Le souffle des souvenirs (pt II)

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C’est tellement mystérieux l’Amour. Les mois sont passés avec une rapidité monstre et je peux te dire, avec certitude, que tu n’as toujours rien appris. Tu sembles destinée à commettre les mêmes faux pas, encore et encore, alors que les réponses à tes questions sont à portée de main. Tu ne devrais pas t'infliger cela. Tu mérites mieux, non, tu signifies bien plus, que la petite fille aux couettes remontées de deux chouchous immondes, perdue dans le centre commercial, que j'ai aperçue pour la première fois. Tu attises mon exaspération et au fil de tes erreurs, mon envie de t'écraser sous l'ampleur de mon amour pour toi grandit.

Tu sembles perdue sans sa présence à tes côtés, mais ne t'avons-nous pas prévenu tout le long que cet homme était aussi brisé que toi, sinon plus ? Même Aéliana, malgré sa lutte déterminée pour te maintenir à la surface, s'est finalement détournée de toi. Pourtant, même après tout cela, reste l'invité persistant de tes pensées malgré l'absence de tout contact. Le manque de lui sans cesse grandissant t'envahit, transformant chaque détail de ta vie en un rappel de sa présence. Une musique récemment entendue, un film qu'il t'a fait découvrir, tout se transforme en engrenage. Ton rêve de cette nuit était un miroir de tes pensées et sa sensation persistait même une fois éveillée, une sensation d'alerte inconnue, auto-activée sans que je ne puisse en comprendre le mode de fonctionnement. Peut-être pourrais-tu me l’expliquer un jour ? Ce rêve tenace, que tu as fidèlement écrit dans ton journal, ne semble pas vouloir quitter ton esprit :

Une porte en bois s’entrouvre libérant une cascade de ballons rouges qui s'envolent et percent la noirceur de la nuit, faisant place à l'aube. Fatiguée mais persistante, tu franchis la porte. Il est là, tourné dos à toi. Conscient de ta présence, Matty te parle doucement :

— J’aimerais me remémorer nos meilleurs souvenirs.

Il tend la main vers toi et tu la prends sans hésitation, vous transportant tous deux sur un grand parking vide. Quelques voitures y sont garées ça et là, assez éloignées pour ne pas entraver votre intimité. La radio s’allume automatiquement sur ta chaîne préférée, Skyrock. Au lieu de Difool et sa Radio Libre, sont les rappeurs Big Flo et Oli qui, pour une soirée, sont les animateurs invités. À travers le pare-brise de la voiture, vous y voyez des images divertissantes, comme le dénommé Kader, que tu avais déjà vu en tant qu’arbitre dans le jeu débile du « Tu ris, tu perds », s’amusait à faire le con avec une brouette.

— Elle est magique non ? Peu importe ce qu’il fait avec, il ne se casse pas la gueule !

Il ne répond pas, préférant t’observer avec quiétude, un sourire mystérieux sur les lèvres. Vous êtes face à face, le léger mélange de vos souffles étant les seuls sons perceptibles. Vos regards se rencontrent créant une atmosphère électrisante compensée par sa proximité réconfortante. Soudainement il détourne le regard et cache son visage dans ton cou, tandis que tes jambes chancellent et tes yeux se ferment, comme hypnotisés par son parfum. Il semble vouloir dire quelque chose mais il garde le silence, au dernier moment, comme si quelque chose le retenait pour s'abandonner dans le confort de ta voiture. Matty enlève sa ceinture pour s'allonger confortablement et toi, tu prends ta place habituelle sur lui, prête à t’endormir. Ta bouche est à moitié ouverte sur le coin de la sienne, comme sur le point de l’embrasser.

— Tu te souviens de comment c’était au début, entre toi et moi ?

Oh oui ! Tu gardes en mémoire toutes vos ébauches. Tu t’apprêtes à lui dire ces trois mots quand ton cœur revient à la réalité à une vitesse vertigineuse. Tu voudrais te rendormir mais la magie de cette nuit s'est rapidement éclipsée sous le poids de la réalité. Aussi rapidement que tes mains se sont posées sur ce réveil pour l’envoyer valser au loin. La torpeur de ce rêve s'esquive, te laissant deux longues heures pour l'écrire minutieusement dans ton « Carnet aux rêves », qu’il t’avait offert pour déconner, après ta crise à la fête foraine, l’an dernier. En même temps, monter dans un manège avec une barbe à papa, c’était complètement idiot ma puce. Mais cet effet coiffé décoiffé que tu arborais en descendant, c’était juste fabuleux. J’en garde une magnifique photo d’ailleurs. Tu jettes un regard sur ton réveil, toujours à terre, et sursautes alors que ton téléphone se met à sonner. C'est Jesse, le nouveau venu d’Australie qui te questionne sur le pourquoi du comment tu as manqué deux cours alors que tu avais un examen. Tu prends une douche rapide, ramasses quelques affaires et te précipites vers la faculté. Coincée dans ton monde de rêves, tu comptes de nouveau sur Jesse et ses notes pour pouvoir faire le suivi des prochains cours. Ta journée s’achève enfin, après de nombreux obstacles.

C’est tellement mystérieux l’Amour. Si nous nous retrouvons encore sur ce pont métallique en partie rouillé ce soir, à l'observer de loin alors qu'il est en bas, sur les rochers près du petit étang, c’est parce que tu as décidé de rouvrir le dialogue. Une partie de toi désire ardemment qu'il change d’avis, ou bien qu’il t’explique une dernière fois ses raisons. Tu soupires de frustration et, lentement, tu descends pour le rejoindre.

« Let me see the real you Baby, take off all your make-up Undress me to the naked truth Until we’re both uncomplicated ’Cause all the things we wanna do Are so much better when we’re naked »

Matthew t’a vu venir avant même que tu ne sois là, derrière lui. Il te reconnaîtrait même si tu étais perdue au milieu d’une foule. Ton parfum, ta posture, tes soupirs. Tout chez toi le trahit sans effort à qui fait attention. Tu n’as jamais su être discrète et il ne semble pas que cela va changer.

— Si tu as quelque chose à dire, dis-le tout de suite.

— Tu sembles inspiré. Je ne voudrais pas perturber ce moment de calme.

Tu prends une grande inspiration puis tu te lances :

— Au plus tu t’éloignes, au plus tu me manques.

Cela semble plus facile que ce que tu avais imaginé. Tu attends sa réaction, incertaine, ne sachant pas trop s’il faut que tu rajoutes que l’unique chose que tu souhaites par-dessus tout, soit de ne plus t’endormir seule. Tu aurais voulu te blottir à nouveau dans ses bras et de n'en sortir jamais.

— Tu te souviens de comment c’était, au début, entre toi et moi ?

La question te paralyse. C'est exactement la phrase qui revenait sans cesse dans tes rêves. Sauf qu'ici, son regard est plus intense, plus exigeant. Il attend une réponse que tu es incapable de formuler. Tes yeux évitent les siens. Ton estomac se noue, tu te sens mal à l'aise et une envie pressante de fuir te submerge. Alors que tu allais céder à la tentation, il t'arrête en attrapant ta main. L'électricité parcourt ton corps au moindre contact de sa peau. Il est réel, ici avec toi. Tu réalises alors que vous pouvez encore rattraper vos erreurs. Matthew lit la réponse dans le reflet de tes yeux azur. Ils ont cette étincelle qu'il n'aurait jamais cru revoir un jour. Il se place de nouveau devant toi, comme dans ton rêve, enfouissant son visage dans ton cou. Ta nervosité grandit au fur et à mesure que tu te presses contre lui, tes paupières battent doucement avant de se fermer. Par habitude, tu l’enlaces doucement.

— Je t’aime ; murmure-t-il dans le creux de ton oreille.

Ces délicieux mots, bien qu’inattendus, réveillent en toi un torrent d'espoir faisant battre ton cœur à toute allure. Pourtant, lorsqu'il te repousse, tu comprends son regret. Il aurait voulu garder ces mots pour lui. Tu aurais voulu qu'il les garde. Malgré leur douceur apparente, ils peuvent potentiellement détruire le fragile équilibre de votre relation. D’une simple phrase, il recouvre ses esprits et prend alors du recul, comme pour éviter de te blesser davantage, mais la tension est palpable entre vous.

— Plus je cogite et plus je pense que nous deux, le fait qu’on soit ensemble, ce n’est pas juste pour toi. Tu mérites mieux que ça. Tu mérites bien mieux que les restes d'un homme brisé.

Souvent caché derrière de semblables justifications, tu anticipes ces mots mais ils te blessent toujours autant. Malgré la douleur, tu te bats pour vous, essayant désespérément de trouver une solution.

— Raison de plus pour qu’on ait une vraie relation plutôt que cette mascarade !

— Je suis désolé. J'aurais aimé pouvoir te protéger davantage de tout ça.

Bien sûr que tu le sais, et tu ressens au fond de toi que ces quelques mois auprès de lui n’auront pas été vains. Tu as pu découvrir une facette de sa personnalité que très peu connaissent et c’est l’une des raisons qui expliquent pourquoi il te repousse aujourd’hui. Tu auras appris de lui, plus qu’il n’est capable d’offrir. Je me sens impuissant en te voyant dans cet état larmoyant une fois de plus. Et, ta personnalité étant ce qu’elle est, ce ne sera malheureusement pas la dernière fois.

— Ta gueule ! Putain ferme-là ! Arrête de décider pour moi ! Au nom de quoi tu sais ce qui est le mieux pour moi ?

Se rendant compte de ta lutte, de ta douleur qu'il voit dans ton regard larmoyant, il annonce :

— Je ne prétends pas savoir ce qui est le mieux pour toi, c'est hors de propos. Calme-toi.

Il hausse le ton au fur et à mesure que tu lui cognes le torse, espérant un je ne sais quoi qui n’existe pas. Découragée, tu sèches brusquement tes larmes et le fixes avec une étincelle de révolte dans les yeux.

— Excuse-moi. Je ne savais pas que j’avais le choix.

Peut-être que d'autres auraient pu trouver une solution plus facilement, mais aucune relation n'est aussi simple à gérer. J'ai moi-même dû intervenir plusieurs fois, malgré ta réticence. En entendant son discours préparé minutieusement pour te toucher, tu te sens vidée. Ce pauvre type veut absolument t’éloigner. Il est manifestement déterminé à te tenir à distance, mais paradoxalement, même son langage corporel le trahit. Il s’en rend compte, tout comme toi. Excuse-moi ma chérie mais vos promesses dites dans la clarté de vos nuits se sont trop vite et en toute simplicité, envolées. À croire qu’elles n’avaient jamais exister. Tu as cette désagréable impression que tout ce qui sort de sa bouche n’est qu’un tissu de mensonges.

Le crépuscule tombe amenant le vent froid avec lui. L’ambiance amicale de tes songes est bien loin. tu admets tristement que la réalité est à des années-lumière de tes rêves. La sérénité t’enveloppant dans un voile de bienveillance laisse place à une dure et cruelle réalité qui t’emmène dans les pires recoins de ton existence et de celles des autres. Tu te balades dans ces ruelles tordues auxquelles tu n’aurais jamais voulu être confrontée. Dans des eaux si vives et prêtes à t’engloutir mais dans lesquelles tu plongerais indéfiniment malgré le terminus. Jusqu’à ce jour, tu n’avais pas vraiment mesuré la portée de ce que faire sa connaissance impliquait concrètement, et ce, en dépit de nos nombreuses mises en garde.

— J’ai lu récemment que, dans la vie, on n’a pas le temps de regretter d’être con. On a juste quelques occasions pour ne plus l’être. Et toi, tu viens de louper la tienne.

Et, sur tes mots, boucles brunes récupère son instrument de musique ainsi que la veste posée sur tes épaules puis il disparaît dans la nuit noire. Tu restes un moment, frissonnante, vidé de toute énergie, puis tu finis par foutre le camp avant de mourir d’hypothermie.

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