. Sa roquette manqua le tourteau. L’électrisation s’intensifia. Le ressenti et le souvenir de l’expérience ODIM me firent un effet bœuf. Les muscles se contractèrent en avance, comme s’ils se souvenaient. L’effet était délicieux, alors je le conjuguai avec une électrisation de la poitrine. L’orgasme, fut instantané. Je grillai le tourteau.
Un immense Crustacé, surgit, avec des bras en faucilles, plus massif qu’un Tourtea. Saïp n’eut pas le temps d’armer le bazooka, il fut tranché en deux, son corps vola.
— Putain, c’est quoi ça ! hurla Conti.
La créature fonça sur moi à une vitesse fulgurante. J’ouvris le feu, mes balles ne firent que caresser sa cuirasse. Plus de missile. Ses bras vifs et affutés me tranchèrent les deux bras et les jambes en trois mouvements. Je tombai sur le dos.
— ESAO ! Objectif sur ce monstre ! hurla Conti.
— Attirez-le côté sud-ouest ! ordonna une Lionne.
Mercedes le percuta et continua à courir. L’animal se lança à sa poursuite tandis que le reste des Carcajous achevat les Homards. Mourat annonça :
— Ici TBK1, on prend l’esplanade selon le plan de Congelo.
— Bousillez-les ! grogna Héloïse.
Allongée sur le dos, incapable de bouger, je sentais l’air extérieur rentrer par mes jambes. Ne pouvant rien fait d’autre qu’attendre que le combat se finît, je regardais le ciel et le balai des chasseurs. Les Crustacés étaient en nombre et l’issue ne s’annonçait pas si bonne pour les Humains. Allais-je attendre jusqu’à la fin du combat ? Si nous gagnions, je serais sauvée, S’ils gagnaient, ils viendraient me massacrer ? Pire : me torturer comme ils l’avait fait avec Orinta Paksas ? En colère après moi de m’être fait si facilement abattre, je retenais mes larmes de rage. J’aurais dû utiliser mes lames de tronçonneuse, j’aurais dû plonger, j’aurais dû voir que la créature arrivait si vite.
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