Le murmure des rues avait remplacé le silence nocturne. Des sabots résonnaient sur les pavés, des voix s’élevaient à travers les ruelles, et l’odeur du pain chaud commençait à se mêler à celle plus âcre de la pierre mouillée. Le jour s’était levé sur Lithoria, et la cité s’éveillait comme un organisme géant, lentement mais sûrement.

Grey ouvrit les yeux.

Il était toujours dans cette ruelle, son dos appuyé contre le mur rugueux, les jambes repliées contre lui. Le froid de la nuit lui avait mordu la peau, mais après tout ce qu’il avait traversé, c’était presque agréable.

Il se redressa lentement, étirant ses membres endoloris, puis passa une main dans ses cheveux ébouriffés. Il avait dormi. Pas bien. Mais assez.

Il inspira profondément, se levant sans un mot, et quitta l’impasse d’un pas lourd mais décidé. Son objectif était clair.

La Guilde des Marqués.

Le bâtiment se dressait toujours à la même place. Sobre, mais imposant. Fait de pierres blanches et grises, avec un toit de tuiles noires. Deux bannières flottaient de chaque côté de l’entrée, affichant le symbole universel : deux cercles croisés, bordés d’une étoile à cinq branches. À cette heure matinale, quelques Marqués entraient ou sortaient. Certains semblaient blessés. D’autres avaient le regard vide. Tous avaient cette même marque visible, quelque part sur leur peau.

Grey franchit le seuil sans hésiter.

L’intérieur était calme, presque solennel. Un comptoir central séparait le hall en deux, et derrière, deux réceptionnistes attendaient. Un homme aux cheveux grisonnants, avec une barbe finement taillée, et une femme plus jeune, à la posture droite et à l’air concentré.

— Bonjour, dit l’homme. Tu es là pour l’enregistrement ?

Grey acquiesça.

— Tout juste arrivé, répondit-il.

— Très bien. Avance ta main sur le cristal.

Devant lui, incrusté dans le comptoir, un socle de pierre portait un artefact circulaire, presque translucide, aux veines bleutées. Grey tendit sa main. Dès qu’il effleura le cristal, celui-ci brilla.

Une lumière pâle s’éleva autour de lui. Puis une fenêtre translucide s’ouvrit dans l’air, suspendue devant les deux réceptionnistes.

Elle contenait des informations simples, mais précises :

Nom : Grey

Âge : 20

Statut de Marqué : Non Enregistré

Niveau d’Empreinte : Croissant

La réceptionniste releva les yeux, surprise.

— Croissant ? Tu n’es pas resté longtemps à Naissant, à ce que je vois.

— Disons que mon premier scénario n’a pas suivi le plan prévu, répondit Grey d’un ton neutre.

L’homme grimaça.

— Les Arcanes aiment bien jouer aux dés, hein ? Bien, ces informations resteront confidentielles, comme le veut le protocole. Ton nom et ton niveau ne seront jamais diffusés sans ton autorisation, excepté par circonstances exceptionnelles.

Il tapota quelques runes sur un dispositif derrière le comptoir.

— Voilà. En tant que nouvel arrivant, tu as droit à une aide de départ. Une somme de base pour te permettre de tenir une semaine. Cinquante argents. Et un logement temporaire.

La femme revint avec une bourse et une clé en métal.

— Ta chambre est au troisième étage. Elle est simple, mais propre. Tu y as droit pour sept jours. Les repas ne sont pas compris, alors je te conseille de te rendre à la Guilde des Aventuriers, dans le quartier ouest. Ils recrutent souvent les nouveaux Marqués pour des missions de reconnaissance ou d’escorte. C’est pas glorieux, mais ça paie.

Grey hocha la tête.

— Merci.

— Une dernière chose, dit l’homme. On va préparer ta plaque d’identification. C’est ce qui prouve que tu es reconnu par la Guilde. Tu peux aller te laver pendant ce temps. L’eau chaude est disponible au fond du couloir. Ta chambre est juste à côté.

Il prit la clé, remercia d’un signe de tête, et monta les escaliers.

Le couloir du troisième étage était silencieux. Les portes étaient simples, toutes numérotées en runes mais bien différentes de celles qu'il connaissait. Il trouva la sienne. Une pièce exiguë mais fonctionnelle, avec un lit propre, une armoire, et une table. Et surtout : une porte menant à une petite salle d’eau.

Grey y entra sans hésiter.

Il retira ses vêtements déchirés et les jeta au sol. Son corps était couvert de saleté, de sang, de poussière. Mais ce n’était pas ce qui attira son regard.

Il s’approcha du miroir au-dessus du bassin d’eau.

Son reflet.

Il mit un moment à le reconnaître.

Son torse s’était épaissi. Ses bras, plus musclés qu’avant, semblaient sculptés par les combats. Mais ce qui était frappant, c’était les marques.

Des grandes lignes de cicatrices fines d'autres assez épaisses, striant son torse, ses épaules, ses flancs. Elles formaient presque un motif. Comme les rayures d’un tigre sauvage. Un souvenir douloureux, mais… aussi une preuve. De sa survie. De sa rage.

Il se lava lentement, profitant de la chaleur. L’eau rougie glissa sur sa peau, emportant la crasse d’un monde brisé. Il resta là un long moment, simplement à respirer, les yeux fermés.

Quand il sortit, une serviette autour de la taille, un ensemble de vêtements propres l’attendait sur le lit : un pantalon noir, une tunique grise à col haut, et une veste courte en cuir renforcé, ornée de l’emblème des Marqués.

Il s’habilla, appréciant la sensation du tissu neuf contre sa peau nettoyée.

Puis ses yeux se posèrent sur le livre.

Le Livre des Runes du Royaume Figé.

Sa récompense.

Il l’ouvrit lentement.

Les premières pages étaient blanches.

Puis des symboles apparaissaient progressivement, comme gravés à la main dans une encre sombre. Certains semblaient familiers. D’autres bougeaient à peine, comme si le livre vivait.

Il essaya de lire, de comprendre.

Mais le sens lui échappait encore.

Alors il le referma doucement.

Il aurait tout le temps de s’y plonger. Pour l’instant, il avait un monde à comprendre. Et un avenir à tracer.