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 Nous quittâmes donc l’aire de repos. Une fois engagé dans la circulation de l’Eurasienne, je lui demandai son prénom. Elle répondit qu’elle s’appelait Michelle et me demanda le mien en retour.

 « Philippe, mais vous pouvez m’appeler Phil.

 – Tu peux me tutoyer, Phil. »

 Avec plaisir, m’étais-je dit, satisfait par ce début de rapprochement. Mais je savais que ce n’était qu’un début et que la route qui menait au pieu était encore longue ; peut-être encore plus longue que l’Eurasienne.

 « Bon dieu ! qu’est-ce qu’il fait chaud, dit-elle. »

 En effet, la chaleur était écrasante. La climatisation du camion nous crachait un souffle chaud et les sièges en cuirs nous rôtissaient la peau : on pouvait presque sentir une odeur de bacon grillé flotter dans l’habitacle. Notre vitesse de croisière nous empêchait d’ouvrir les fenêtres.

 Michelle se leva de son siège et, à mon plus grand étonnement, se déshabilla. Je la regardai, scotché sur mon siège. Elle se pencha en avant pour fouiller dans son sac qui était à ses pieds. Mon regard ne pouvait pas se défaire de ses petits seins nus qui s’agitaient à chacun de ses mouvements. Je sentais le contact de sa peau brûlante sous mes doigts comme si je la touchais. Elle était plutôt maigre : elle avait les côtes légèrement saillantes, mais les cuisses et les fesses bien en chairs.

 Un klaxon me ramena sur Terre et je me rendis soudain compte que je déviais dangereusement à droite. Le camion fit une embardée et nous évitâmes de peu le mur en béton armé qui bordait l’autoroute. Michelle éclata de rire.

 « Regarde la route, tu vas nous tuer ! »

 Encore secoué par l’incident, je me risquai à jeter un coup d’œil à Michelle. Le spectacle était terminé : elle avait enfilé un t-shirt blanc bien trop large pour son gabarit. Il n’y avait plus rien d’autre à voir que ses longues jambes qu’elle croisait sur le tableau de bord. Je détournai le regard à contrecœur et tâchai de me concentrer sur la route. La chose fut rendue difficile par tout un tas de pensées obscènes qui me torturaient l’esprit.

 « Dis-moi, quelle est ta religion ? demandai-je, décidé à me changer les idées. T’es quoi au juste ? Une platiste ? Une végane ou peut-être une antivax ? Une adepte de Baphomet, du Nouveau Testament Martien ? Ou alors de l’Église aryenne ?

 – Je suis une sœur du Nouveau Temple, me répondit-elle en allumant une cigarette.

 – Le Nouveau Temple ? Ce n’est pas vous qui construisez une espèce de fusée pour y accueillir deux animaux de chaque espèce ?

 – Non, ça, c’est les archistes. Nous on construit plutôt le Troisième Temple de Jérusalem.

 – Ah ! t’as pourtant pas le physique d’un maçon.

 – Ne sois pas con ! dit-elle en riant. Ce n’est pas un temple physique, mais intérieur. Nous pensons que le temple de Dieu est en chacun de nous. Pour y accéder, nous devons réussir à contrôler notre corps et à nous débarrasser des illusions que sont nos sens. En fait, si on arrivait à contrôler notre manière de concevoir le temps et tout ce que nous ressentons, nous pourrions vivre éternellement dans un rêve merveilleux. C’est ce que nous appelons le Troisième Temple : le temple intérieur. Ce serait une sorte de rêve lucide éternel.

 – Hmm… Et alors ? Les travaux avancent ?

 – Pas tellement. Je dirais même pas du tout ! Le Nouveau Temple existe depuis plus d’un siècle sans donner de résultat. Les adeptes se contentent d’ingérer tout un tas de drogues dans le but de dépasser la limite du temps.

 – Plutôt cool comme religion.

 – Cool si tu aimes passer ton temps dans un caisson d’isolation sensoriel à la recherche de ce foutu Troisième Temple ! Et aussi si tu aimes les perturbateurs érogènes.

 – Qu’est-ce que c’est que ce truc ?

 – Lorsqu’on devient un adepte du Nouveau Temple, on nous injecte un produit chimique qui anesthésie nos zones érogènes. Tous les plaisirs sensoriels sont en fait des leurres jetés par le démon pour nous détourner du Temple. Tous les plaisirs que peut nous offrir ce monde ne sont que les ersatz de ce qui nous attend à l’intérieur du Temple.

 – Mais ça veut dire que… enfin… Tu ne peux pas jouir ?

 – Techniquement, non. Mais certains ont trouvé des moyens pour prendre leur pied malgré tout. »

 Eh merde ! Il fallait que je tombe sur une chatte atrophiée. J’aurais pu prendre en stop une sataniste ; une petite salope prête à donner son corps en sacrifice sur l’autel de la luxure. Mais non ! À la place, je suis tombé sur une religion qui castre ses adeptes chimiquement. Putain de cadeau empoisonné ! m’étais-je dit en essayant de cacher mon amertume.

 Qu’entendait-elle par certains ont trouvé des moyens pour prendre leur pied ? Voulait-elle parler de pratiques sexuelles à la con du genre BDSM et compagnie ? Trop peu pour moi, m’étais-je dit. Ces trucs de déviants sexuels, ce n’était pas ma came. Même si cela me faisait mal de l’admettre, je savais qu’il n’y aurait jamais rien entre elle et moi. La route qui menait au pieu était barrée sans aucune déviation disponible. Il ne me restait plus qu’à rebrousser chemin.

 J’avais pris ma décision : je la larguerais au prochain arrêt. Je lui demanderais d’aller nous chercher quelque chose à bouffer à la supérette pour pouvoir filer en douce. Tant pis pour elle ; elle n’avait qu’à trouver un autre gogol pour la transporter. Et puis d’ailleurs, qu’est-ce ce que foutait une nonne seule sur l’Eurasienne ? Ne devait-elle pas êtres dans son couvent, son temple ou dans je ne sais quel ermitage à la con ? me demandai-je. Je lui posai donc la question.

 « Je me suis enfuie. Je ne supportais plus les interminables sessions de méditation. On passe notre temps à barboter dans un caisson d’isolation sensoriel à la recherche du paradis, mais tout ce qu’on trouve c’est l’ennui ; l’ennui mortel !

 Ras-le-bol des curetons apathiques et des sœurs desséchées. Il faut bien comprendre que certains d’entre eux vont jusqu’à s’amputer de sens comme l’ouïe, le goût ou encore la vue pour être le moins distraits possible dans leur quête. Ils me font parfois penser à des drogués : ils passent leur temps à rechercher le paradis, la défonce finale, le trip divin, mais ils ne trouveront rien. Sur leur lit de mort, ils se rendront compte trop tard qu’ils ont gâché leur vie.

 Moi, je ne vais pas commettre cette erreur. Je veux voir l’Asie, et après, pourquoi pas l’Amérique.

 – Pourquoi les avoir rejoints si leur religion était si pourrie ?

 – Sur le papier, ça avait l’air bien. Enfin, je veux dire, qui ne désirerait pas vivre dans un rêve  éternel où l’imagination est la seule limite ? »

 Moi, la route me suffit ; je n’ai pas besoin de vivre dans un rêve éternel pour être heureux, voulus-je répondre.

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