Le Loup et le Chaperon Rouge (pt II)

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C’est tellement mystérieux l’amour. Les semaines passent sans que tu n'obtiennes aucune réponse de ma part. Tu es bien plus forte que toutes ces autres pimbêches cassées en quelques jours. Tu persévères. « L’espoir meurt en dernier. »

Tu demeures dans cette pièce, seule avec toi-même, dans l'attente silencieuse. Des images de Matthew, ou peut-être de quelques-uns de tes anciens amis, surgissent dans ton esprit — des visions provocatrices où ils ébranlent portes et murs, déterminés à te libérer.

Oh, Hailey !

Tu te cramponnes à ces illusions avec une ténacité désespérée. Tes journées ne sont rythmées que par le grincement des plateaux passés sous la porte, généralement renvoyés à demi-vides, et le cliquetis des clés actionnant le verrou d'une petite réserve jusqu'alors inaperçu. La drogue brouille souvent ta conscience. J'ai compris, à travers les années, que la substance altère la volonté, rendant la personne plus malléable. Mais toi, défiant la norme, tu te distingues comme l'exception qui dément cette règle insensée. Pour ce qui est de tes besoins naturels, le seau discret au fond de l'espace est amplement suffisant. Mais estime-toi heureuse ma beauté. Je viens te sauver. Le calvaire que tu vis se termine aujourd’hui. Cela ne m’amuse plus.

Lorsque la porte s'ouvre, tu me distingues à peine à travers l'éblouissante lumière que je dirige intentionnellement vers toi. Un petit rappel à l’ordre et tu te recroquevilles instinctivement un peu plus au fond de la pièce. Aucun de nous ne parle ni ne bouge, et finalement, à bout de patience, comme un petit garçon intrépide qui va ouvrir ses cadeaux de Noël, je tire brusquement sur la chaîne qui te retient, provoquant un choc lorsque ta tête heurte la paroi. Ta vivacité semble s'étioler, et tu me regardes sans dire un mot, perdue, déboussolée, une étrangère dans cet endroit oppressant.

Je te dévore du regard sans piper mot, toi la craintive sans plus aucun repère. Tu m’appartiens après toutes ces années. Satisfait comme un bienheureux, je souris, te fixant avec une lueur malsaine dans les yeux :

— Trois mois ici et tu restes rayonnante. Je comprends mieux pourquoi toutes les autres te jalousent, bien qu’elles soient passées à autre chose maintenant.

Tu me fixes perplexe, essayant de mettre un nom sur ma voix familière. Léthargique et amoindrie, tu prends le temps de t'adapter à cette réalité. Les mots restent suspendus, mais tu comprends l'allusion, la menace implicite. Un sous-entendu planant sur les conséquences d'une évasion. Après plus de quatre-vingt-dix jours, tu commences à t'habituer à cet éclat de lumière que j'ai finalement écarté de tes yeux, assez pour ne plus être éblouie, mais pas encore assez pour distinguer mes traits. Je continue sans tenir compte de ton trouble.

— Mais entre nous, il faut vraiment que tu me dises quel est ton secret, parfois que…

D’un geste du pied, j’avance vers toi et tandis que je te dévore du regard, tu te masses à nouveau ta cheville enfin libérée.

— Tu vas me faire le plaisir de nettoyer ta merde. Tu fais tout disparaître, et rapidement. Ta chambre s’apparente à celle d’une femme des cavernes, aussi sombre que puante.

Mon ordre est sans appel, aussi calme qu’agressif. Tu te mures dans un silence comique, toi qui, hier encore, hurlais tes questions idiotes. Je me demande où est passée ta jolie langue percée, et si tu l’as retrouvera un jour. En attendant, tu t’exécutes péniblement, poussant du bout de cette petite éponge tes nombreuses déjections dans un tuyau que tu n’aurais jamais pu découvrir seule. La tête baissée, tu peines à éloigner les mèches de ta chevelure de tes propres déjections ce qui m’amuse d’autant plus. Tu accrois un peu plus chaque fois mon intérêt pour toi, ma protégée. Je ricane en te voyant te démener tout en songeant que les deux seaux auraient dû suffire si tu n’avais pas voulu faire ta princesse. Faisons une pause, tu es suffisamment humiliée pour le moment et tu finiras par comprendre que je n’hésiterais jamais à te remettre à ta place dès qu’il le faudra. Nous allons malgré tout tellement nous amuser, ne t’en fais pas.

— Allez, vient. Une douche s’impose ma jolie.

C’est assurément mystérieux l’Amour. Tu te figes au son de ma voix que tu viens de reconnaître. Tu n’es pas marrante à garder tes réactions pour toi. Je sais ce que tu fais et je t’arrête tout de suite. Rien de tout ce que tu as en tête ne fonctionnera avec moi. Tu prends le temps de digérer cette révélation. Tu es prisonnière depuis trois mois d’une personne avec qui tu aurais pu être intime. Tu m’exècres, moi et mes petits mots d’amour, je le sens. Tu m’en balancerais bien, des « ma jolie » et compagnie pourtant, je reste ton ami, ton seul ami en fait.

Tes pensées, je me les imagine errant sans cesse, glissant vers ceux qui te sont chers en quête de réconfort. Vers Matthew peut-être, qui te hante sous les traits d'un spectre implorant, te rappelant de persévérer, de rester indomptable. Et que dire de Lùca ? Celui-là même qui, dans un élan quasi héroïque, semblait prêt à quitter Charlie. Je t’assure qu'ils sont encore éperdument épris l'un de l'autre, leur amour scintillant davantage que jamais en dépit des mois écoulés. Je m'interroge si, dans tes visions fugaces, tu ne les aurais pas déjà maudits pour leur bonheur immarcescible, pour cette façon odieuse dont elle rayonne, s'épanouit dans une joie qui a l'air de la rendre invulnérable. Ton esprit vagabonde, insaisissable, se posant probablement sur Matthew. Lui, qui de manière inattendue et cruelle, ne t'a pas attendue à la croisée de vos chemins jadis entrelacés. Il sillonne à présent le vaste continent américain, le cœur alourdi de musiques et de rires neufs, parcourant sans toi de nouvelles routes avec son groupe. Pour attiser cette blessure béante que je sais pudiquement camouflée, j'ai collectionné pour toi les interviews, articles de presse et autres babioles célébrant ses pérégrinations, rassure-toi. Tu m’abandonnes, tu t'enfermes dans ton monde. Garde juste en tête que tant que les fils de ton esprit s'entremêleront aux miens, tu resteras, inexorablement, mon jouet. Un pantin dont j'ourdis la libération avec une patience perverse, jusqu'à ce que, à contrecœur ou non, tu admettes ta place à mes côtés.

Tu passes devant moi et je contemple ton petit cul que tu prends grand soin de balancer de droite à gauche, m’allumant un peu plus. Ma fière petite pute qui sous tes airs, est plus que ravie de sa situation. Tu saisis enfin que tu n’aurais pu t’enfuir et que la lumière provenait de cet éclairage. Tu traverses un long couloir, et lorsque tu t'attends à monter un nouvel escalier en spirale, je t'arrête brusquement.

— Ici, dis-je.

Discrètement, je capte chaque nuance de ton allure, l'éclat naturel de ta démarche révélant une noblesse cachée malgré le stress environnant ton ombre se dessine avec une grâce presque royale alors que nous avançons le long du corridor désolé la lueur fantomatique de notre chemin s'estompe, ébranlant les rêves de fuite comme un duo, nous franchissons le silence avant d'atteindre une nouvelle épreuve en spirale, mais je nous immobilise avec un simple mot

ton passage me captive, je remarque le soin que tu mets dans chacun de tes mouvements, suscitant en moi une admiration silencieuse ton apparence extérieure ne reflète pas l'assurance que tu éprouves intérieurement, résignée à embrasser cette réalité en approchant de la source lumineuse, il devient clair que la fuite n'était pas une option le couloir se prolonge et alors que tu anticipes la découverte d'un nouvel escalier sinueux, je t'immobilise d'une instruction claire— stop, j'annonce doucement"tu avances avec une démarche assurée que je ne peux m'empêcher d'observer, m'impressionnant par la confiance que tu dégages dans ton allure, je discerne une fierté cachée, une acceptation silencieuse de ton sort alors que tu progresses, la réalité de notre environnement se révèle dans l'éclairage tamisé, nous suivons un corridor étroit, et juste au moment où tu penses grimper un escalier en colimaçon, je pose ma main sur ton épaule pour te retenir

J’ouvre la porte et tu découvres une petite salle de bain. Prends ton temps. Mille et une questions tournent dans nos têtes, mais aucun ne songe à les énoncer. Toi, de crainte des réponses que je vais être amené à t’offrir. Moi, pour ne pas avoir à t’esquinter tout de suite. J’aime tout comme toi, laisser venir les choses. Rien ne sert de les précipiter, elles arriveront bien assez tôt. Tu vas adorer, je m’en suis assuré, mais dans le cas contraire, et bien, tu t’y feras.

Face au miroir, tu ne te reconnais pas. Une magnifique chevelure blonde aux immenses racines est emmêlée et tes yeux océan, vifs à l’origine, sont désormais ternes et cernés. Tu fais mine de détester le fait que je sois là, à te regarder pendant que tu te dénudes et rentres dans la douche. Pour cette première, un premier lavage censé te décrasser suffira. Mais comme à ton habitude, tu n’en fais qu’à ta tête et tu prolonges ces instants. Tu apprécies grandement la sensation de l’eau chaude qui s’éparpille sur ta peau ainsi que l’odeur des savons. L’odeur désinfectante laisse place à une douce effluve de fraise. Avec regret, tu en sors finalement et revêts ces fringues que je suis allé te chercher. Un sourire s’affiche sur mes lèvres à mesure que tu les reconnais. Ce ne sont pas n’importe quels vêtements non. Ce sont ceux qui se trouvaient quelques semaines plus tôt dans ton armoire. C’est ce qui te reste de tes dernières journées shoppings avec Matthew. Ils portent encore les étiquettes que je t’enlève à l’aide d’une paire de ciseaux que tu admires. J’aime les frissons que te traversent alors que je te caresse délicatement l’arrière de ton cou.

— Par ici, j’ai quelque chose pour toi.

Si nous étions dans un film, le narrateur externe réciterait ces phrases d’une voix morose, façon pièce de théâtre surjouée.

« Le geôlier entraîne sa captive au fond du couloir. Ils montent l’escalier puis tombent sur un autre corridor. La jeune femme s’imagine à raison dans une sorte de labyrinthe. L’homme s’écarte finalement d’elle, après l’avoir maté à nouveau d’une manière des plus perverses et lui demande d’ouvrir la porte qui se trouve face à eux. Hésitante, la jeune Bennet obéit. Surprise ! Elle se laisse tomber au sol, aggravant un peu plus ses diverses blessures. Devant elle, la copie conforme de son ancienne chambre. Identique jusqu’à la photo d’elle et de ses amis posée sur une petite table de chevet en bois, taguée d’écritures. Son carnet ainsi que son appareil photo sont posés sur le lit. Elle reste assise, sans voix. Seules ses larmes, desquelles découle son désespoir, rompent ce silence glacial. Après plusieurs minutes qui semblent durer des heures, chacun jauge l’autre.

— Regarde-moi, insiste ma voix dans l’ombre. Souviens-toi de qui tu es. C'est ta clé vers la liberté. Brise tes chaînes. Donne voix à tes démons, à ton génie créatif. Laisse sortir ta colère contre cette prison invisible. Raconte-moi la poésie qui anime ton âme. Tous ces éléments dont je t'ai dépossédée. Partage ta colère, ton chagrin face à ceux qui t’ont délaissée. Car ils en ont fini avec toi, en réalité. Je les ai libérés de ton souvenir. Confronte-toi à la vérité. Parle-moi. Tu te sentiras apaisée, crois-moi. Accompagne-moi. Laisse-les derrière toi comme ils t'ont laissée. Ils sont soulagés sans toi. Tes lettres persuasives ont suffi pour qu'ils abandonnent.

C’est tellement mystérieux l’Amour. Tu détournes mon regard, bouleversée par une émotion inconnue, que tu n'arrives cependant pas à nommer. Je te scrute attentivement, avec intensité :

— Réponds, ou je devrais recourir à des méthodes plus drastiques, je menace, bien que nous sachions tous les deux que je n'userai pas, pour le moment du moins, de violence physique. Nous sommes engagés dans une partie d'échecs psychologique intense, et l'échec n'est pas une option. Chaque parole non prononcée ajoute encore plus de poids à l'atmosphère déjà lourde entre nous.

Je ressens ton esprit en tumulte, enfermé dans un silence obstiné. Ces fameuses lettres dont tu ne te souviens pas. Celle que tu voulais écrire avant de te rétracter, celles où des mots devenus toxiques pourrissent dans ta poubelle. Et celle que tu as laissée tomber dans la neige, par inadvertance.

— Tu m’apprécieras à nouveau, tu sais, murmuré-je, ajoutant une nuance presque douce à mon ton, un chuchotement qui alourdi encore ton cœur.

Sans me regarder, tu te lèves et explores plus en avant cette chambre, ta nouvelle prison. Je sais que tu as fait volontairement le choix d'oublier son passé, de fuir la réalité, car la souffrance serait insupportable. Cependant, malgré ta résistance, tes souvenirs s'incrustent lentement dans ton présent. En un claquement de doigts, ces quelques mois ont succédé à une éternité.

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