Escrime
« L’histoire de l’escrime se confond avec celle des Jeux olympiques.
Noblesse, honneur, respect et tradition, en sont les valeurs. »
Quand je passe devant ce trophée, je ressens toujours un pincement au cœur que je préfère cacher.
Il trône dans le bureau de mon époux et, à chaque fois qu'il oublie d'en fermer la porte, mon regard ne peut s'empêcher de le chercher. Sa passion a été le cauchemar de notre couple et une vague de tristesse m'envahi à chaque fois. Puis ma raison prend le dessus. Il ne me l'a pas imposé au salon. Alors je referme son antre et j’essaie d’oublier ces douloureux souvenirs.
...
Nous nous sommes rencontrés dans notre club d’escrime ou, je devrais plutôt dire le sien. Il était initiateur « toutes armes » et je venais découvrir un nouveau sport. J’ai toujours aimé le sport, et les sportifs.
Une rencontre banale, un lien qui se noue au fil des entraînements et des compétitions. Le sport a toujours été un loisir pour moi. Je venais d’entrer dans la vie professionnelle et l’escrime m’a permis d’évacuer le stress subi au travail. Comme tous les nouveaux, J’ai commencé par le fleuret, l'arme d’écolage qui nous apprend la dextérité et les codes de cet art.
Le temps d’un assaut, mon esprit se vidait. Gestes précis, attention soutenue pendant moins de trois minutes, le temps de mettre cinq touches. La pointe de l'arme doit toucher le gilet de l'adversaire, la zone autorisée, avec au moins cinq cent grammes pour valider la touche. Une pression à peine perceptible, le but n'étant pas de couvrir le corps de l'adversaire de marques bleutées. C'est mieux si on veut garder ses partenaires.
...
J’ai aimé le sport, pas les compétitions.
J’ai aimé les sportifs, pas les champions.
Les compétitions n’en finissaient pas. Plus les résultats de mon époux s'amélioraient et plus nous devions concourir loin. De plus, le temps de présence en compétition s’allonge en fonction des résultats. Les tireurs quittent souvent la compétition dès leur élimination et l’assaut final se tire avec peu de spectateurs, même lorsque le cercle d’escrime aligne un candidat pour un podium. C’est un peu triste. Lorsque notre petit garçon est né, j'ai cessé de l'accompagner.
Il était de plus en plus souvent absent, à la poursuite de son rêve de médaille. A la seconde place, notre famille bénéficiait de moins en moins de sa présence. Les soirées consacrées aux entraînements ont fini par payer. Il a été sélectionné pour les championnats européens et s'est envolé seul vers l'Italie.
A son retour, il affichait la mine réjouie de celui qui venait de monter sur son premier podium international. J’étais contente pour lui tout en craignant que ce succès n'attise sa passion et ne nous éloigne encore un peu plus.
Sa joie n’était pas uniquement liée à sa victoire.
...
Quelques temps après, j’ai reçu l’appel téléphonique d’une femme :
- Je suis dans le club de votre mari. J’imagine que vous me connaissez.
- Non, qui êtes-vous ?
- Vous savez qu’il vous trompe depuis un moment.
- - …
- et que nous sommes partis ensemble en Italie ?
Comment réagir face à une telle annonce. Comment esquiver, ne pas être touchée ? Et marquer le point .
- Nous sommes un couple libre, vous savez. Nous n’en parlons pas entre nous tant que cela n’a pas d’importance.
Où avais-je trouvé ce mensonge ? Je l’ignore encore. Mais j’avais visé juste. Elle a immédiatement raccroché.
Je suis sortie dans le jardin, préférant questionner directement mon époux. Ne pas ruminer, être honnête l'un envers l'autre. Être directs et francs entre nous.
- Ta maîtresse vient d’appeler.
- Je n’ai pas de maîtresse.
- Elle m’a dit qu'elle était avec toi en Italie.
- C’est faux.
- Elle a raccroché lorsque je lui ai dit que nous étions un couple libre.
Il n’est pas revenu sur ses affirmations.
J’ai laissé tomber.
La maîtresse n’a plus donné de signe de vie et le trophée est monté dans son bureau.
Nous avions un jeune enfant, nous pouvions surmonter cela. Même sans dialogue.
Devrais-je lui avouer un jour que je ne l'ai jamais cru ?
Qu'à partir du moment où il m’a trompée, il m’a implicitement donné le droit de faire de même.
Ce n’est pas le couple dont je rêvais, mais c’était peut-être la solution pour rester ensemble quand le temps émousse les sentiments.
Revenir sur le sujet m’ôterait-il un poids ?
Suis-je encore capable de toucher sans blesser ?
Ou suffit-il d'équilibrer les points ?
Annotations
Versions