Confession d'un monstre (pt II)

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Sami avait embrassé la carrière d'inspecteur de police en pleine connaissance de cause. Il savait que le mal prenait de multiples visages et que sa mission l'entraînerait souvent dans les méandres les plus sombres de l'âme humaine. Mais la réalité dépassait toujours la théorie : il avait été témoin de violences et de cruautés au fil des ans, et pourtant, chaque nouvelle scène de crime semblait repousser les limites de ce qu'il avait cru possible. Ces abîmes de perversion et de douleur que certains esprits tordus creusaient étaient plus complexes et profonds qu'aucune fiction, aussi perverse soit-elle, n'aurait pu les dépeindre. Sami comprenait maintenant que les profondeurs de l'inhumanité ne cessaient de s'étendre bien au-delà de son imagination policée, chaque nouvel indice se transformant en un rappel glaçant de l'étendue de cette noirceur

Il sillonne les rues, guidé seulement par les lumières de Villebrouch-sur-Mer. L'émission radio tenue par Pep's prend fin, lui rappelant l'heure tardive, il s'engage dès lors sur le chemin du retour. À peine minuit. Sur le trajet jusqu'à son appartement, son esprit ne cesse de revenir à la froideur dans la voix du prisonnier, l’absence de remords. Il se gare devant la bâtisse dans laquelle il vit et reste ainsi pendant un long moment, la main sur la clé du contact. Comme si, soudainement, il redoute le silence de son logement. Il essaie avec difficulté de chasser ces images horribles qui parasitent sa pensée – des images qu'il n'avait même pas vues, que son imagination avait créé, nourrie par l'effroyable récit entendu un peu plus tôt.

Il est accueilli par une notification sur son téléphone. Il s'agit d'un message de Lara. « On en reparle demain, je t'aime. » L'écran le transporte dans le passé, où son imaginaire se met à redessiner ses souvenirs avec Hailey après l'un de ses cours. L'ex-mannequin était présent en tant que modèle. Il se remémore avec nostalgie le jour où ils avaient rencontré Lara, qui donnait à l'époque des cours de photographie. Il se souvient de l'immense studio de 160 m², de la lumière zénithale qui perçait le plafond vitré, du parquet flottant à l'aspect noble et du mur couvert de miroirs. Il y avait aussi ces barres de danse classique fixées à deux hauteurs différentes, et des barres mobiles qui traînaient un peu partout dans la salle. Leur approche peu subtile de Lara et comment elle avait réussi à les percer à jour en s'amusant avec eux à travers les miroirs.

— Tu veux une séance privée ? Avait-elle proposé ?

— Fantastique ! C’est comme un rêve de cinéma, s'était exclamée Hailey, d'un ton à la fois moqueur et admiratif.

— Ferme-la, avait rétorqué Sami.

C'est le cœur empli de joie qu'ils avaient quitté de la salle, riant aux éclats, tous deux bras dessus, bras dessous.

Prenant une profonde respiration, il sort enfin de la voiture, et se traîne jusqu'à sa demeure. Lorsqu'il pénètre dans la maison, l'atmosphère paisible qui y règne contraste avec l'agitation du monde extérieur. Luca referme la porte derrière lui, laissant derrière lui l'effervescence de la journée. Le sol en marbre poli du hall d'entrée semble rassurant sous ses pas, comme s'il le guidait vers un havre de calme. Un lustre suspendu diffuse une lumière douce et chaleureuse, un écrin accueillant pour son retour. Il se défait de son manteau et le pose soigneusement sur le portemanteau, avant de déposer ses clés sur le meuble d'entrée. Son visage trahit la fatigue et le désarroi qui le rongent.

Une tentative futile de noyer ses préoccupations l'attire tel un aimant vers le bar situé dans un coin élégant du salon. Il saisit un verre en cristal taillé, qui l’attend patiemment sur le comptoir du bar, et dévisse le bouchon de sa bouteille de whisky préféré. Le liquide ambré s'écoule dans le verre avec une douceur apaisante, remplissant l'air de son arôme riche et complexe. Il porte le verre à ses lèvres et prend une gorgée, la chaleur du whisky glisse sur sa langue, réchauffant son corps et apaisant son esprit tourmenté. La cheminée crépite doucement à ses côtés, et les baies vitrées laissent filtrer les derniers rayons du soleil, qui projettent des reflets sur le plancher en bois. Sami s'installe dans l'un des fauteuils confortables près de la cheminée. Il contemple les flammes dansantes et, l'espace d'un instant, ses soucis s'éloignent, noyés dans le tourbillon doré de l'ambre liquide. Sa maison est devenue un refuge, un endroit où il peut trouver un moment de répit et de réflexion, même si ce n'est que pour un instant.

Sami, épuisé, mais résolu à ne pas réveiller Lara, sa compagne, s'endort promptement. Dans un songe, il s'engage dans une conversation difficile avec Hailey, son amie disparue. Soudain, la jeune femme analyse les environs, une appréhension grandissante dans son regard. Quand elle disparaît sous une eau glaciale, Sami émerge de son sommeil, son corps recouvert de sueurs froides et le silence lourd de la nuit pesant sur lui. Ses peurs et ses regrets resurgissent pour le tourmenter, le laissant ruminer son échec à protéger ceux qu'il aime. La nuit s'étend devant lui, chargée d'incertitude et de réflexion, tandis que les ombres bougent silencieusement dans la pièce, reflets de son état d'âme tourmenté.

Malgré la fatigue qui pèse sur lui, Sami affronte la nouvelle journée avec courage. Il ne laissera pas le criminel le briser. Il a juré de rendre justice à Mélina Clay et aux autres victimes. Cependant, son courage vacille lorsqu'il s’assoit au volant de sa berline. L’armure du détective jusque-là solide se morcelle, ses larmes roulent librement sur son visage. Tandis qu'il se surprend à porter une attention particulière à une jeune blonde, il réalise qu'il partage beaucoup avec son amie absente ; tous deux font passer les autres avant eux-mêmes. Ils sont à jamais liés par ce principe. Les questions sans réponse continuent de le perturber, le menant à se demander s'ils auraient pu faire les choses différemment.

— Pourquoi Mélina ? Lui demande sans détours Sami, sa voix emplie d'émotions mêlées de colère et de douleur.

Ignorant la question, l'assassin offre un sourire plus large et s'installe avec désinvolture, croisant les bras sur la froide table en métal :

— As-tu bien dormi ? demande-t-il.

— Réponds à ma question ! Rugit Sami, ses poings se serrant involontairement.

— Toi d’abord !

Le plaisir ressenti durant l'agonie apparente sur le visage de son visiteur semble exciter l'homme, surpris par la détermination renouvelée de Sami. Le visiteur presse ses lèvres en une fine ligne. Il sait que la psychologie est la clé pour faire avouer le tueur.

— Non, je n'ai pas dormi, espèce d'enfoiré, révèle-t-il finalement.

Les peines des autres sont pour le tueur une source de jouissance perverse, couvrant son état constant de vide. Il savoure la réponse de Sami.

— Dommage collatéral ? Elle s'est juste adressée à la mauvaise personne. Si Hailey n'avait pas été aussi énervante, je n’aurais pas eu besoin de me défouler sur quelqu’un… Elle n'a jamais su faire de choix, ajoute-t-il d'un ton glacial.

Il poursuit, avec une perversité calculée :

— Je déteste les doubles-jeux.

Sami, bien que profondément dérangé, ne montre aucune émotion. Il reste fort, concentré sur son objectif. Mais le tueur poursuit ses récits sordides avec une obscène délectation, décrivant comment il a tourmenté sa deuxième victime avant de la tuer. Le dégoût envahit Sami, qui sait qu'il doit continuer à écouter.

— Je me souviens de cette nuit-là. Elle criait si fort, tu sais. C'était une mélodie délicieuse.

Sami sent un frisson d'horreur le parcourir, mais il reste déterminé.

— Pourquoi, putain ? Pourquoi tant de souffrance ?

Le tueur sourit, un sourire dénué de toute humanité.

— Parce que c'est comme ça que je me sens vivant. Et comme je sais que tu es venu ici pour comprendre, pour jouer à ce petit jeu avec moi.

Les visites répétées à ce monstre détraqué lui pèsent un peu plus chaque jour. Chaque confession du tueur en série est un voyage au cœur de l'horreur, et Sami sent son propre équilibre émotionnel chanceler. Cependant, sa détermination à découvrir la vérité ne faiblit pas. Il se rapproche enfin de la vérité. Après des semaines d'interrogatoires accablants et déstabilisants, l'infâme assassin annonce soudain :

— Je mets fin à nos entrevues, elles ne servent à rien, annonce-t-il, tranchant dans le vif de leur conversation.

Cette déclaration est comme un coup de poignard pour Sami, tandis qu'il tente de masquer son tumulte intérieur. Sa silhouette se tend, son dos se redresse sous l'effet de la tension, comme une corde de violon soudainement trop serrée. Un tremblement presque imperceptible s'empare de ses mains, alors qu'il joue nerveusement avec le bord de la table, ses doigts serrant le métal avec plus de force qu'il ne l'aurait voulu. Son teint, d'ordinaire si assuré, vire au pâle, tandis que les muscles de sa mâchoire se contractent, dans un effort désespéré pour conserver son calme. Son regard s'élargit, errant entre le tueur et un point fixe au loin, cherchant une issue à cette confrontation inattendue. Sa respiration s'accélère. L'angoisse qui découle de l'idée que son enquête pourrait stagner se mêle sournoisement à la frustration de semaines de travail potentiellement gaspillé, se heurtant à son besoin obstiné de justice pour les victimes. La tension monte.

— Tu ne peux pas faire ça, rétorque-t-il, une lueur implorante dans le regard, sa voix vibrante de tension malgré lui, symbolisant la lutte entre son désir ardent d’obtenir des informations cruciales et la façade dure d'un détective aguerri.

— Tu ne trouveras pas ce que tu cherches tant que tu ne poseras pas les bonnes questions. Et je n'ai plus envie de jouer. Tiens.

Il jette une petite clé sur la table, une clé négociée pour une nouvelle phase de leur jeu sadique. Sami la ramasse et l'observe avec méfiance.

Un jeu de piste commence. Sami sait que cette clé détient les réponses à toute cette énigme. Le tueur se lève, satisfait de la confusion qu'il a semée. L’homme ajoute :

— Ce n'est pas la taille du chien qui compte, mais sa résilience, tu comprends ?

Pourquoi distinguer cette vie de la suivante quand de l'une l'autre renaît ? Le temps manque toujours à ceux qui en auraient besoin, mais pour ceux qui aiment, il est éternel. Sami sort de la salle de visite, tenant la clé avec précaution. La sensation de sa main moite sur le métal froid lui rappelle l'ambiguïté et la dangerosité de ce nouvel indice.

Alors que la soirée se profile, le ciel semble retenir son souffle. Les nuages blancs résistent à l'intrusion de leurs cousins sombres, comme si le moindre trouble pouvait rompre cet équilibre précaire. Une unique goutte d'eau cède à la gravité, annonçant un déluge imminent. Fou de colère, il rejoint Lara au bistro "Au bon truc d'ici", à seulement deux rues de chez eux. Il souhaite esquiver les assauts déferlants de sa mémoire, mais ils le submergent malgré lui.

Épuisé, Sami se confronte à la mine choquée de Lara, qui prend une profonde inspiration avant de dire avec hésitation :

— Ça ne peut plus continuer comme ça, mon amour.

Son agacement s'intensifie quand Xavier, leur bon ami et propriétaire du bar, s'en mêle en déposant leur commande habituelle.

— Pas ici les tourtereaux.

— Tout va bien, mon pote. Merci.

Une vieille amitié lie Xavier et Sami. Autrefois, Xavier dirigeait le Liberty's avec sa sœur Aéliana, et Sami fréquentait l'endroit presque tous les week-ends avec ses amis. Xavier a réussi à ouvrir un autre établissement quelques années plus tard grâce à son grand succès. Laura était sur le point de demander ce qui se passait lorsque Sami l'interrompt en s'essuyant la bouche avant d'admettre :

— J'ai commis une erreur.

— Pardon ?

Il explique le stratagème du criminel qui a accepté de coopérer de manière trop enthousiaste et soupçonne qu'il n'y a rien d'innocent dans ce geste.

— Il nous manipule.

Lara se fige et arrête son verre de vin à mi-chemin. Sami lui raconte leur rencontre, trébuchant parfois sur certains mots sous le poids de ses émotions. Le couple âgé à la table d'à côté les réprimande du regard alors que Sami frappe la table avec son poing. Xavier guette le tout de loin et s'apprête à intervenir une fois de plus lorsqu'il voit Lara s'excuser avec un regard. Elle attrape la main de son partenaire et plonge son regard dans le sien.

— Tu devrais le faire. Ça te bouffe, mon amour. Ne sois pas arrogant et écoute-moi. Si tu ne vas pas au bout de cette histoire, tu ne pourras pas t'en remettre. Ça fait cinq ans maintenant, Sami.

Se sentant désemparé, réalisant combien il était perdu sans elle, il dépose un baiser tendre sur ses lèvres et se lève brusquement de sa chaise pour se diriger vers le bar qu'il contourne et où se trouve sans aucun doute ce qu'il recherche. Il a l'intuition que c'est là qu'il doit se rendre pour trouver ce qu'il cherche, bien que la raison de cette certitude lui échappe. Sami se tient sous le majestueux chêne, éclairé par la douce lumière du clair de lune. Alors qu'il se demande désespérément où chercher, son regard s'arrête sur une petite pierre, différente des autres, juste à côté de ses pieds. Convaincu que cette pierre est un signe, il se baisse pour la prendre en main. Sami essuie d'un geste rapide une larme salée et, suivant son instinct, il commence à creuser avec ses mains nues, sentant la terre froide glisser entre ses doigts. Sa conviction grandit lorsqu'il heurte quelque chose de dur et de métallique, et il creuse avec encore plus de détermination puis exhume un coffre de terre sous le chêne. La chaîne autour de son cou semble rétrécir et la clef qui s'y trouve, le brûlé. D'un geste brusque et sans la regarder, il l'arrache et ouvre le coffre qui révèle un vieux journal. À mesure qu'il fait défiler les pages de ce carnet, il découvre de sombres récits terrifiants, imprégnés d'atrocités inimaginables. Pris de vertige, il referme brusquement le journal et inspire profondément pour tenter de calmer les émotions qui l'assaillent.

De retour à son domicile, posté sur leur balcon, il s’allume un joint. Finalement, en quête de réponses, alors qu'il flotte quelque part entre conscience et inconscience, il parcourt les pages assombries par le temps. Les premières feuilles ne contiennent que des unes de gazette, toutes relatant sa vie, ses crimes. À mesure qu'il s'enfonce dans les recoins sombres du journal macabre, son estomac se serre. La souffrance, le désespoir et le désir de vérité se mêlent en une concoction amère. Chaque battement de son cœur semble le presser davantage. Plusieurs heures s'écoulent, mais pour Sami, ce n'est qu'un clignement d’œil. Son obsession pour le recueil maudit ne connaît aucune limite. Lara reste à ses côtés, sa présence physique réconfortante l'aidant à rester connecté au monde réel lorsqu'il se plonge trop profondément dans le grimoire.

Plusieurs semaines passent ainsi, le couple immergé dans les horreurs de l'histoire, scrutant chaque ligne écrite pour trouver une trace, un indice, une raison à toute cette folie. Parmi les pages couvertes de souffrances partagées, Sami finit par tomber sur une page qui attire particulièrement son attention. Celle-ci détaille les meurtres d'un groupe spécifique de femmes, toutes ressemblant étrangement à son amie disparue. Cela le choque et le tire soudainement de sa torpeur. Il se met à étudier scrupuleusement ces pages, cherchant à comprendre le lien entre ces meurtres et Hailey. Il apprend avoir été trahi par quelqu'un de son propre entourage, mais le nom de cette personne ne figure nulle part. Sami soupçonne qu'il s'agit là de la clé du mystère, le dernier motif de vengeance du tueur. Mais chaque fois qu'il pense s'approcher de la vérité, un nouvel obstacle complexe à résoudre se dresse sur son chemin.

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