Chapitre 44 - Une Dernière Promenade
Les jours avaient filé comme les feuilles balayées par les vents d’automne.
Depuis quelque temps déjà, Grey sentait que son temps à Lithoria touchait à sa fin. Ce n’était pas une certitude, ni une voix intérieure. Juste un poids léger, presque imperceptible, qui s’était installé au fond de sa poitrine. L’envie d’avancer, encore une fois. De quitter la tranquillité avant qu’elle ne devienne une cage dorée.
Puis, ce matin-là, la nouvelle était tombée : il venait d’atteindre le rang E à la Guilde des Aventuriers.
Pas un grand exploit. Mais une reconnaissance. Une validation.
Et une excuse suffisante pour prendre la route.
Grey contempla longuement sa nouvelle plaque, légèrement plus sombre que l’ancienne, ornée d’une gravure discrète : une feuille stylisée, symbole de l’endurance et de la progression.
Il soupira.
Puis se leva.
Et décida de dire au revoir. À sa façon.
Il passa d’abord par le quartier ouest, là où la guilde des aventuriers tenait toujours son agitation coutumière. Les réceptionnistes étaient en plein travail lorsqu’il entra, mais la jeune femme qui s’occupait de la gestion des rangs leva les yeux et lui adressa un sourire étonnamment chaleureux.
— Tu comptes filer sans un mot, Grey ? lança-t-elle.
Il haussa un sourcil.
— Tu lis dans mes pensées ?
— Non. Mais tu es le seul type qui refuse toutes les quêtes de groupe et qui nettoie des toitures avec plus de sérieux qu’un templier. Fallait bien que ça arrive.
Il s’approcha du comptoir.
— Merci… pour tout.
— Tu reviendras peut-être. Beaucoup font l’erreur de croire que le Nord est l’endroit où tout se joue. Mais parfois, les combats les plus importants… se passent ici.
Grey ne répondit pas.
Elle lui tendit un petit sachet.
— Des vivres. Offerts par la guilde. Et un peu de baume cicatrisant. Tu en auras sûrement besoin.
Il la remercia d’un hochement de tête, puis quitta les lieux.
Ensuite, il retourna dans le quartier est, là où vivaient la plupart des anciens qu’il avait aidés ces dernières semaines. Il alla voir Mme Virna, celle dont il avait nettoyé le toit au début de son aventure à Lithoria. Elle lui tendit une petite pierre plate, gravée de runes maladroites.
— J’ai essayé de recopier les dessins que je t’ai vu faire sur ton armure. Je ne sais pas si ça fonctionne. Mais garde-la. Ça porte bonheur.
Grey serra la pierre dans sa main, étrangement ému.
— Merci.
Il fit aussi un détour par la petite place fleurie où un vieil homme vendait des brochettes. Il en accepta une, cette fois, pour de bon. Juste une. Et la mangea lentement, debout, en silence, pendant que le vendeur lui racontait une histoire qu’il n’écoutait qu’à moitié. Mais ça n’avait pas d’importance.
C’était le moment qui comptait.
L’étape suivante était évidente.
Il passa par la Guilde des Marqués, où l’attendait l’homme à la barbe grisonnante et la femme aux cheveux courts qui l’avaient enregistré à son arrivée.
— Tu pars, hein ? lança l’homme, sans lever les yeux de ses documents.
Grey hocha la tête.
— Un convoi part pour le nord. Je vais l’accompagner.
— Tu as changé depuis ton arrivée, ajouta la réceptionniste. Tu avais l’air d’un chien errant la première fois. Maintenant… tu fais presque peur.
Il esquissa un sourire.
— Je préfère quand même rester silencieux.
L’homme lui tendit un petit carnet.
— Voici une copie de ton dossier, au cas où une autre ville aurait besoin de tes informations. C’est crypté, évidemment. Pas de panique.
Grey prit le carnet, le rangea soigneusement dans sa poche intérieure.
— Merci à vous deux. Pour l’accueil.
— Bonne route, Grey. Et que la prochaine ville te casse un peu moins.
— On verra, répondit-il simplement.
Enfin, alors que le soleil montait dans le ciel, il franchit une dernière fois la porte sud de Lithoria.
Deux gardes y montaient la garde. L’un d’eux le reconnut immédiatement.
— T’es sérieux ? Tu pars sans même un combat d’adieu ? lança-t-il en croisant les bras.
Grey leva les yeux.
— Tu veux que je te donne une claque pour la route ? Ça compte ?
— Tss. Va te faire foutre.
L’autre garde éclata de rire.
— Fais gaffe à toi, Grey. Même si t’es pas causant, t’étais devenu une sorte de mascotte, ici.
Grey s’inclina légèrement.
— Prenez soin de la ville. Je reviendrai peut-être.
Puis il franchit les portes.
Sans se retourner.
Le convoi n’était pas grand.
Quelques chariots, tirés par des bœufs robustes. Une escorte modeste : deux archers, un vieux lancier, et une mage en robe verte pâle. Ils allaient jusqu’à la ville frontière de Darnath, où le commerce se faisait plus rare, mais la tension montait. Des rumeurs de guerre, de scénarios nouveaux, de bêtes venues d’autres mondes. Les routes devenaient incertaines.
C’était parfait.
Grey grimpa à l’arrière d’un des chariots, salua rapidement les autres voyageurs, puis s’installa, son sac contre lui, son épée noire invisible, scellée dans la marque de sa paume.
Il regarda le ciel, désormais d’un bleu éclatant.
Et sourit.
Il ne savait pas ce qui l’attendait.
Mais il avait appris à ne plus chercher les réponses.
Juste à avancer.
Toujours.
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